Tribune

Didier BAZZOCCHI, Vice-Président du CRAPS - Ancien Directeur général de MMA
« Les Complémentaires peuvent contribuer à renouer le fil de la confiance »

Didier BAZZOCCHI
Vice-Président du CRAPS – Ancien Directeur général de MMA

L’échec de la négociation conventionnelle entre la CNAM et les syndicats de médecins était annoncé. Cette fois, la confiance est rompue. Alors que les organismes complémentaires sont souvent le payeur principal pour les soins de ville, nous n’avons pas entendu leur voix durant cette crise. Que signifie ce silence assourdissant de ces organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM), qui disent être le second pilier de la protection sociale ?

Certes, ce silence ne date pas d’hier. Avec l’instauration du contrat dit « responsable » en 2004, puis l’hyper-administration de leur activité depuis 2013, l’Etat a mis les Complémentaires sous son joug, sans qu’on les entende protester. Elles ont ainsi perdu toute capacité d’initiative et d’innovation, au demeurant à la grande satisfaction du corps médical, dans un premier temps.

« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes » me direz-vous. Mais ce n’est pas des incertitudes de leur avenir dont il faut nous inquiéter, ni les plaindre des inconvénients de la situation qu’elles ont laissé advenir. C’est de l’absence de réponses aux préoccupations des citoyens, des difficultés actuelles pour accéder à des soins, de l’extension des déserts médicaux, de la baisse des prestations, alors que les cotisations d’assurance santé continuent quant à elles d’augmenter.

La mort cérébrale, que le Président de la République attribuait en 2021 à l’OTAN, ne s’appliquerait-elle donc pas aussi aux OCAM ? Ceci signifierait une perte définitive de toute conscience et de toute capacité de penser ! Préférons-lui la situation clinique de coma artificiel, provoqué par les puissants anesthésiants qui leur ont été administrés depuis 2004. Les fonctions vitales sont assurées (gestion des contrats, prestations, etc.), mais force est de constater que plus rien ne s’exprime !

En 2020, le traitement prescrit par le Ministre Olivier Véran avec son projet d’étatisation des complémentaires a provoqué quelques réactions sensorielles, notamment sous la forme d’un protocole d’accord signé en 2022 entre les fédérations d’OCAM et celles de professionnels de santé, sur la dispense d’avance des frais et la prévention. Ensuite : « plus personne, plus rien », comme l’écrivait Prévert dans son poème « les belles familles ». Voilà qui n’aidera pas à convaincre l’opinion publique que l’assurance de santé a un rôle à jouer pour garantir l’accès de tous à des soins de qualité aux côtés de la Sécurité sociale !

Pourtant, les sujets d’inquiétude ne manquent pas : quelles seront les conséquences pour les assurés d’un règlement arbitral se substituant à la convention médicale ? Quels seraient les effets délétères sur l’accès aux soins d’un dé-conventionnement, promu par certains syndicats médicaux ? Comment compenser la pénurie de professionnels de santé, notamment par le recours à la télémédecine ? Comment prendre en charge des traitements anticancéreux non financés ? etc. 

Qu’attendent donc les Complémentaires pour faire entendre leur voix ? Pour renverser la table ? Pourquoi ne les voyons-nous pas critiquer ce « contrat responsable », qui coûte cher aux assurés sans permettre aux Complémentaires de répondre à leurs attentes spécifiques, ni de trouver des marges de manœuvre pour innover et apporter des solutions nouvelles d’accompagnement personnalisé et de prévention ? Pourquoi n’expliquent-elles pas comment elles peuvent financer et susciter des actions de prévention et de soins ayant un impact sur l’espérance de vie en bonne santé des travailleurs vieillissants comme des retraités ? Pourquoi ne les entend-on pas dire haut et fort que le « bouclier sanitaire » en matière d’hospitalisation est la Complémentaire, qui absorbe les coûts individuels d’hospitalisation, les forfaits techniques, les suppléments d’honoraires et le coût des chambres particulières, globalement pour environ 10 milliards d’euros chaque année, offrant ainsi aux français le reste à charge le plus bas des pays de l’OCDE ? Pourquoi les Complémentaires ne mettent-elles pas en place hic et nunc des coopérations avec les professionnels de santé au profit des assurés ? Pourquoi enfin ne montrent-elles pas que le rationnement bureaucratique des dépenses de santé, au nom de l’égalitarisme et de la maîtrise comptable, produit l’effet inverse de celui escompté, à savoir un recul de l’accès aux soins des populations les plus vulnérables, à l’instar de ce l’on peut observer à la fois dans des systèmes de soins américains et britanniques, pourtant si opposés ? En quoi la solution du « tout marché » comme celle du « tout Etat » prive le citoyen de la liberté d’accéder à des soins de qualité et de choisir son médecin, par la sélection financière dans le premier cas, et par la pénurie d’offre de soins dans le second ?

Sauvegardons ce nécessaire équilibre entre financement public et financement privé, entre offre publique de soins et offre privée, qui a contribué au succès du système français de santé, jadis jugé comme le meilleur du monde. Les Complémentaires peuvent contribuer à renouer le fil de la confiance, participer à la nécessaire refondation de notre si précieux système de soins, laquelle ne pourra se faire que par l’écoute, la concertation, la coopération, toutes choses ignorées au cours de la séquence que nous venons de vivre pendant cette triste négociation conventionnelle. Gageons qu’elles sauront bientôt l’exprimer !