recherche médicale les idées des acteurs
La découverte du fonctionnement intime du cerveau (domaine des neurosciences) modifie complètement le concept même des psychothérapies

Dr Jean-Yves Pérol

Psychiatre spécialiste des troubles du sommeil, ancien interne du CHRU de Clermont-Ferrand & ancien médecin attaché des hôpitaux

« Quelques remarques à propos des relations entre le monde de la psychiatrie et le monde de la recherche. »

Introduction

Le domaine de la recherche est probablement le plus important pour l’évolution de la psychiatrie française tout simplement…

Le XXe siècle a été caractérisé par une « grande frilosité » des psychiatres français par rapport aux recherches scientifiques :

• Références surprenantes à des textes « quasi religieux » écrits au XIXe siècle et au début du XXe siècle…
• Dédain, pour ne pas dire mépris, de tout l’apport des neurosciences et des travaux « modernes » en sciences sociales (et toute statistique sérieuse, expérimentation gérée de façon scientifique), extraordinaire apport des thérapies comportementales et cognitives depuis les années 60 avec une multitude de validations scientifiques.

Heureusement, à partir des années 1980 et surtout depuis le début du XXIe siècle, on note une évolution des mentalités.

Dans le domaine des psychothérapies au sens large

Ce domaine est tellement vaste que l’étude de quelques pistes ci-dessus décrites constitue seulement une ébauche.

La découverte du fonctionnement intime du cerveau (domaine des neurosciences) modifie complètement le concept même des psychothérapies ; par exemple, la découverte récente du « réseau cérébral par défaut », qui a pu être mis en évidence seulement par les IRM fonctionnelles, permet d’accentuer les relations entre la mémoire et le sommeil par exemple et de mieux comprendre les fonctions de régions anatomiques comme l’hippocampe, l’amygdale cérébrale, le système vagal parasympathique, la plasticité cérébrale, etc.

On comprend donc de mieux en mieux l’intérêt des pratiques psychothérapiques régulières et en réalité sur toute la vie, comme la relaxation, le sport, la sophrologie, l’hypnose, la méditation de pleine conscience, et probablement même des pratiques ancestrales comme le taï-chi, le yoga, etc.

Les travaux récents sur la notion de conscience menés de façon très précise en France sont probablement d’une très grande importance.

Les éléments psychothérapiques très efficaces montrent qu’on peut diminuer une souffrance psychologique qui, probablement, ne correspond pas au sens médical strict à une pathologie psychiatrique.

L’accompagnement psychothérapique traditionnel dans les pathologies psychiatriques semble être actuellement aidé de façon remarquable par « la médecine informatique » ; par exemple, la transmission de constantes biologiques par les nouveaux moyens de l’intelligence artificielle et de l’informatique ouvre la porte à des prises en charge totalement différentes, complémentaires et très efficaces…

L’importance des groupes de psychoéducation dans les pathologies psychiatriques chroniques (trouble bipolaire, dépression chronique, addictologie, état délirant chronique) a montré une remarquable efficacité ; on peut se demander si une quasi-obligation de pratique de ce type de psychoéducation dans les centres de soins ne serait pas une mesure particulièrement efficace dans la prise en charge de ces pathologies.

Dans le domaine neuroscientifique

On ne peut qu’être étonné du retard ou de la difficulté d’application des méthodes modernes récentes et efficaces :

Dans le domaine de l’inquiétude et des phobies et des attaques de panique ainsi que dans le domaine du stress post-traumatique, l’apport des thérapies comportementales et cognitives révèle une remarquable efficacité ; la « réalité virtuelle », qui est une application très comparable à cette prise en charge, se montre d’une étonnante efficacité dans le traitement des phobies et des attaques de panique comme le montre l’équipe marseillaise du Dr MALBOS depuis près de 10 ans !…

La compréhension plus fine des chimiothérapies devrait être plus expliquée : par exemple, aller mieux avec une faible dose d’antidépresseur ne veut pas dire qu’on est dépressif, puisque ce type de médicament à faible dose augmente la sérotonine cérébrale ce qui a pour conséquence de diminuer la perception du danger par le système amygdalien.

Contrairement à ce qu’ils croient, ces patients ne sont pas dépressifs au sens médical du terme mais simplement inquiets ; on peut se poser la question, par exemple aussi, sur le rôle des futurs dérivés, très nombreux, du cannabis qui peut probablement jouer un rôle un peu identique avec des effets secondaires à mesurer.

De même, dans les rapports entre la Justice et la Psychiatrie, de nombreux travaux de recherche (surtout canadiens) ne sont pas ou peu connus et plutôt mal acceptés par la psychiatrie française ; pourtant, le scandale de beaucoup d’expertises psychiatriques dans le contexte juridique devrait amener les psychiatres français à modifier de façon considérable leur perception de l’état de santé mental des personnes en face de la justice ; les travaux canadiens, depuis maintenant 20 ans, ont bien montré leur supériorité et empêcheraient le spectacle que nous avons actuellement de deux grands experts psychiatres qui disent devant les tribunaux exactement l’inverse avec des éléments identiques au départ !

Enfin, les relations entre la psychiatrie et le monde du travail posent de plus en plus une question ne serait-ce que l’augmentation considérable depuis une dizaine d’années des demandes de prise en charge psychiatrique de difficultés liées aux activités professionnelles ; là-encore, il semble que la psychiatrie française ait une grande difficulté à faire la différence entre une souffrance et une maladie ; là-encore, il faudrait que soit pris en compte le fait qu’il est peu probable que le cerveau des homo sapiens français soit différent du cerveau des homo sapiens du reste du monde… les chiffres avancés d’une pathologie mentale de 10, 15 voire 20 % au niveau des Français semble totalement irréaliste puisque la pathologie mentale d’homo sapiens doit probablement tourner autour de 4 à 7 %, ce qui est déjà considérable…

Conclusion

Il faut souhaiter que dans les 10 à 20 années à venir, la recherche psychiatrique française se rapproche des codes d’analyse des modes de fonctionnement de la recherche mondiale ; nous ne sommes qu’au début de la compréhension un peu plus fine du fonctionnement de cet organe extraordinaire qu’est le cerveau en relation avec l’ensemble du corps ; par contre, il est probable que ce type de recherches devrait être tout à fait positif pour « le futur de l’espèce humaine »…