Tout autant que dans le cas de la blessure physique, le lien personnel et durable est un facteur clé, s’agissant de la blessure psychique. Mais, davantage peut-être que pour les blessés physiques, il s’agit aussi d’accompagner la famille du blessé psychique

Jean-Marie Bockel

Ancien ministre & Président de Solidarité Défense

Le développement des opérations extérieures puis intérieures, depuis une cinquantaine d’années, a pour corollaire la réémergence d’une réalité que notre société doit regarder en face. Cette réalité, c’est la présence, en son sein, de militaires blessés et de familles endeuillées, à cause de ces opérations. Certes, il s’agit là d’une réalité qui peut demeurer difficilement perceptible pour le citoyen français, mais il n’empêche, les chiffres le montrent, que, même en période de paix, la mort et la blessure de soldats français, avec les conséquences qu’elles emportent pour leurs familles, sont des phénomènes qui perdurent. De la fin de la guerre d’Algérie à 2019, comme le rappelait le 13e rapport du HCECM, intitulé «  La mort, la blessure, la maladie  », 634 militaires des trois armées sont morts en opération et l’armée de Terre, la plus touchée, déclarait évaluer le nombre de ses blessés à 12 500, entre  1993 et  2019.

Cette réalité nous oblige. Pour marginale qu’on pourrait la considérer, elle est cependant extrêmement importante, surtout dans une société relativement prospère qui pourrait se croire à l’abri du retour de la guerre. La mort en opération d’un soldat, la blessure au combat d’un autre, nous touchent par-delà même les contingences de la spécificité militaire. Elles sont, et les manifestations qui accompagnent nos soldats à leur dernière demeure le montrent, le révélateur du degré de cohésion du pays et de sa détermination à prendre en main son avenir. Pour paraphraser Ernest Renan, c’est le pont des morts qui fait la marche des vivants, et toute société qui veut vivre le sait.

Une association comme Solidarité Défense, issue majoritairement de la société civile, a justement pour ambition de témoigner le soutien de notre société aux militaires, particulièrement à ceux qui sont engagés en opération, ou blessés à l’occasion de ces opérations, et aux familles endeuillées, à cause des opérations.

Elle est donc, comme les autres associations du monde combattant, concernée au premier chef par la Protection sociale de ces combattants et de leurs familles. Certes, comme le montrent les autres contributions de ce recueil, l’institution ne cesse de progresser dans ce domaine, ce dont tout le monde se réjouit. Pour autant, les associations jouent, et continueront de jouer, un rôle éminent dans l’accompagnement, parce qu’elles sont capables d’établir un lien personnel et durable avec les blessés et les familles. Commencée parfois à l’hôpital, en ce qui concerne Solidarité Défense, cette relation résiste aux mutations, aux changements de statut et aux aléas de la vie du militaire ou de la famille. L’association est ainsi l’organisme vers lequel se tourne facilement le militaire qui a quitté l’institution ou se trouve placé en congé de longue durée, lorsqu’il est éloigné de son corps et de ses camarades, bref lorsqu’il est coupé de son «  groupe primaire  ».

Cet accompagnement social se traduit d’abord par une aide morale, éventuellement par une aide administrative, voire par un soutien financier, lorsqu’il s’agit de compléter le soutien que fournit l’institution. Il s’effectue donc toujours, non en concurrence avec la Protection sociale offerte par l’institution et les organismes spécialisés, mais en adéquation avec elle et dans son prolongement. On pourrait penser que ces associations sont pléthoriques et que, redondantes, elles se neutralisent les unes les autres. En vérité, elles sont très diverses et, riches de cette diversité, savent aussi se coordonner et unir leurs efforts, au profit d’un blessé ou d’une famille.

Or, cette capacité paraît essentielle, s’agissant de l’avenir de la Protection sociale des militaires. Cet accompagnement dans la durée est en effet d’autant plus important que le nombre de blessés psychiques souffrant d’un syndrome post-traumatique augmente. Tout autant que dans le cas de la blessure physique, le lien personnel et durable est un facteur clé, s’agissant de la blessure psychique. Mais, davantage peut-être que pour les blessés physiques, il s’agit aussi d’accompagner la famille du blessé psychique. Cette blessure est longue à guérir et peut être génératrice de désocialisation. Or, maintenir à flot l’entourage proche du blessé, c’est ancrer ce dernier dans la réalité sociale. On constate pourtant que les familles des blessés psychiques sont insuffisamment informées de ce phénomène et de sa thérapie mais aussi du rôle qu’elles pourraient jouer dans la guérison du blessé.

Voilà, peut-être, quel est le grand chantier d’avenir de la Protection sociale des militaires et voilà pourquoi les associations, fortes de leur capacité à tisser du lien durable avec eux et leurs familles, peuvent y jouer un rôle important et complémentaire de l’institution et des organismes spécialisés.