Tribune

Laurent PIETRASZEWSKI, Ancien ministre chargé des retraites et de la santé au travail, Président-Fondateur du Cabinet de conseil GRENEL - Membre du CRAPS

Hervé CHAPRON, Ancien Directeur général adjoint de Pôle emploi - Membre du CRAPS

Michel MONIER, Ancien Directeur général adjoint de l'Unédic - Membre du CRAPS
sauver le régime par répartition, c’est pérenniser un revenu différé en adaptant son ADN aux évolutions de la société

Laurent PIETRASZEWSKI
Ancien ministre chargé des retraites et de la santé au travail, Président-Fondateur du Cabinet de conseil GRENEL
– Membre du CRAPS

Hervé CHAPRON
Ancien Directeur général adjoint de Pôle emploi – Membre du CRAPS

Michel MONIER
Ancien Directeur général adjoint de l’Unédic – Membre du CRAPS

Reculer l’âge d’ouverture des droits ne confère pas seulement à l’actuelle réforme des retraites le caractère d’un simple ajustement comptable, il s’agit de réaffirmer notre confiance dans notre Pacte républicain ! La France n’a cessé de réformer sa Protection sociale, pour maintenir la confiance dans un système, aujourd’hui hybride, qui doit rester bismarckien, financé principalement par les cotisations sociales.

Car en réalité sauver le régime par répartition, c’est pérenniser un revenu différé en adaptant son ADN aux évolutions de la société, aux nouvelles formes d’emploi, au dynamisme de la démographie. Au-delà des paramètres, la réforme vise la préservation du principe redistributif et du principe de contribution constitutive de droits futurs certains. C’est bien de la solidité de notre Pacte républicain dont il s’agit !

Réformer pour restaurer la confiance.

Notre système de retraite est un système par répartition : il assure là le lien intergénérationnel. Il est contributif : il assure des droits à un revenu différé financé par des cotisations réparties entre employeurs (60 % ) et salariés (40 %). La confiance est la base de ce système.

Les jeunes générations perdent confiance dans notre système de Protection sociale, dont un des piliers – les retraites – n’échappe pas à la dette depuis des décennies malgré l’empilement des réformes. Leurs craintes : financer les pensions des retraités d’aujourd’hui au risque de ne pas percevoir leur part de cette solidarité intergénérationnelle à leur tour. Sortir du fétichisme de l’âge, c’est de toute évidence assurer le pouvoir d’achat des retraités de demain en sauvant, dès aujourd’hui, le caractère contributif de droits futurs ; ce n’est donc pas seulement assurer le versement des retraites d’aujourd’hui. En cela, la réforme participe à restaurer la confiance, cette « institution invisible »1, sans qui et notre Pacte républicain et notre régime de retraites deviendront des moulins à vent : redonner confiance dans le système davantage que dans la dette !

Réformer pour rendre lisible le système.

Depuis les années 1975, les transformations de l’économie, les tensions sur le marché du travail et l’évolution de la structure et des formes de l’emploi ont incité à mettre en place et à développer tout un arsenal de politiques publiques d’allègement des cotisations sociales tout en pratiquant une politique de déficit budgétaire conséquente pour soutenir la demande. L’évangile de 1945 s’est délité au fil des Trente Piteuses. Or, dans son dernier rapport sur la Sécurité sociale, la Cour des comptes pointe « des niveaux de financement par cotisations ou par impôts en cohérence incertaine avec les prestations servies » et « des circuits de financement peu lisibles et instables ». La Cour rappelle notamment que le « financement par des cotisations prélevées sur les revenus du travail correspond à une logique de revenu différé », et invite à « réexaminer les affectations d’impôts à la Sécurité sociale en fonction de leurs finalités ».2 En d’autres termes, la Cour incite à rendre plus lisible le système pour retrouver la cohérence entre les financements contributifs et les prestations acquises. Rester ainsi aujourd’hui attaché au fétichisme de l’âge, serait accepter inconsciemment la métamorphose sans retenue vers un modèle beveridgien, fiscalisé, au sein d’un pays surendetté. C’est in fine participer à saper la valeur travail et faire du niveau des pensions servies une variable d’ajustement budgétaire !

Réformer pour une ambition sociétale.

La dynamique de la réforme repose sur un changement de paradigme : les entreprises doivent s’adapter pour maintenir dans l’emploi leurs seniors. Il faut construire sans délai une politique du vieillissement actif et abandonner les stratégies d’exclusion des travailleurs expérimentés. La Finlande, la Suède, le Danemark, le Japon y parviennent depuis de nombreuses années. Cela nécessite de revisiter nos parcours professionnels, de repenser les rythmes et organisation de travail par le dialogue social et de mettre en oeuvre une véritable politique publique de valorisation des seniors.

Les entreprises doivent prendre toute leur part de ce défi. Elles se sont déjà adaptées par le passé à la féminisation de la main d’oeuvre, aux attentes des jeunes générations, et dernièrement en un temps record au télétravail. Nouvelle contrainte certes (qui peut s’accompagner d’incitations financières, formation professionnelle, adaptation de poste) mais surtout une formidable opportunité de reconstruire le pacte Républicain intergénérationnel au travail.

L’emploi des seniors est une ambition de société, une hausse automatique de l’employabilité de la population active, une opportunité de flexibilité de l’emploi et un levier pour le pouvoir d’achat puisque sortir du fétichisme de l’âge en acceptant deux ans de plus de travail3, c’est une amélioration immédiate des 25 dernières années et donc du pouvoir d’achat des retraités bénéficiaires de cette réforme.

La réforme des retraites, une nécessaire réforme financière pour donner les moyens de restaurer la confiance, pour éviter de basculer dans un système beveridgien, dans un régime de retraite minimale universelle fiscalisée, pour une ambition sociétale… Sortons de tous les fétichismes et totems, sauvons le régime par répartition, accompagnons enfin la réforme par un effort pédagogique, rendons lisibles les comptes publics et ainsi garantissons les droits contributifs des salariés à un salaire différé…

Consolidons notre Pacte républicain !

1. Kenneth Arrow, prix Nobel d’économie. La confiance « institution invisible » cité in « Reconstruire la confiance dans le système des retraites : les leçons de la réforme interrompue », Pierre Mayeur, Regards, 2020/2.

2. Cour des comptes, rapport 2022 sur la Sécurité sociale, Chapitre II Le financement de la sécurité sociale : des règles à clarifier et à stabiliser.

3. 31 % des sondés seraient prêts « à travailler plus pour gagner plus ». Cette proportion est deux fois supérieure à la proportion des sondés déclarant qu’ils voudraient « travailler moins, quitte à gagner moins ». Cf. Les Français au travail : dépasser les idées reçues RAPPORT – FÉVRIER 2023- institut montaigne.