INTERVIEW
Les professionnels hospitaliers ont collectivement relevé ce défi grâce à une mobilisation remarquable depuis un an et demi

Agnès Buzyn

Ministre des Solidarités et de la Santé

Les GHT participent à une évolution des relations entre les acteurs publics de santé, pensez-vous utile d’élargir aux cliniques privés et aux médecins libéraux ?

Les GHT sont un outil parmi d’autres, au service des parcours patients. Le parcours optimal d’un patient, c’est lorsqu’il commence au domicile et se termine au domicile. Aussi, les GHT ne traitent que d’une séquence de ce parcours : la séquence d’hospitalisation publique. Il serait donc vain de vouloir résumer la structuration de l’offre de soins aux seuls GHT.

Les GHT ont donc un impératif : celui de s’ancrer dans leur territoire. Cela doit bien évidemment passer par une articulation avec les autres acteurs de l’offre de soins. Vous évoquez les cliniques et médecins libéraux. On peut également citer les hôpitaux d’instruction des armées, les établissements médico-sociaux, les centres de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé, les établissements privés d’intérêt collectif, parmi lesquels figurent par exemple les centres de lutte contre le cancer, etc.

De nombreux accords d’association et de partenariat ont déjà vu le jour, afin de donner une juste place à ces acteurs dans la « dynamique » GHT. On peut citer le GHT Rhône Nord Beaujolais Dombes qui a déjà formalisé des conventions de partenariat avec une clinique privée et un établissement de santé privé à but non lucratif. D’autres GHT ont fait preuve d’innovation aussi dans leur gouvernance, pour créer une place adaptée à ces partenaires : je pense au GHT des Deux Sèvres qui a créé un comité de partenaires.

Il est donc d’ores et déjà possible d’associer cliniques et libéraux à la structuration des GHT, en respectant les identités et statuts de chacun. Aller plus loin en permettant à un offreur privé de devenir « membre plénier » d’un GHT pourrait par exemple avoir pour incidence de le soumettre au droit de la commande publique. Je ne crois pas que ce soit une formule à privilégier. Je ne crois pas non plus qu’il faille systématiser en rendre obligatoire cette intégration des offreurs privés. La souplesse laissée à ce jour est le meilleur moyen de répondre à la variété des réalités territoriales.

Les GHT sont pour les établissements publics de santé un moyen de coopération, pensez-vous leur donner la personnalité morale pour ceux qui le souhaitent ?

Il nous faut veiller, dans la construction des outils juridiques de la coopération, à rechercher toujours la simplification. C’est un devoir que nous avons à l’égard des professionnels de santé qui suffoquent de la lourdeur des montages qu’on leur demande parfois de mettre en œuvre. Ce qui compte, ce n’est pas de créer une énième personne morale, en sus des presque 900 entités juridiques déjà existantes dans le champ de l’hospitalisation publique. Le dispositif des GHT n’a pas été conçu pour dupliquer et répliquer des personnes morales. Le dispositif GHT a été conçu, dans ce souci de simplification, pour permettre à l’une des personnes morales déjà existantes (celle de l’établissement support en l’espèce), de porter les opérations et activités mises en commun (grâce, notamment à la création d’un budget annexe dédié).  

Outre ce souci permanent de simplification, il nous faut rester pragmatique. Ce qui compte, ce n’est pas tant le nombre de personnes morales mais plutôt le processus de décision au sein du GHT. Nous avons 135 GHT de configurations très différentes. Certains comptent 2 établissements, d’autres 20. Certains représentent une masse budgétaire inférieure à 100 millions d’euros, d’autres une masse supérieure à 2 milliards d’euros. Le pragmatisme, c’est la flexibilité laissée par le dispositif pour construire une gouvernance sur mesure : la latitude laissée pour définir le nombre de participants à chaque instance, les modalités de vote (ou non), les compétences confiées à chaque organe, etc.

Dans la répartition des activités et plus exactement dans la détermination des filières de soins les établissements vont se spécialiser, comment envisagez-vous ces répartitions des compétences ? Plus précisément, envisagez-vous des nominations de praticiens hospitaliers dans les GHT ?

Compte tenu de l’hétérogénéité des 135 GHT, qui couvrent des territoires de 100.000 à 2,5 millions habitants, les schémas de partage d’activité entre établissements vont être variés. Il est donc difficile de dire a priori quelle sera cette spécialisation que vous évoquez. Néanmoins, il est assez vraisemblable que les GHT conduisent à une spécialisation des sites par niveau de gradation de prise en charge, plutôt qu’une spécialisation par activité médicale. En effet, l’objectif de cette réforme, d’ailleurs inscrit dans les premières lignes de la loi, c’est d’organiser la gradation des soins hospitaliers, afin de garantir des soins sécurisés, de qualité et accessibles à tous. Les enjeux en matière de répartition d’activité vont donc concerner, par exemple, le développement des consultations avancées, afin d’éviter au patient de se rendre jusqu’à l’établissement de recours pour rencontrer le médecin qui l’opérera ou l’a opéré. Autre exemple : l’accès à des examens diagnostics, qu’il s’agisse des examens d’imagerie ou de biologie.

Pour mettre en œuvre ces nouvelles organisations, de nouveaux outils et leviers ont été introduits avec la réforme des GHT :

• Les établissements concernés, s’ils ont défini une nouvelle répartition des emplois médicaux dans le cadre de leur projet médical partagé, vont pouvoir organiser une publication prioritaire des postes auprès des médecins exerçant au sein du GHT ;

• Les établissements peuvent aussi désormais mettre en place des pôles inter-établissements pour regrouper des équipes qui vont être concernées par la prise en charge des mêmes patients ;

• Les établissements peuvent également constituer un laboratoire de biologie médicale commun, multi-site s’ils le souhaitent, sans avoir à recourir à des formules plus lourdes comme le groupement de coopération sanitaire ;

• Les établissements vont prochainement pouvoir organiser des sous-traitances entre leurs pharmacies afin de spécialiser celles-ci et permettre le développement de la pharmacie clinique.

Mais les GHT peuvent aussi s’appuyer sur nombre d’outils déjà existants :

• Les fédérations médicales inter-hospitalières qui se déploient aujourd’hui pour structurer des activités dont la coordination ne relève pas nécessairement de l’établissement support ; 

• Les postes d’assistants partagés ou la mise à disposition partielle de professionnels médicaux, socle des équipes médicales partagées.

Ces leviers permettent aujourd’hui de satisfaire les nouvelles organisations envisagées dans les GHT. Aussi, il ne paraît pas nécessaire de revisiter les règles d’affectation et de nomination des praticiens. 

La réforme des GHT après sa formalisation interroge les hospitaliers avec des risques de blocage d’une collaboration médicale mais aussi un partage de moyens, fonction support indispensable à la réussite du projet. Quel est votre sentiment général sur cette réforme ?

Il s’agit d’une réforme exigeante : 

• C’est une réforme exigeante quant au périmètre des établissements concernés : tous les établissements publics de santé (hormis un nombre limité de dérogations provisoires et le cas particulier de l’AP-HP), et, à ce jour, 58 établissements publics médico-sociaux. On parle donc de 891 établissements publics au total. 

• C’est une réforme exigeante quant au rythme défini. Les périmètres et règles de gouvernance ont été arrêtés environ 5 mois après la promulgation de la loi, et environ 2 mois après la parution du premier décret d’application. Les filières des projets médicaux partagés ont été identifiées un an seulement après la promulgation de la loi. Les projets médicaux et projets de soins partagés sont en train d’être déposés auprès des ARS, à peine un an après la stabilisation des périmètres.

• C’est une réforme exigeante quant aux effets produits. Les GHT ont fait bouger les lignes de partage de compétences entre établissements, en particulier sur une série identifiée de fonctions supports : principalement la gestion de l’information médicale, le système d’information, les achats et les politiques de formation. 

Les professionnels hospitaliers ont collectivement relevé ce défi, grâce à une mobilisation remarquable depuis 1 an et demi. Ce travail se concrétise aujourd’hui dans les projets médico-soignants partagés. Plus d’un millier de filières de prise en charge des patients ont été structurées, autour de thématiques cruciales, pour ne pas dire vitales, pour les populations : les urgences, le cancer, l’AVC, la prise en charge des aînés, la périnatalité, etc. Plusieurs équipes de territoire et pôles inter-établissements sont en train de voir le jour dans presque toutes les régions. Les premiers schémas de convergence des systèmes d’information, au service des professionnels et patients, ont été élaborés. 

Des questionnements peuvent néanmoins demeurer, d’autant plus qu’il ne peut exister un modèle unique qu’il s’agirait de répliquer dans tous les territoires. Ces questionnements requièrent de notre part un accompagnement à la hauteur de la mobilisation des équipes hospitalières. Nous serons dans cette logique de facilitation en veillant à toujours garantir simplicité, flexibilité et pragmatisme dans la mise en œuvre.