Tribune

« Mettre fin à l’oubli des femmes en matière de santé est une priorité incontournable »

Alexandre Vallée, MD, PhD
Médecin de santé publique
Chef de l’unité d’Épidémiologie et de Santé Publique
Hôpital Foch

Bien que l’égalité des sexes soit fermement ancrée dans les lois et les valeurs de nos sociétés modernes, il est indéniable que des disparités entre les sexes subsistent, notamment en ce qui concerne la sphère de la santé. Les femmes, qui constituent la moitié de l’humanité, se trouvent fréquemment reléguées au second plan concernant l’accès aux soins de santé. Il est impératif de prendre conscience de cette réalité et de s’engager résolument dans des réformes substantielles.

Il convient de noter que ces disparités en matière de santé entre les sexes ne sont pas uniquement le fruit de divergences biologiques, mais résultent également de dynamiques sociologiques et du système de santé. Alors que les femmes, en moyenne, affichent une espérance de vie supérieure à celle des hommes, elles sont également confrontées à une plus longue période de mauvaise santé. Cette situation découle en partie de facteurs biologiques, notamment des modifications hormonales, mais est également influencée par des variables sociales, économiques et culturelles qui affectent l’accès aux soins de santé, le suivi médical et les comportements de prévention.

Toutefois, de nombreuses inégalités persistent aujourd’hui, en dépit d’une prise de conscience croissante au sein de notre société et de la communauté scientifique.

Il est indéniable que l’espérance de vie à la naissance des femmes en France dépasse la moyenne européenne et est supérieure à celle des hommes. Cependant, ces disparités tendent à se réduire, et plus particulièrement, les femmes vivent une plus grande partie de leur existence avec une incapacité, se traduisant par une impossibilité temporaire, que ce soit sur le plan physique ou psychologique, d’exercer une activité professionnelle, représentant parfois près d’un quart de leur vie.

De même, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la première cause de décès chez les femmes ne réside pas dans le cancer, mais dans les maladies cardiovasculaires, qui représentent actuellement plus d’un quart des décès féminins. Dans le cas du syndrome coronarien aigu, les femmes, moins informées et présentant des symptômes différents de ceux des hommes, ont plus de difficulté à reconnaître pleinement l’urgence du problème. Les femmes arrivent donc en moyenne plus tard aux services d’urgence (avec en moyenne un délai de 15 minutes de plus que les hommes), avec un risque accru de diagnostic erroné ou de sous-diagnostic. Les cancers occupent la deuxième position, avec le cancer du sein comme principal responsable de leur mortalité. Les tumeurs spécifiquement liées au sexe contribuent ainsi deux fois plus aux décès chez les femmes, avec près de 6% des femmes décédant de cancers du sein, de l’utérus ou des ovaires en Europe, contre près de 3% des hommes atteints de cancer de la prostate.

Ces inégalités en santé sont à mettre en regard avec les grandes pathologies touchant les femmes, comme les cancers, l’endométriose, les maladies cardiovasculaires, mais aussi la prise en charge de la ménopause. 

Le cas typique des cancers chez les femmes

En France, le cancer est la première cause de décès chez les hommes et la deuxième chez les femmes. Les types de cancers les plus courants chez les femmes sont le cancer du sein (58 000 nouveaux cas par an), le cancer colorectal (20 000 nouveaux cas) et le cancer du poumon (15 000 nouveaux cas). L’incidence du cancer, en particulier du cancer du poumon, a augmenté de manière significative chez les femmes, avec une augmentation annuelle de 5 %, en raison de changements de comportement et de mode de vie (tabac, alcool, stress, etc.). Ces évolutions transforment considérablement le paysage épidémiologique du cancer. Cependant, grâce aux avancées thérapeutiques majeures, la mortalité globale due au cancer diminue davantage chez les hommes que chez les femmes. 

Face à ce constat, des programmes nationaux de dépistage ont été instaurés pour trois grands types de cancers chez les femmes : le cancer du sein (en 2004), le cancer colorectal (entre 2008 et 2009) et le cancer du col de l’utérus (entre 2018 et 2019). Cependant, l’adhésion à ces campagnes de dépistage est encore loin d’atteindre les niveaux souhaités, avec guère plus de 50% de participation pour le cancer du sein (l’objectif européen étant de 70%) et environ 60% pour le cancer du col de l’utérus.

Toutefois, il faut rappeler que chaque année, le nombre de cas de cancer du poumon chez les femmes augmente, principalement en raison du tabagisme et du manque de prévention. Depuis 2005, l’incidence du cancer du poumon chez les hommes est en baisse. Cette tendance positive est principalement attribuable à la réduction de la consommation de tabac chez les hommes. En revanche, le tabagisme chez les femmes continue d’augmenter de manière constante depuis 1967.

De manière générale, il est courant d’associer davantage les hommes aux comportements à risques en matière de santé, tels que le tabagisme, la consommation d’alcool, la prise de drogues et les habitudes alimentaires. Cependant, il est important de noter que ces comportements à risques touchent aujourd’hui également de nombreuses femmes.

Le tabagisme des femmes enceintes, un danger largement sous-estimé 

En Europe, 8,1% des femmes enceintes en 2018 étaient directement exposées au tabac. La France est l’un des pays européens où le taux de femmes enceintes fumeuses est le plus élevé. En effet, selon l’Enquête nationale périnatale réalisée en 2016, le taux de consommation de tabac pendant la grossesse, appelée « tabagisme gravidique », était de 17% (soit près d’une femme sur six !) au dernier trimestre de la grossesse. Un des taux les plus élevé d’Europe. De même, le Baromètre Santé (2017 de Santé publique France a mis en évidence une prévalence de la consommation de tabac pendant la grossesse qui concernerait 20 à 25% des femmes enceintes, soulignant ainsi une forte prévalence du tabagisme gravidique en France en comparaison avec le contexte européen. Les études ont montré que la consommation de tabac pendant la grossesse était corrélée à un risque de fausse-couche, de grossesse extra-utérine, de placenta prævia, d’accouchement prématuré, de rupture prématurée des membranes et d’hématome rétro-placentaire. Au moment de l’accouchement, la survenue d’une hémorragie de la délivrance et celle d’une délivrance artificielle seraient aussi associées au tabagisme gravidique.

Le cancer du col de l’utérus, entre vaccination et couverture insuffisante

La vaccination contre le papillomavirus a prouvé son efficacité, le gouvernement actuel en a fait une de ses priorités nationales chez les jeunes adolescents. Les dernières études scientifiques ont montré que les programmes de vaccinations des jeunes filles étaient associés à une réduction de plus de 50% des lésions précancéreuses du col de l’utérus. Mais en 2020, la France ne se trouvait qu’à la 27e position européenne, avec un taux de couverture vaccinal inférieur à 30% chez les jeunes filles, contre plus de 75% au Portugal, en Espagne et au Royaume-Uni. 

Des efforts doivent être menés en ce sens dans les cancers « évitables » grâce à la vaccination. 

L’endométriose, un retard diagnostic majeur

L’endométriose est une maladie inflammatoire chronique qui touche environ 5 à 10 % des femmes en âge de procréer soit entre 1,5 million et 2 millions de femmes en France. Elle entraîne une charge individuelle et sociétale importante, comparable à celle d’autres maladies chroniques. Le coût de l’endométriose en France serait de plus de 14 milliards d’euros/an. Elle se caractérise la plupart du temps par des douleurs très intenses lors des règles et peut être source d’infertilité dans près de 40% des cas. Malgré un très grand nombre de cas, cette maladie est encore trop peu connue et diagnostiquée tardivement, avec un retard de 7 ans en moyenne !  

L’endométriose serait associée à une augmentation d’affections connexes, e.g. les maladies cardiovasculaires mais aussi à un risque accru de plusieurs cancers. Des données récentes, sur des populations de 3 à 5 millions de femmes aux USA et au Québec ont montré un risque accru de complications obstétricales chez les femmes atteintes d’endométriose. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer comment l’endométriose peut entraîner des grossesses défavorables, via des changements anatomiques régionaux dus aux lésions d’endométriose, une augmentation inflammatoire, ou encore une résistance à la progestérone endométriale. Ces perturbations peuvent persister aux stades ultérieurs de la grossesse et potentiellement conduire à des complications obstétricales.

Néanmoins, il convient de noter qu’il n’existe actuellement aucun traitement spécifique de l’endométriose en dehors de recours à des options médicales ou chirurgicales, qui peuvent s’avérer invalidantes et entraîner des effets secondaires significatifs. Dans ce contexte, une stratégie nationale pour la gestion de l’endométriose a été initiée en février 2022. Cette stratégie est conçue autour de trois axes fondamentaux, comprenant un large éventail de mesures élaborées par le ministère de la Santé, se concentrant sur la recherche et l’innovation, le diagnostic précoce, l’accès à des soins de haute qualité, ainsi que des campagnes de sensibilisation et d’éducation visant à former et informer l’ensemble de la société sur l’endométriose.

La ménopause, l’oubliée de notre système de santé

La ménopause, qui survient généralement autour de 45 à 55 ans, est le moment où la production naturelle d’œstrogènes et de progestérone par les ovaires cesse. Cela se traduit par l’arrêt de l’ovulation et de la menstruation. La ménopause est officiellement diagnostiquée lorsque la femme n’a pas eu ses règles depuis plus d’un an. 

N’oublions pas que la ménopause est un état physiologique chez les femmes et non une pathologie. Mais à partir de ce moment, divers problèmes de santé peuvent progressivement se manifester, y compris des symptômes tels que des troubles urinaires et génitaux, une prise de poids, des sueurs nocturnes, des bouffées de chaleur, une peau sèche, de l’ostéoporose, des problèmes cardiovasculaires, et parfois même des épisodes de dépression, ce que l’on appelle le syndrome climatérique.

Les symptômes visibles et les affections liées à la ménopause sont variés et peuvent représenter un défi considérable pour les femmes. Par exemple, l’arrêt de la production d’œstrogènes dans le corps à cause de la ménopause accroît le risque d’ostéoporose chez les femmes. Actuellement, en France, près de trois millions de femmes sont touchées par l’ostéoporose, mais seulement 500 000 d’entre elles en sont conscientes. Cette condition augmente significativement le risque de fractures, notamment du poignet, du col du fémur et de tassement vertébral. Chaque année, plus de 130 000 femmes subissent des fractures liées à l’ostéoporose, un chiffre qui dépasse largement le nombre de crises cardiaques, d’accidents vasculaires cérébraux et de cas de cancer.

Les maladies cardiovasculaires, un nouveau paradigme à considérer

Les maladies cardiovasculaires, la principale cause de décès chez les femmes, posent des défis uniques. Les symptômes de ces affections diffèrent souvent entre les sexes, ce qui peut entraîner des diagnostics erronés ou retardés chez les femmes. De plus, elles ont moins de chances de recevoir un traitement approprié pour ces problèmes cardiaques, en partie à cause de stéréotypes de genre qui minimisent la gravité de leurs symptômes.

De plus, bien que la mortalité due aux maladies cardiaques ischémiques ait globalement diminué pour les deux sexes, nous observons que pour les moins de 65 ans, la réduction a été moins favorable aux femmes. Entre 2000 et 2010, les décès dus à ces maladies ont chuté de 33% chez les femmes, contre 23% chez les hommes pour cette tranche d’âge.

Cette vulnérabilité des femmes face aux maladies cardiovasculaires a été mise en évidence par de nombreuses études, soulignant le besoin de sensibilisation du public à l’importance du risque cardiovasculaire pour les femmes. La Fédération française de cardiologie recensait en moyenne 89 000 femmes par an touchées par ces maladies, à comparer aux 76 000 hommes atteints. 

Ces maladies cardiovasculaires sont ainsi bien plus meurtrières que le cancer du sein, un fait méconnu en partie à cause de la perception stéréotypée associant spontanément le syndrome coronarien aigu à un homme âgé de 50 à 60 ans, fumeur, sédentaire et en surpoids.

La sensibilisation croissante des femmes à ces risques peut être attribuée au fait qu’elles sont désormais confrontées aux facteurs de vulnérabilité qui étaient autrefois associés à des comportements masculins, tels que le tabagisme, la sédentarité, une alimentation déséquilibrée, le stress, notamment au travail, ainsi que la consommation d’alcool.

La surmortalité féminine due aux maladies cardiovasculaires peut s’expliquer par exemple par : 

– L’obésité, qui a nettement progressé, à l’échelle mondiale, plus particulièrement chez les femmes. L’obésité massive et sévère touchant plus les femmes que les hommes ;

– L’hypertension, notamment pendant la grossesse ;

– Ou encore le tabagisme ;

Mais aussi :

– Une méconnaissance des signes avant-coureurs du syndrome coronarien aigu par les femmes ;

– Un dépistage insuffisant ;

– Une prise en charge encore trop tardive.

Bien qu’il soit primordial de combattre la notion préconçue selon laquelle les maladies cardiovasculaires seraient exclusivement liées à la ménopause chez les femmes, il est essentiel de noter que plus de 11 % des femmes ayant été touchées par un syndrome coronarien aigu ont moins de 50 ans.

Les maladies cardiovasculaires sont, en effet, plus fréquentes après la ménopause. Autrefois protégées par leurs hormones féminines, les femmes ménopausées voient leur risque cardiovasculaire augmenter. Alors que le risque de syndrome coronarien aigu est initialement inférieur chez les femmes non ménopausées par rapport aux hommes, il augmente après la ménopause pour atteindre le niveau des hommes, une réalité encore peu connue du grand public.

Cependant, les femmes ne sont souvent pas correctement prises en charge, et de nombreux professionnels de santé ne sont pas formés pour répondre à leurs besoins spécifiques. Il existe une importante population de femmes dites « abandonnées » par le système de santé. 

Cette situation découle de plusieurs facteurs :

– La ménopause reste un sujet tabou pour de nombreuses femmes, qui manquent d’information et se sentent parfois désemparées ;

– La ménopause est également un sujet tabou pour de nombreux médecins, qui sont souvent mal formés à ce sujet ; 

– Un désert médical national concernant le nombre de gynécologues médicaux ;

– Il existe un manque de programmes d’accompagnement, étant donné que la ménopause s’installe progressivement sur plusieurs années.

En ce qui concerne les traitements proposés, essentiellement l’hormonothérapie substitutive, seulement environ 500 000 femmes suivent ce type de traitement actuellement, comparé à 2,5 millions il y a 20 ans. Cette situation découle de nombreuses dis-informations ayant semé la panique en faussement associant le traitement à des risques accrus de cancer et d’accidents cardiovasculaires.

Promouvoir l’égalité pour une justice en matière de santé

En France, la natalité connaît une baisse presque continue depuis 2011, selon l’Insee. Au premier semestre 2023, 334 000 bébés sont nés en France, 25 000 de moins qu’en 2022 sur la même période. Une tendance inquiétante. En France métropolitaine, en l’espace de dix ans, le taux de fécondité est passé de 2 enfants en moyenne par femme à 1,76 enfant par femme en 2022. La première raison est l’allongement des études et la mise en couple plus tardive des jeunes Français. Les femmes font ainsi une entrée plus tardive dans la maternité, notamment due à la difficulté encore présente d’articuler travail et enfants. 

En ce qui concerne la recherche médicale, il est essentiel d’inclure davantage de femmes dans les essais cliniques. Pendant trop longtemps, les femmes ont été sous-représentées dans ces études, ce qui signifie que les traitements et les médicaments ne sont pas nécessairement adaptés à leur physiologie. Cela peut avoir des conséquences graves pour la santé des femmes. L’inclusion équitable de femmes dans la recherche médicale permet de développer des thérapies et des traitements qui sont plus efficaces et adaptés à leur corps. Il devient ainsi logique de dire qu’intégrer la notion de sexe biologique dans la médecine et la recherche répond à un questionnement à la fois scientifique et éthique.

En fin de compte, mettre fin à l’oubli des femmes en matière de santé est une priorité incontournable. Cela implique de lutter contre les inégalités persistantes et d’assurer que toutes les femmes puissent accéder à des soins de santé de qualité et parfaitement adaptés à leurs besoins spécifiques. Cette démarche transcende la simple équité entre les sexes, elle concerne le bien-être de l’ensemble de la société, notre humanisme à tous. En plaçant la santé des femmes au cœur des préoccupations, nous pouvons transformer cette situation inacceptable en une victoire pour l’égalité des sexes et la justice en matière de santé.