Critique Littéraire

Finalement, si nous avons oublié peu à peu ce qu’était la Protection sociale, ce que social voulait dire, la crise sanitaire nous l’aura rappelé : la Protection sociale n’est pas une charge budgétaire insoutenable, mais un investissement favorisant à la fois le développement économique et la cohésion nationale.

Par Anaïs Fossier, Responsable des études au CRAPS

Loin de l’idéal révolutionnaire d’une nation « une et indivisible », nous assistons à bas bruit à la naissance d’une nation multiple, divisée, fracturée. Le tissu social se déchire, les inégalités se creusent et les alertes démocratiques sont inquiétantes comme en témoignent la progression de l’abstention et la défiance toujours grandissante à l’égard de « celles et ceux qui prennent les responsabilités ». Au regard de ce constat, Éric Chenut, militant mutualiste engagé, vice-président délégué de la MGEN et de VYV, donne l’alerte : le risque démocratique qui se dessine aujourd’hui est majeur. À cet égard, chacun d’entre nous est invité à prendre son « tour de garde », à s’impliquer afin de faire vivre les solidarités pour « accompagner les transformations nécessaires à notre société ».

L’auteur propose alors un nouveau contrat basé sur « la confiance entre la puissance publique, le mouvement social et les citoyens, autour d’un pacte démocratique, écologique, social et républicain renouvelé ». Un engagement mutuel pour « promouvoir l’émancipation individuelle et collective et nos valeurs humanistes ». En convoquant 25 années d’engagement « au service de l’action collective », Éric Chenut nous livre à travers son ouvrage sa vision du progrès, de l’émancipation, pierre angulaire de son engagement et esquisse les contours d’une démocratie sanitaire visant à rétablir la confiance entre la population et les autorités, dans le contexte de la crise que nous vivons aujourd’hui.

Par une large réflexion sur les enjeux auxquels nous serons confrontés demain, il nous rappelle que nos générations sont « les premières à savoir et les dernières à pouvoir ». Les premières à savoir que les Hommes par leurs actions peuvent impacter de manière irréversible l’environnement, les dernières à pouvoir donner au développement « une orientation moins prédatrice et plus responsable ». Il est alors essentiel que chacun d’entre nous, dans un esprit collectif de responsabilité, contribue à créer les conditions qui permettront aux générations futures de « choisir leur destin », de ne pas « subir par notre imprévoyance ». Si nos modes de consommation ne sont en effet pas « plus frugaux, plus économes en ressources, si nous ne préservons pas nos environnements et la biodiversité, le progrès humain ne pourra être accessible à tous ». L’éducation au durable devra par conséquent « intégrer l’écologie comme facteur d’émancipation ».

Émancipation – prérequis indispensable à la liberté de tout individu – qui constitue pour l’auteur un enjeu « vital pour la République ». Une fois instruits et munis des « clés de compréhension », les individus peuvent en effet « se déterminer en fonction de leurs aspirations, de leurs options idéologiques, philosophiques ou politiques ». Dès lors, s’il ne doit pas tout faire, l’État doit « permettre à toutes et à tous de s’émanciper par l’éducation, la culture, la santé, la solidarité et l’engagement ». Par l’éducation pour que chacun accède aux « savoirs », par la culture qui est un véritable « levier d’émancipation individuelle et collective », par l’engagement car « plus les espaces de coproduction démocratique se multiplieront, plus la démocratie se renforcera ». Par la santé, puisqu’il est dans l’intérêt des assurés sociaux qu’ils disposent des moyens de « gérer leur capital santé, de se protéger et de protéger les autres ».

Par la solidarité, enfin, puisque le « continuum solidariste, s’il n’est pas compris, si l’enjeu de l’aléa n’est pas appréhendé, induit des dérives consuméristes où le principe même de l’assurance n’est plus accepté ». Dérives particulièrement inquiétantes pour les individus qui demeurent libres par l’appartenance à un cadre « collectif protecteur et émancipateur : la protection sociale ». Pourtant, ce cadre indispensable pour que « la démocratie soit réelle », pour que « chacun adhère à la promesse républicaine » tend depuis une quarantaine d’années a être affaibli par « les réformes néolibérales » qui, profitant du chômage de masse pour « imposer une précarisation sociale avec son corollaire de travailleurs pauvres, ou encore avec une ubérisation de l’économie avec la création du statut d’auto-entrepreneur » accentuent la fragmentation sociale.

Toutefois, « si la victoire du néolibéralisme est patente, heureusement elle n’est pas totale » relativise l’auteur qui rappelle que les « poches de solidarité restent vastes » en France, à l’instar de l’économie sociale et solidaire. Finalement, si nous avons oublié peu à peu ce qu’était la Protection sociale, ce que social voulait dire, la crise sanitaire nous l’aura rappelé : la Protection sociale n’est pas une charge budgétaire insoutenable, mais un investissement favorisant à la fois le développement économique et la cohésion nationale. Le temps est alors venu, tel que le préconise Éric Chenut à travers son essai « L’émancipation, horizon de nos engagements mutuels » de l’appréhender comme une idée d’avenir, comme un vecteur d’émancipation.