Tribune

« L’exigence démocratique n’impose-t-elle pas que les comptes des organismes sociaux soient certifiés sans réserve ? »

Par
Michel Monier,
Ancien Directeur général adjoint de l’UNEDIC et membre du CRAPS

Les comptes 2024 de la Sécurité sociale étant certifiés avec réserve par la Cour des comptes1, j’ai demandé à l’IA de me dire les enjeux de cette certification. Voilà sa réponse : « La certification des comptes de la Sécurité sociale est un mécanisme incontournable pour garantir la transparence et la fiabilité des informations financières des organismes de sécurité sociale. Elle contribue à renforcer la confiance des citoyens et des partenaires institutionnels, tout en assurant une gestion rigoureuse des fonds publics. Les défis associés à ce processus nécessitent une vigilance constante et une adaptation aux évolutions réglementaires et opérationnelles. » C’est ainsi, fort de cet enseignement, que j’ai lu le rapport de certification de la Cour, haute juridiction financière qui :

« certifie avec réserve les comptes 2024 de quatre des cinq branches de prestations du régime général ainsi que ceux de l’activité de recouvrement. Elle émet à nouveau une impossibilité de certifier les comptes 2024 de la branche famille (réseau des CAF) et de la CNAF. En effet, le montant des erreurs non corrigées par les actions de contrôle interne est particulièrement élevé : 6,3 milliards de versements indus, mais aussi de prestations non versées ont été constatés à la fin de 2024, qui ne seront jamais régularisés. »

Voilà qui sème le trouble : si l’exigence de transparence des comptes est satisfaite, leur fiabilité appelle des réserves ! Les comptes de la Sécurité sociale, nous dit l’IA, transparents et fiables, renforcent la confiance des citoyens et des partenaires institutionnels et, pour la Cour des comptes, ces comptes ne sont pas certifiables sans réserve, voire pas certifiables du tout ! Le citoyen et les partenaires institutionnels dont s’inquiète l’IA ne sont pas rassurés. Inquiets du « trou de la Sécu », inquiets de la survie du système. Voilà qu’à ces inquiétudes citoyennes, doublement légitimes pour le citoyen-financeur et pour le citoyen-assuré social, viennent s’ajouter les réserves émises par la Cour pour cause des « incidences d’anomalies significatives et des insuffisances d’éléments probants » …

Les réserves émises à la certification de quatre des branches et la non-certification de la branche famille ne sont « que » de second ordre quand des réserves sont émises à la certification des comptes de la branche recouvrement qui « assure la gestion unifiée de la trésorerie des branches de prestations du régime général de Sécurité sociale ». C’est en toute logique que la Cour consacre le premier chapitre de son rapport de certification au recouvrement des 614,6 milliards d’euros de cotisations sociales pour « le compte des branches du régime général, de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), de l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unedic) et de plus de 800 autres organismes tiers. » Les 614 milliards d’euros recouvrés par les URSSAF pour le compte des organismes de sécurité sociale, la CADES, l’Unedic et 800 autres organismes tiers (800 !) sont donc certifiés avec réserves !

Entrons dans les détails mis en avant par la Cour.

Le premier renvoie aux « directions des ministères économiques et financiers de l’État [qui] assurent le recouvrement de contributions, d’impôts et de taxes affectés à la Sécurité sociale (110,1 milliards d’euros en 2024, contre 107,7 milliards d’euros en 2023) » qui, du fait des applications de gestion employées, « ne permettent toujours pas à l’Acoss d’en assurer une comptabilisation complète selon le principe des droits constatés […] une part de ces produits […] ne peut être ni comptabilisée ni notifiée par l’Acoss aux attributaires concernés sur le correct exercice. ». La branche recouvrement n’est donc pas seule responsable des réserves émises par la Cour à la certification de ses comptes : le mal est plus profond ! Les ITAf – ces impôts et taxes affectés à la « Sécu » – viennent biaiser les comptes de la Sécurité sociale. Ce serait donc l’entier système du financement de la protection sociale qui ne répond pas à l’exigence première de fiabilité et d’image fidèle des comptes !

Les seconds « détails », ce sont des insuffisances d’éléments probants et insuffisances du dispositif de contrôle interne.

L’insuffisante fiabilité des comptes de la « Sécu » est, curieusement, absente du débat public sur le financement du modèle social. Les réserves émises par la Cour si elles sont adressées à la gouvernance des organismes de sécurité sociale doivent « interpeller » les 800 attributaires des URSSAF. Pour autant que des anomalies significatives et des insuffisances d’éléments probants dans les comptes et procédures des URSSAF puissent avoir des conséquences non significatives dans les comptes des attributaires, ne doivent-ils pas s’inquiéter des « incertitudes affectant les estimations comptables de produits à recevoir et de dépréciations des créances » ? (§ D de la partie Opinion de la Cour sur les comptes de l’activité de recouvrement de l’exercice 2024) ?

La « gestion unifiée de la trésorerie des branches de prestations du régime général de Sécurité sociale » est-elle au niveau non seulement des exigences professionnelles, mais aussi des exigences démocratiques, les unes comme les autres appréciées au regard des 720 milliards d’euros de flux financiers « entrants » (et autant de « sortants ») sous la responsabilité des URSSAF ? Les attributaires (!) de la branche recouvrement n’ont-ils pas leur mot à dire sur l’adaptation des dispositifs de contrôle lourds d’enjeux pour la maîtrise de leurs flux financiers et leur traduction dans leurs comptes que le qualificatif « d’attributaires » rendrait subsidiaires ? Le sujet ne doit être réduit à un sujet technique pour les seuls initiés aux arcanes de la certification des comptes !

Quand la réforme des retraites fait l’actualité sociale et que la perspective (ou l’idée) de confier aux partenaires sociaux la gestion du régime général des retraites du privé vient au débat, les partenaires sociaux n’ont-ils pas des exigences à formuler sur les conditions du recouvrement par les URSSAF et sur les six cas pour lesquels la Cour ne dispose pas d’éléments probants suffisants pour certifier sans réserve les comptes de la branche retraite (§ B de la partie « Opinion de la Cour sur les comptes de la Cnav ») ?

Non, le sujet n’est pas technique ni interne aux organismes de sécurité sociale. Quand la dépense sociale mobilise l’équivalent d’un tiers du PIB, l’exigence démocratique n’impose-t-elle pas que les comptes des organismes sociaux soient certifiés sans réserve ?

Sources :

1. Cour des comptes, Finances et comptes publics – Certification des comptes du régime général de Sécurité sociale – Exercice 2024 – Mai 2025.