recherche médicale les idées des acteurs
L’exploitation des données en vie réelle permet d’affiner la pharmacovigilance et l’évaluation des rapports coûts – bénéfices – risques des innovations médicales

Marco Fiorini & Marc Bonneville

Délégué général de l’alliance pour la recherche et l’innovation des industries de santé (ARIIS), Président de l’ARIIS

La médecine et les soins évoluent de pratiques empiriques vers des approches personnalisées, fondées sur une compréhension de plus en plus fine des caractéristiques individuelles de chaque maladie. Ces enjeux requièrent une analyse approfondie des caractéristiques biologiques et physiopathologiques individuelles, à l’échelle moléculaire, cellulaire, tissulaire, clinique, environnementale et épidémiologique : pour ce faire, la masse et la diversité de données deviennent de plus en plus importantes, comme le besoin d’intégration à travers des outils informatiques qui soient à l’échelle. Pour ce faire, la croissance conjointe des capacités de calcul et de stockage permet de développer des « macroscopes » : des méthodes statistiques permettant de considérer un nombre croissant de données, en masse et en typologie, pour proposer des règles de corrélation de plus en plus affûtées. Ces pratiques sont connues sous le nom « d’intelligence artificielle » (IA).

L’industrie de santé utilise ces technologies pour accélérer la conception de solutions médicales, qu’il s’agisse d’outils de prévention, de diagnostic ou de traitement : les mécanismes sous-jacents de maladies et leurs cibles thérapeutiques sont mieux identifiés, les biomarqueurs diagnostiques ou pronostiques plus personnalisés, la modélisation structurale des protéines et la prévision du docking des candidats médicaments plus rapides et plus sûres. L’IA peut également accélérer l’évaluation clinique : des outils de stratification des patients permettent de réduire la taille et le coût des études cliniques et, aux États-Unis, des premières branches placebo totalement numériques voient le jour, en attendant de véritables jumeaux numériques. Enfin, l’exploitation des données en vie réelle permet d’affiner la pharmacovigilance et l’évaluation des rapports coûts – bénéfices – risques des innovations médicales.

Au regard de toutes ces transformations, comment aider « l’écosystème France » pour qu’il soit dans le « peloton de tête » d’une compétition mondiale ? L’accès aux données fait partie de la réponse : les données sont un matériau nécessaire à ces innovations, qui sert la chaîne de valeur apportée au patient, de la prévention jusqu’à la guérison. Des enjeux importants, souvent oubliés, sont d’ordre organisationnel et humain : l’écosystème public et privé a besoin de se structurer pour accompagner et accélérer les innovations possibles. La France a partiellement pris conscience de ces enjeux dans la phase d’exécution du rapport de Cédric Villani sur l’IA, avec la constitution d’un Health Data Hub, qui regroupe principalement les données médico-administratives nationales.

Ces données gagnent à être appariées à des données physiopathologiques. En d’autres termes, elles seront utiles à adresser des questions larges si elles sont valorisées par les données des cohortes et des entrepôts des grands sites hospitaliers nationaux. Pour ce faire, les décrets restent lettre morte s’ils ne prennent pas en compte les modèles économiques de retour sur investissement de ceux qui contribuent à créer et maintenir ces bases, et ces rapprochements ne pourront être menés que si chacun y trouve un intérêt, à la fois médical et économique. À cet égard, un groupe de travail (GT) du programme « IA et santé » du Contrat stratégique de filière, porté par 2 membres d’ARIIS (Sanofi et Medtronic), a travaillé avec l’ensemble des parties sur des propositions de modèles économiques équilibrés, avec des cas d’usage en cours de déploiement. Avec la même optique de valorisation des données médico-administratives, un second GT porté par MSD, Pfizer et Resmed s’est focalisé sur la reconnaissance de ces données pour l’évaluation des solutions thérapeutiques : des propositions devraient être publiées prochainement.

Comment prolonger ces réflexions et les ancrer dans des enjeux concrets ? Une idée est de fédérer les acteurs vers un objectif commun, autour de la modernisation des parcours de soins par les patients. C’est un enjeu sociétal national, un enjeu d’investissement public et un défi accessible au tissu économique.

À cet égard, le ministère de la Santé déploie une stratégie de transformation du système de santé, avec une série de thématiques pilotes (BPCO, diabète, épilepsie, maternité…) et des primes à la qualité perçue. Nous sommes convaincus qu’une vision amplement partagée de ces parcours, avec le tissu des petites et grandes industries de santé, permettra de se focaliser sur des jalons des parcours où, au regard des forces nationales, des innovations sont accessibles à court terme.

Un des objectifs serait de déployer des solutions utilisées par les patients, pour qu’ils soient de plus en plus acteurs de leur propre parcours, et aptes à l’améliorer eux-mêmes. Nous espérons également aider l’accélération de nouvelles technologies dans les hôpitaux, pour aider les spin-off développées au cœur des cliniques et leurs incubateurs. Nous espérons contextualiser les investissements réalisés par les financeurs publics et privés, pour que ces innovations puissent se placer dans une vision d’ensemble partagée, ce qui renforcera la soutenabilité des investissements réalisés. Nous souhaiterions mobiliser la filière des industries d’analyse des données autour de ces problématiques parce que leurs résultats seront utiles à toute la filière santé. Nous espérons que les petites et grandes industries de santé, qui vont apporter des innovations, partageront les données générées pour enrichir le corpus de données publiques et faire évoluer les indicateurs de performance, pour un véritable dialogue médicalisé sur la qualité perçue par les patients avec les structures de soins. Nous espérons enfin permettre des déploiements accélérés et plus homogènes sur le territoire, afin que l’on puisse pousser le plus loin possible la maturation d’innovations émergentes en France.