Tribune

« L’enjeu pour être efficient est de ne pas créer un système à deux vitesses mais de recréer notre système de justesse sociale dont on était si fier »

Pauline d’Orgeval
Cofondatrice et Présidente de la société à mission « deuxiemeavis.fr » & de l’association loi 1901 « Coactis-santé » fondatrice et ex-dirigeante de 1001listes

La santé n’est pas un service comme un autre. Elle revêt des caractères sociaux, solidaires et éthiques qui font d’elle une spécialité à part. Dans quelle mesure peut-on alors déontologiquement rechercher sa performance ? Sans doute serait-il plus juste de rechercher plutôt son efficience, centrée sur ses missions intrinsèques : l’accès à des soins de qualité pour tous, dans des conditions optimales de prise en charge médicale, sans discrimination aucune.

Une santé efficiente passe par un système de santé accessible à tous, d’un point de vue économique bien sûr : avec un reste à charge inexistant ou très faible pour les patients, mais pas seulement. Un système de santé accessible à tous est un système pensé pour tous, notamment ceux qui ont des besoins spécifiques comme les personnes en situation de handicap. Car, aujourd’hui, rien n’est pensé pour elles et par elles, ce qui conduit à des renoncements aux soins et à une médecine à deux vitesses. Une santé accessible, c’est aussi une santé « compréhensible » en termes d’information. 30 % des Français ont un faible taux de littératie en santé qui doit être compensé par des programmes d’information et d’éducation en santé. C’est d’ailleurs la mission de SantéBD, un outil de communication en santé qui s’adresse à tous mais qui est pensé pour que tous les patients comprennent.

Une santé efficiente est une santé qui respecte les singularités de chacun et pratique le juste soin : un soin qui pose toujours la question du sens et ne se résume pas à l’application d’un protocole ou à l’exécution d’un geste médical, un soin qui est personnalisé selon les besoins, les attentes et la situation de vie de chacun. Un sportif, une personne en situation de handicap et un pianiste n’auront pas les mêmes attentes. Le tout est de savoir faire preuve de créativité empathique et de créer une alliance thérapeutique avec le patient.

Car l’efficience en santé naît aussi de la décision partagée, combinaison de deux savoirs : celui du professionnel de santé qui détient la connaissance scientifique et celui du malade qui connaît son corps, son mode de vie et sa volonté de suivre le traitement. Pour cela, les médecins ne doivent pas hésiter, avant une décision médicale importante, à proposer un deuxième avis médical pour permettre au patient d’être acteur de sa santé, de mieux comprendre les décisions de santé et de conforter son choix thérapeutique.

Une santé efficiente passe par une réorganisation drastique des structures sanitaires :

– Il est urgent de redonner du temps médical aux soignants, grâce à des outils numériques, à l’intelligence artificielle et à la délégation de tâches ;

– Face à l’engorgement des consultations physiques, il serait utile de mieux qualifier les besoins en amont. Trop de consultations sont inutiles, car le patient arrive avec un dossier médical qui n’est pas complet ou alors la spécialité du médecin n’est pas celle qui convient. Une des clés de la performance en santé réside donc dans l’anticipation des consultations en s’appuyant, par exemple, au maximum sur de la télémédecine : par exemple, un avis préalable sur dossier en cas de problème de santé sérieux ? Cet avis permettrait d’orienter les patients vers le bon spécialiste, d’identifier les urgences ou au contraire de rassurer les patients à distance. Ce type de parcours n’existe pas encore en France et serait efficace sans réformer le système et à moindre coût ;

– Face aux progrès de la médecine, les médecins sont sur-spécialisés par pathologie. Cela devient un véritable parcours du combattant pour les médecins comme pour leurs patients d’identifier les médecins référents spécialistes de leur pathologie. Il est urgent de rendre transparente et plus lisible l’offre de soins, pour les problèmes de santé sérieux comme cela a commencé à être fait avec les centres de références des maladies rares ou encore les centres de références des cancers rares. Cette offre de soin plus lisible permet d’éviter les pertes de chance pour certains patients. C’est aussi une de nos missions, avec deuxiemeavis.fr, de permettre à TOUS d’accéder à l’expertise médicale.

Enfin, à l’hôpital notamment, les modalités de travail doivent être repensées pour être plus respectueuses des soignants. Notre personnel de santé est l’un des plus qualifiés et des plus performants au monde. Mais il est aujourd’hui à bout de forces. Ces professionnels de santé, qui avaient choisi ce métier parce qu’il avait du sens, se retrouvent aujourd’hui, au crépuscule d’une intense crise sanitaire, épuisés par la désorganisation d’un système de santé qui met à mal la mission en elle-même. Ce système très hiérarchisé gagnerait à s’inspirer d’un mode de management plus horizontal, plus centré sur le bien-être des salariés et plus valorisant que celui que certaines entreprises mettent en place.

Des progrès fulgurants sont en train de révolutionner la santé de demain, et c’est une bonne nouvelle. Pour être efficient, il est urgent d’arrêter de « panser » le système actuel ; il faut, au contraire, repenser le système de santé de demain en s’appropriant ces innovations technologiques, scientifiques et organisationnelles. L’enjeu, pour être efficient, est de ne pas créer un système à deux vitesses mais de recréer notre système de justesse sociale dont on était si fier. L’État doit avoir un rôle majeur en organisant la santé de demain, non pas en légiférant et en contraignant, mais avec une vision globale d’une santé juste et efficiente.

Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP