TRIBUNE
Mon propos n’envisage pas de retracer l’ensemble des incidences mais à partir de quelques exemples, de tirer les leçons d’une évolution qui nous pousse à nous réorganiser…

Jean-Paul Ségade

Vice-Président du CRAPS, Conseiller Général des Etablissements de Santé

Comme toute organisation humaine, l’hôpital se réorganise de par les évolutions de la demande (vieillissement de la population, émergence des maladies chroniques, prises en charge plus globales et concertées…). Le progrès médical avec ses hauts plateaux techniques, la spécialisation des métiers de santé, et le développement de l’ambulatoire font évoluer les hôpitaux, parfois plus vite que l’évolution de la réglementation.

Il est un facteur de production qui touche toutes les composantes de la fonction de production hospitalière, ce sont les technologies de l’information (TIC). Elles concernent à la fois les quatre activités majeures hospitalières que sont l’administration, la fonction logistique et technique, la fonction médico-technique et la fonction clinique mais également les collaborations entre les acteurs de santé.

Mon propos n’envisage pas de retracer l’ensemble des incidences mais à partir de quelques exemples, de tirer les leçons d’une évolution qui nous pousse à nous réorganiser.

De manière interne les TIC apportent des modifications substantielles dans chaque composante hospitalière :

• La fonction administrative est révélatrice d’une évolution qui devrait nous conduire à modifier notre politique de recrutement. Les secrétaires médicales qui représentent près de la moitié du personnel administratif continuent d’être recrutées sur une base de bac F8 alors que la dictée vocale, les compétences accrues en bureautique des médecins et soignants vont modifier leur travail. On ne devrait plus titulariser pour 40 ans des agents administratifs dont on entrevoit les profondes modifications de leur travail.

•  Pour la fonction logistique et technique, l’informatique intégrée dans la surveillance et le dépannage des équipements modifient leurs organisations et notamment ouvrent la voie à des plateaux communs à plusieurs établissements avec à la fois une concentration et spécialisation des tâches. Les ARS devraient exiger des GHT et donc des établissements, comme ils le font dans les projets médicaux, des projets logistiques et techniques de territoire.

• Cette remarque touche les plateaux techniques de biologie et de radiologie confrontés actuellement à un problème de démographie médicale. Sait-on à l’APH de Paris, perdue dans ses querelles de sites hospitaliers, que les hôpitaux de Berlin disposent d’un plateau unique de biologie ?

• La fonction clinique est également concernée et l’excellent ouvrage de Guy Vallencien1 donne tous les éléments d’analyse. Mon propos portera sur la réponse à cette question suivante : les TIC ne sont ils pas les moyens de sauvegarder l’existence de plateaux techniques plus petits sous réserve d’être coordonnés avec des équipes médicales en réseau ? Dans un premier temps, l’évolution du progrès technique médical avait réduit l’intérêt des petits plateaux techniques, les TIC viennent donner une nouvelle jeunesse et dynamique, à ces plateaux techniques manquant de compétences. Les TIC apportent une réponse afin de conserver une équipe, un plateau technique (pas un service) de radiologie dans un hôpital local assurant une interprétation par des radiologues du CH voisin. Les TIC permettent de relier les services médicaux d’un CH avec les spécialités médicales du CHU de référence…

Le progrès technique est à la fois destructeur des anciens modes d’organisation mais également constructeurs de nouveaux modèles sous réserve de ne pas garder les anciens paradigmes. Les TIC et leur implication dans la fonction de production hospitalière sont elles vraiment perçues ? Le rôle du directeur d’hôpital est d’analyser cette évolution, de l’anticiper dans ses incidences organisationnelles et d’accompagner les médecins dans cette mutation schumpetérienne que connaît l’hôpital public.

Le progrès technique et plus spécialement les TIC, offrent autant d’opportunités nouvelles que de contraintes supplémentaires.

L’histoire de nos hôpitaux est entrée dans une nouvelle phase de développement marqué par un double mouvement : une accélération du progrès technique combinée à une complexité sans précédent de la combinaison des facteurs de production de par les TIC.

Les innovations sont à la science ce que sont les événements  à l’histoire et le progrès technique à la production de biens. Il est des inventions techniques d’importance capitale parce qu’elles sont la traduction extérieure de mouvements profonds durables qui accélèrent un mouvement jusqu’alors peu perceptible ou qui concrétisent une évolution qui a démarré, mais attendaient cette technique pour s’affirmer. Cette innovation peut heurter et s’opposer aux sentiments ou aux croyances d’une époque révolue, à ce titre le manager paraît comme le porteur d’une mauvaise nouvelle alors qu’il indique un sens à l’évolution d’une organisation en manque de devenir.

L’Histoire triomphe toujours car elle va de l’avant poussée par le désir des hommes et l’évolution des techniques qui rejette en arrière comme des coquilles vides les anciennes techniques devenues désuètes ou les organisations dépassées.

1 La médecine sans médecin ? Collection le débat, Gallimard, paru le 24/04/2015