psychiatrie les idées des acteurs
Il faut valoriser les apports de la pédopsychiatrie aux autres disciplines médicales

Lénio Rizzo

Pédopsychiatre & ancien chef de service à l’hôpital de Trévise (ITALIE)

Pour une psychopathologie dynamique et plurielle dans la perspective d’une pédopsychiatrie ouverte et transdisciplinaire

Je tiens avant tout à remercier le comité scientifique du CRAPS de m’avoir invité à contribuer à ces échanges sur le présent et le futur de la psychiatrie en France : étant donné le domaine de mes activités scientifiques et professionnelles, mes réflexions se référeront tout particulièrement au champ de la pédopsychiatrie, terrain de ma pratique en Italie depuis plus de 40 ans. Formé en pédiatrie à l’université de Padoue, spécialiste ensuite en neuropsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (et plus tard aussi en psychiatrie adulte), j’ai exercé dans différents services, hospitaliers et territoriaux, ayant été pendant les onze dernières années de ma carrière, chef de service à Trévise.

J’ai été, dès mes études, intéressé par la production scientifique des pédopsychiatres psychanalystes français (Lebovici, Diatkine, Misès, Soulé, Jeammet, Braconnier, Marcelli, Hochmann, Golse…) qui a marqué la théorie et la pratique de notre discipline en Europe pendant la deuxième moitié du XXe  siècle. Cela m’a conduit à faire des stages dans plusieurs services parisiens, où j’ai pu découvrir et connaître l’organisation française du secteur infanto-juvénile ainsi que les différentes offres d’hospitalisation complète et partielle destinées aux enfants et aux adolescents, mises en place sous l’impulsion de ces mêmes maîtres. J’ai pu alors vérifier l’efficacité de ces différents dispositifs institutionnels ainsi que la grande richesse de l’élaboration qui se poursuivait en France au fil des générations de médecins et de psychologues. Ces modèles d’organisation et les productions scientifiques, à travers les revues et les traductions des livres, ont inspiré les théorisations et les pratiques de maints collègues partout en Europe et ont longtemps représenté la pointe avancée d’une « voie européenne » en faveur des soins psychiques des plus jeunes et des plus souffrants. Beaucoup d’étudiants et de spécialistes dans ce domaine ont choisi la France pour approfondir leurs études ou pour enrichir leurs formations professionnelles. Moi-même j’ai contribué à ces parcours par des invitations de conférenciers et d’enseignants français pour la formation, ainsi que par la traduction de plusieurs ouvrages. En désaccord avec la persistance en Italie de la réunion de la psychiatrie infantile et de la neurologie au sein d’une seule spécialité et dans une même société, j’ai choisi de devenir membre de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Je suis aussi membre de l’AEPEA (Association européenne de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent), fondée à Paris en 1994. Je garde donc depuis quelques dizaines d’années un regard attentif sur les évènements qui concernent en France la pédopsychiatrie.

Le dispositif du secteur introduit en France en pédopsychiatrie dans les années 70 avec ses équipes multidisciplinaires et ses multiples structures, ambulatoires, à temps partiel et plein-temps, représente un modèle adéquat d’organisation à référence médicale incluant les différentes professions associées. Ce qui, malheureusement, n’a pas toujours eu lieu en Italie, où on est en train de payer cher un manque d’organisation, dont je ne signale que quelques effets : des professionnels pour l’enfance placés dans des services territoriaux qui difficilement communiquent entre eux, sans une direction claire et cohérente qui indique des actions prioritaires et des méthodes communes ; qui échouent à organiser des prises en charge adaptées notamment pour les cas plus lourds (« troubles du spectre autistique » !) ; des familles qui, dans une opposition au service public, s’adressent aux spécialistes privés ou à des groupes qui proposent des méthodes non validées ; la carence de lits d’hospitalisation pour les adolescents à temps complet ainsi qu’à temps partiel qui conduit les professionnels à des parcours de soins partiels et très risqués pour eux et surtout pour les patients, obligeant les familles à des confinements opposés à toute orientation rationnelle.

À partir de ma pratique dans ce domaine central de l’organisation sociosanitaire publique d’un pays quant à l’importance, sur les plans éthique et thérapeutique, de la mise en place d’une offre véritable au niveau de prévention, de thérapie et de réhabilitation à l’égard de troubles qui affectent un pourcentage important de la population allant du premier âge jusqu’à l’adolescence (avec notamment, les troubles précoces du développement, les troubles du comportement à l’âge scolaire, jusqu’aux dangereux troubles des conduites qui amènent tant d’adolescents à mettre leurs vies en danger), je formule quelques suggestions que je considère comme incontournables :

1. La pédopsychiatrie en tant que discipline autonome ne doit pas disparaître ! Tout au contraire, il faut valoriser ses apports aux autres disciplines médicales avec lesquelles elle doit participer à la mise en place des systèmes de soins. Sans renoncer aux spécificités de ses modèles dans la cure et dans l’interprétation des troubles de ses jeunes patients.
2. Seul son modèle polyfactoriel, qui réunit causalités physique, interactive et épigénétique, appuyé sur une recherche épidémiologique (qui ne soit pas reléguée aux seuls généticiens), est susceptible de parvenir à démembrer des catégories actuellement trop inclusives. La recherche, tant en biologie qu’en psychopathologie, pourra s’en trouver plus efficace, notamment pour des syndromes (« spectre autistique » et « TDH ») qui demandent des traitements spécifiques, intensifs et de longue durée.
3. Le propre de notre spécialité consiste à soutenir l’importance du monde interne de nos jeunes patients, de leurs affects et leurs fantasmes, pour aboutir, à travers une clinique diachronique (histoire du symptôme dans l’histoire du sujet) à côté des observations et des évaluations, à une vision unifiée de l’individu dans ses rapports avec son environnement.
4. Il nous faut bien considérer la richesse d’une psychopathologie qui sait intégrer composantes internes et externes pour arriver à un diagnostic qui ne soit pas réducteur et à une stratégie thérapeutique spécifique.
5. Il nous faut des enseignements et des formations adéquats à ces enjeux : à l’encontre de toute pensée unique, je plaide pour un travail transdisciplinaire afin d’aider les jeunes, les plus fragiles et leurs familles à repérer leur place dans une société plus inclusive.