Tribune

Portrait de Hervé Chapron et Michel Monier
Le débat sur les frais de gestion des AMC, en forme de procès, serait-il un cheval de Troie pour une étatisation programmée ?

Hervé CHAPRON & Michel MONIER
Membres du CRAPS, respectivement anciens Directeurs Généraux Adjoints de Pôle emploi et de l’Unédic et auteurs de «  Penser le social – 5 questions pour 2022  »

Episode 5 sur 8 de la série réalisée en partenariat avec le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP)

Le législateur a choisi de s’appuyer sur les complémentaires santé, chargées (…) de réduire les restes à charge des assurés1 ». « Cette organisation spécifique conduit au reste à charge moyen des ménages le plus faible de l’OCDE2 ». Après un tel satisfecit, que les frais de gestion des AMC viennent au débat ce n’est assurément pas un faux débat, c’est un débat biaisé ! C’est le faux-nez derrière lequel se cache la question de la pertinence des politiques publiques ainsi délibérément soustraite à la réflexion et dont les AMC seraient responsables.

Aux 7,5 milliards de frais de gestion des AMC sont opposés les 7,3 milliards de la Sécurité sociale, en oubliant que les AMC supportent des coûts spécifiques. Ainsi 2,9 milliards3 de coûts de conformité des AMC aux règles prudentielles (Solvency 2). Voilà qui biaise la comparaison. À périmètre égal : les 7,5 milliards des AMC deviennent 4,6 milliards4 ! À l’inverse, il convient d’ajouter aux frais de gestion de la Sécurité sociale la part des coûts de l’ACOSS que les contributions des caisses nationales n’équilibrent pas5. L’architecture comptable de ce que sont les fondations d’une improbable grande Sécu ne facilite pas l’analyse : à la comptabilité des AMC en parties double, la Sécu oppose une comptabilité en partie… trouble6.

Le trouble s’accentue avec le débat sur les dépenses fiscales et sociales, ou aides socio-fiscales selon la terminologie du HCAAM. Elles s’élèvent à 7,3 milliards d’euros et les taxes collectées via les cotisations par les AMC à 4,5 milliards7. Mettre au débit des AMC le coût de ces 2,8 milliards8 « résiduels » de dépense fiscale et sociale, c’est instruire le procès d’une politique publique à charge des acteurs qui la subissent ! Ces 2,8 milliards d’euros sont bien la conséquence d’une politique publique : « Les pouvoirs publics, considérant l’assurance complémentaire comme nécessaire pour accéder à certains soins essentiels, ont multiplié les dispositifs pour favoriser sa généralisation et encadrer son fonctionnement9. »

Le débat sur les frais de gestion des AMC, en forme de procès, serait-il un cheval de Troie pour une étatisation programmée ?

1 Cour des comptes, rapport de juin 2012 « Les complémentaires santé, un système très protecteur mais peu efficient ».

2 HCAAM, janvier 2022.

3 Cour des comptes, juin 2021.

4 Autre approche : considérer le coût de gestion de la dette Sécurité sociale (1,5 milliard) comme l’équivalent du coût de la compliance prudentielle des AMC ; les chiffres comparables sont alors : 8,8 milliards pour la Sécurité sociale et 7,5 milliards pour les AMC.

5 Cf. comptes annuels de l’ACOSS – 2020.

6 « 5 leçons pour penser le social au XXIe siècle ». Hervé Chapron, Michel Monier. Éditions du CRAPS. 2020. Page 191.

7 Données HCAAM, rapport janvier 2022.

8 Ces 2,8 milliards d’euros d’incitation (de marketing public ?) sont étonnement proches des 3 milliards d’euros que la Cour identifie comme des coûts d’acquisition des nouveaux clients par les AMC.

9 HCAAM, janvier 2022.