« Alles ist leer, alles ist gleich, alles war 1 ». Ainsi parlait Zarathoustra. Ainsi pensent les français. Du moins, si l’on en croit différents sondages publiés courant décembre…

Hector Streby 

L’hebdomadaire « Le Point » fait état d’un sondage effectué par BVA/orange les 18/19 décembre. 68 % de Français pensent que la situation de l’économie française sera moins bonne à la fin de l’année 2015, alors que seuls 30 % pensent qu’elle sera meilleure. Avant d’enfoncer le clou : les couches les plus défavorisées sont les plus pessimistes, avec 81 % d’opinions négatives contre 66 % pour les catégories les plus favorisées.

A quelques jours d’intervalle, le même hebdomadaire récidive en publiant l’étude annuelle BVA/WIN sur le moral des français. La France serait la deuxième nation la plus pessimiste au monde sur 65 nationalités, seuls les italiens apparaissent plus pessimistes que nous alors que les espagnols afficheraient un niveau d’optimisme peu compréhensible.

« Dimanche Ouest-France », le 5 janvier, confirme cette photographie en révélant que seuls 29% des français se disent globalement optimistes, le plus bas niveau depuis 20 ans !

Le mal semble désormais profond ! Et donc particulièrement préoccupant ! Chacun sachant que rien, en économie, ne se fait sans confiance, que rien ne se fait sans « ce lubrifiant des relations sociales » selon l’expression de Kenneth Arrow, prix Nobel d‘économie en 1972.

Le désabusement, voire le défaitisme agrémenté d’une pointe d’autoflagellation de nos compatriotes serait-il le fruit d’un regard froid sur nos maux persistants, à en devenir caricatural ?  

Curieusement, jamais depuis 2008 des raisons objectives ne sont apparues aux yeux des uns et des autres aussi nettement, permettant de « fatiguer le doute2 » et de croire raisonnablement, non pas que « les trente glorieuses » sont de retour – ce serait folie ! – mais, qu’une croissance substantiellement supérieure à celle que nous avons connue ces années passées est possible. 

Pour l’Institut national de la statistique 3, il semble acquis que la croissance doublera en 2015 par rapport au 0,4 % enregistré en 2014 et lors des deux années précédentes, puisque rien que sur le premier semestre de cette nouvelle année, le taux devrait atteindre 0,7 % soit 1 % en glissement annuel. Le Président de la République, plus optimiste que jamais, n’a-t-il pas affirmé au micro de France Inter le 5 janvier que si la croissance dépasse 1 % nous aurons devoir d’alléger notre dette en priorité !

Effectivement, tout porte à croire que la situation économique mondiale doit  « tirer » notre croissance en 2015.

D’abord la chute spectaculairement rapide du prix du baril de pétrole affichant depuis quelque temps 50 dollars, – du jamais vu ! – (120 dollars il y a quatre ans) doit apporter une bouffée d’oxygène à notre pays fortement dépendant des autres dans ce domaine en réduisant de facto notre facture énergétique. La baisse du coût de nos approvisionnements énergétiques entraînera une baisse de nos coûts de production et donc restaurera les marges de nos entreprises tout en favorisant la consommation des ménages.

Ensuite la baisse de l’Euro. « La tendance baissière des derniers mois, dans le sillage de la trop fragile reprise européenne, pourrait se confirmer. La banque d’affaires américaine Goldman Sachs a revu drastiquement en baisse ses prévisions pour la monnaie unique en septembre dernier : elle anticipait jusqu’alors un cours de 1,20 dollar pour un euro et s’attend désormais à un retour de la parité euro-dollar (1 euro = 1 dollar) pour la fin de l’année 2017. 4 » La monnaie unique européenne à 1,20 dollar atteint à ce jour son plus bas niveau depuis février 2006. Ce qui ne peut manquer de doper nos exportations et tendre, là encore substantiellement, au rétablissement de notre balance commerciale. 

Ceci est d’autant plus appréciable que le commerce mondial qui avait ralenti ces dernières années, a fortement accéléré au troisième trimestre 2014 (+ 2 % après + 0,7 % au premier trimestre) sur fond de reprise aux Etats-Unis et au Royaume-Uni et dans plusieurs autres pays avancés. Au premier semestre 2015, les échanges progresseraient de 1 % par trimestre, se rapprochant de leur tendance trimestrielle d’avant-crise (+ 1,3 %). 

Ainsi la demande adressée à la France augmenterait d’autant et les exportations françaises, soutenues par la dépréciation de l’euro, croîtraient de 1,1 % au premier trimestre 2015 et de 1 % au deuxième 5 ». 

Et pour amplifier tous ces éléments, « la reprise économique aux Etats-Unis devrait s’accélérer dans les prochains mois ; le boom énergétique, le recul du chômage et un rebond de l’investissement permettront à la croissance de connaître son rythme le plus soutenu en dix ans, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques 6 ».

L’Organisation a maintenu sa prévision d’une croissance de 3,5% en 2015, qui serait le rythme le plus soutenu depuis 2004 et le secrétaire général de l’OCDE Angel Gurria, en présentant l’étude, d’affirmer que «les Etats-Unis sont le point fort de la reprise mondiale aujourd’hui.

« Quant à l’investissement, le tout nouveau Président de la Commission Européenne7 s’en charge à travers un plan de relance,  « opérationnel en 2015 » et, s’il fonctionne, « sera reconduit pour la période de 2018 à 2020 ». « C’est le plus gros effort récent entrepris par l’Europe pour l’investissement. Pour chaque euro mis dans ce programme, on va générer 15 euros pour la recherche, le développement ou les infrastructures » selon ses dires. 

Mieux, c’est 1,3 million d’emplois qui est visé pour créer 300 à 400 millions d’euros de PIB à la richesse de l’Union, et Paris de mettre en garde : « On ne pourra pas laisser les projets français de côté. L’Europe se plaint suffisamment que la locomotive française est en panne ».

Ainsi « le but est de créer des emplois dans une Europe en mal de croissance et où le chômage des jeunes atteint des sommets. Jusqu’à 315 milliards d’euros seront investis dans des projets » espère l’équipe du Président.

A côté de ces éléments extérieurs, certains signes intérieurs apparaissent eux aussi favorables et renforcent la perspective d’un embellissement conjoncturel.

Citons les principaux. En premier lieu, l’institut de la statistique note « une légère amélioration du pouvoir d’achat due au relâchement de la pression fiscale et à la faible inflation. Après avoir stagné en 2013, le pouvoir d’achat des ménages se redresserait franchement pendant l’année 2015 (+ 1,2 %), du fait de l’accélération des revenus d’activité, d’une moindre pression fiscale (+ 2 % après + 4,2 %) et, bien sûr, de la faible inflation. Après un ralentissement à + 0,3 % en glissement semestriel au second semestre 2014, lié au calendrier des impôts, le pouvoir d’achat accélérerait de nouveau à 1 % au premier semestre 2015. La consommation des ménages, moteur traditionnel de la croissance française, progresserait d’ici à juin, mais un peu moins que le pouvoir d’achat, et le taux d’épargne remonterait à 16 % 8 ».

Par ailleurs, les mesures gouvernementales, depuis si longtemps annoncées, se mettent en œuvre depuis le 1° janvier. Relancer la croissance et l’emploi en France, c’est précisément l’objectif du Plan gouvernemental dont l’objet est de donner aux entreprises les moyens d’embaucher et d’investir, d’abaisser le coût du travail et de réduire la fiscalité des entreprises. L’adoption du budget rectificatif 2014 entame la mise en œuvre de ces mesures.

Et le tout doit être accompagné par un choc de simplification visant à « désincarcérer » l’économie française étouffée par une politique de normes menées depuis plus de trente ans. Ce sont 200 mesures à l’adresse des entreprises, des particuliers et de l’Administration. Emblématique, le principe du «silence vaut accord» est entré en application le 12 novembre dernier.

Alors pourquoi tant de pessimisme de la part de nos compatriotes au moment même ou la conjoncture internationale nous envoie enfin des signaux positifs, ou l’Europe, cette chose si mal perçue car trop lointaine, cette caricature de la technocratie, se lance dans « un pari audacieux 9 » aux dires des uns, à remplir son rôle aux yeux des autres, et ou le gouvernement français amorce un revirement quasi idéologique aussi brutal qu’inattendu.

Parce que, malgré tous ces éléments, malgré cette convergence de faisceaux favorables, nos maux, ceux que chacun, que chaque famille ressent confusément mais profondément quotidiennement, ne pourront que perdurer en 2015. Le phénomène se traduisant dans le long terme par la certitude que nos enfants vivront moins bien que nous-mêmes !
Durement touchés, des pans entiers de notre économie ne repartiront pas, à court terme, de manière satisfaisante. Pour preuve, le secteur ô combien emblématique du bâtiment. Lorsque le bâtiment va, tout va ! Comme l’affirme le dicton populaire.

Or les chiffres publiés en toute fin d’année par le ministère du Logement « font apparaître que les mises en chantier de logements neufs ont de nouveau diminué, passant sous le seuil symbolique des 300 000 sur les douze derniers mois. De septembre à novembre, 81 112 logements neufs ont été mis en chantier. Cela représente 4,7 % de moins que sur la même période l’année précédente. En d’autres termes, aucune amélioration n’est envisageable à court terme car le nombre de permis de construire accordés pour des logements neufs – annonciateurs de mises en chantier à venir – ne se redresse pas. Ils ont même dégringolé de 11,8 % sur le trimestre allant de septembre à novembre, à 92 643 10 ».

Sur douze mois, le nombre de permis de construire est en recul de 11,9 %, à 381 701 unités !

Et après l’habitat, le travail. Les chiffres catastrophiques des derniers mois risquent de nouveau de s’égrener en 2015. Les différentes prévisions, de l’Unedic, de l’OCDE… laissent entendre que le chômage devrait augmenter de l’ordre de 120 000 à 135 000 demandeurs d’emploi supplémentaires. Le taux de croissance prévu (soit 1%) ne permettant pas de combler les destructions d’emploi. Pour cela, c’est 1,5% de croissance a minima qu’il faudrait atteindre ! Et la récente annonce de la SNCF – entreprise publique ! – de supprimer 1 200 postes illustre, si besoin est, le propos. En tout état de cause, le taux de croissance potentiellement atteignable en 2015 restera très insuffisant pour faire face à l’accroissement de la population active et selon toute vraisemblance «le taux de chômage augmenterait de nouveau pour atteindre en France 10,6% mi-2015.». Et 84 % des nouveaux contrats de travail sont aujourd’hui des CDD, d’une durée moyenne de 10 jours … Le paradis !

Michel Sapin, désormais ministre des Finances, qui n’était pas avare de déclarations plus optimistes les unes que les autres lorsqu’il avait directement en charge le Travail, admet spontanément en commentant la note de l’Insee dont nous avons déjà fait état: «La croissance en France dépendra aussi de la croissance en Europe». On ne se situe donc pas dans le court terme !

Les français ne peuvent que s’angoisser, lorsque le Premier ministre le 9 octobre dernier, devant la représentation nationale, déclare qu’une éventuelle réforme de l’Assurance Chômage n’est plus tabou ! Comment oublier l’épisode des recalculés et la mise en place de la dégressivité des allocations !

Car les points noirs ne s’arrêtent pas là. Après trois réformes successives dont chacune se voulait définitive, force est de constater que les caisses de retraite seront vides dans un délai de trois ans et que des décisions difficiles devront sans aucun doute être prises. Quelque soit la solution ou les solutions apportées, avec le vieillissement de la population, la baisse potentielle du pouvoir d’achat et donc de la consommation n’est pas une hypothèse d’école !

Et pour couronner le tout, le gouvernement en mettant fin au sacro saint principe de l’universalité des allocations familiales a montré que si besoin, – et le besoin ne frappe t-il pas à la porte ? – des mesures en rupture avec nos principes issus de la Libération seront prises.

Or personne n’est dupe ; l’économie prévue à hauteur de 50 milliards que l’Etat doit faire sur la dépense publique pour à la fois financer le plan de compétitivité des entreprises et freiner l’augmentation de la dette semble aujourd’hui plus de l’ordre du spéculatif intellectuel que de l’opérationnel déterminé. Il suffit de contempler les contorsions budgétaires réalisées par Bercy en novembre dernier – allant jusqu’à parier sur la résorption de la fraude sociale ! – lors de la  présentation à Bruxelles du budget pour se rendre compte que l’objectif défini ne va pas de soi. Ce qui signifie que le poids de la dette restera encore pour longtemps le deuxième poste budgétaire français ; le ver est bien implanté dans le fruit.

Patrick Artus, le 30 décembre, sur son blog, faisait état d’une étude comparant les pays de l’OCDE en termes de ratio coût/qualité de leur service public. « Cette analyse montre qu’il devrait être possible, en France, de maintenir la même qualité de service public en ayant des dépenses publiques plus faibles de 7 points de PIB (50 % au lieu de 57 %). Ceci nécessite d’accroître la productivité de l’État, et déjà que l’accroissement de la productivité devienne un objectif de l’État, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ». Ainsi, la réforme de la formation  – avec rien de moins que 32 milliards d’euros annuels en question – toujours d’actualité, sans pour autant être placée au rang des priorités absolues, montre la lenteur de la mise en œuvre de l’éventuelle réponse de l’action politique face à l’extraordinaire rapidité des mutations de tous ordres. En effet, selon cet économiste, entre l’incapacité de l’Etat d’augmenter son efficacité par la simple baisse de ses dépenses et l’incapacité de notre pays à réaliser sa nécessaire mutation en termes de « spécialisation productive », notre avenir serait fortement hypothéqué.

Alors que les vents venus de l’extérieur sont porteurs, la France saura-t-elle ou pourra-t-elle en profiter en termes de croissance, d’emploi, d’allégement de sa dette ? Rappelons-nous cette phrase de Pasteur qui aimait répéter que « le hasard ne profite qu’aux esprits préparés ». En l’occurrence point de hasard, l’économie sans pour autant être une science parfaite répond néanmoins à des règles vérifiées historiquement. N’allons-nous pas une fois de plus payer très chèrement notre « procrastination réformatrice » ?

1 Tout est vain, tout est égal, tout est révolu.

2 Jean Jaurès.

3 Note de conjoncture 18 décembre 2014 : « les freins se desserrent un peu. »

4 Le monde.fr 07-01-2015. Mathilde Damgé.

5 Le Monde.fr Claire Guélaud. 19-12-2014.

6 Reuters Howard Schneiders 13 -06-2014.

7 Jean-Claude Juncker 26-11-2014.

8 Le Monde.fr Claire Guélaud. 19-12-2014.

9 Le monde Economie Cécile Ducourtieux 25-11-2014.

10 Le Point 30 décembre 2014.