Tribune

« Pour assurer la confiance, la réponse scientifique en appelle à la pédagogie, seule capable de lutter contre des critiques qui sont alors décrites comme non scientifiques, voire irrationnelles »

Brice Laurent
Directeur, Dir. Sciences Sociales, Economie & Société (Anses), Chercheur (Mines Paris)

Un système de santé ne peut fonctionner sans confiance, celle que les patients et leurs familles accordent aux soignants, mais aussi celle que l’ensemble des citoyens accorde aux décideurs et aux experts chargés de le concevoir, le faire fonctionner et parfois le transformer. Or, la confiance fait aujourd’hui l’objet d’une forte préoccupation. Des controverses sur des sujets scientifiques et techniques sont très visibles et certains s’inquiètent de la défiance envers la science dont ferait preuve la population française. La résistance à la vaccination est souvent commentée en ces termes. Elle serait l’illustration d’une défiance croissante, voire d’un refus de la science, qui s’avérerait d’autant plus choquante qu’elle se manifeste au sein même du « pays de Pasteur ».

Le problème de la défiance suscite fréquemment une réponse scientifique. Cette réponse considère que lorsque de nouvelles préoccupations sanitaires surviennent, c’est à la science qu’il faut faire appel. « Le principe qui nous guide, c’est la confiance dans la science », annonce Emmanuel Macron en mars 2020 au moment où est créé le Conseil scientifique, en faisant alors l’hypothèse que c’est la science qui garantira la qualité des décisions mais aussi la confiance envers celles-ci. Pour assurer la confiance, la réponse scientifique en appelle à la pédagogie, seule capable de lutter contre des critiques qui sont alors décrites comme non scientifiques, voire irrationnelles. Mais cette réponse s’avère incapable d’assurer la confiance, car elle ignore la complexité des relations entre sciences et société.

En faisant l’hypothèse que la défiance est issue d’un déficit cognitif qu’il s’agirait de combler, la réponse scientifique ne peut rendre compte du fait que nombre de critiques des décisions fondées sur la science s’expriment dans des milieux caractérisés par un haut niveau éducatif, qu’elles se confrontent fréquemment à la littérature scientifique, et qu’elles visent à explorer les incertitudes scientifiques. Dans le domaine médical, du sida aux myopathies, les exemples d’implication des patients non experts dans la production des connaissances scientifiques sont nombreux. Ici, les critiques envers le système de santé sont moins le fait d’une contestation de la science que d’une volonté de participation à une exploration des questions de recherche, mais aussi d’une mise en avant de situations de vulnérabilité mal prises en compte.

Deuxième élément que la réponse scientifique peine à saisir, les problèmes scientifiques les plus sensibles sont aussi des problèmes sociaux, et ce, particulièrement en matière sanitaire. La crise du Covid a bien montré qu’un problème comme celui de la réouverture des écoles ne pouvait être pensé indépendamment d’un ensemble de préoccupations économiques et politiques, et que les décisions associées ne peuvent qu’être liées à des choix de société. Enfin, la réponse scientifique tend à ignorer le fait que la défiance est moins adressée à la science en tant qu’activité humaine qu’à des institutions chargées de l’utiliser pour la décision, et dont l’histoire a montré qu’elles n’ont pas toujours été capables d’éviter des scandales sanitaires. Le fait que la résistance à la vaccination soit extrêmement forte aux Antilles n’est à ce titre pas étranger à l’héritage du chlordécone.

On doit ainsi considérer que la science mobilisée sur les questions sanitaires n’est jamais unique ni définitive, que sa crédibilité dépend de celle des institutions qui la produisent et qui l’utilisent, et qu’elle est nécessairement associée à des choix de société. La conséquence, c’est que la réponse scientifique doit être décalée vers une réponse démocratique pour répondre au problème de la défiance. Car assurer la confiance, c’est parvenir à moins mobiliser une « science » qui serait faite une fois pour toutes et automatiquement disponible qu’à faire vivre l’exploration de la diversité des questions scientifiques et sociales qui sont associées aux décisions sanitaires. Au final, c’est aussi accepter la nécessité d’un dialogue étroit avec l’ensemble des acteurs susceptibles de mener cette exploration mais aussi d’assurer la légitimité des institutions publiques de l’expertise.

La réponse démocratique fait de la confiance un objectif qui ne peut être atteint que par le biais d’une patiente construction collective attentive à la diversité des positions et des problèmes, capable de repérer les vulnérabilités et les implications politiques des choix techniques, et soucieuse d’impliquer au maximum les acteurs concernés dans le fonctionnement des institutions sanitaires. En prenant au sérieux la réalité de la pratique de la science pour la décision et ses enjeux sociaux, la réponse démocratique est seule capable de bâtir les conditions de la confiance envers le système de santé.

Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP