Donner-Recevoir, deux verbes, deux verbes d’action, deux verbes de plaisir… un sens à l’action, un quotidien enrichi de rien mais qui résonne de tout

Fabien Brisard

Délégué Général du CRAPS

Anne et Georges, couple ordinaire comme il en existe tant, subissent au soir de leur vie, l’inéluctable déclin physique que certains nomment sans détour, naufrage. Rien de plus banal ! Rien de plus poignant !

Le génie de Michael Haneke, le réalisateur de ce film, palme d’or au festival de Cannes en 2012, réside certes à mettre en scène avec subtilité, tout en finesse, par touches dégradées, le face à face douloureux de deux monstres sacrés du 7° Art que sont l’incomparable Jean-Louis Trintignant et la divine Emmanuelle Riva, redoutables l’un et l’autre de précision. Mais c’est aussi, et peut-être surtout, loin des clichés habituels, du galimatias réchauffé dégoulinant de bons sentiments donnant facilement bonne conscience, d’une pitié bon marché, de braquer avec justesse son objectif et son œil acéré sur la dépendance de fin de vie, technocratiquement dénommée 5ème risque (sic), cyniquement référencée de silver économie.

Anne et Georges sont nous ! A la fois tendres et désenchantés, lucides et désespérés, enfermés malgré eux dans une dramaturgie d’autant plus angoissante qu’elle est inéluctable et que nous en sommes d’autant plus tous conscients qu’elle sera nôtre ! 

Un lien intergénérationnel ! Mais c’est bien sûr… Force est de constater qu’après des décennies d’Etat Stratège et d’Etat Providence, les politiques publiques ont vocation non seulement à prévoir mais à répondre aux besoins des administrés…Certes et pourtant chacun dans sa propre vie, son propre quotidien s’aperçoit qu’entre concept et réalité, qu’entre objectif et résultat l’écart est précisément la mesure de la détresse, le poids du désespoir de celles et ceux qui statistiquement n’existent pas ! 

Le supplétif de l’Etat Providence désormais défaillant, situation économique oblige ! c’est bien évidemment la société civile, celle constituée des sans grades, des invisibles sans qui rien ne serait possible, ceux qui ne possèdent que l’intelligence du cœur ! 

Maud, 22 ans, – notre interlocutrice – en est un exemple frappant. D’une allure déterminée, d’un tempérament passionné, d’une vision humaniste, elle nous expose sans détour son engagement en faveur de nos aînés : « Vieillir, hélas ! disait mon père, mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé de ne pas mourir jeune ». Nous voici plongés dans l’univers de la Fée Carabine, paradoxalement dans la poésie de Daniel Pennac. Pour autant, rien ne peut nous faire oublier qu’un quart de nos aînés souffrent d’isolement…Quel sens accorder au progrès médical, au progrès social, au progrès au sens le plus large si, ceux à qui nous devons la liberté, l’égalité par leur engagement quel qu’en soit la nature au cours de leur vie au sein d’un siècle pour le moins complexe, la fraternité leur est refusée…   

C’est précisément à ce combat, celui de la reconnaissance intergénérationnelle, celui en faveur de la création d’un lien indéfectible, protéiforme dans sa mise en place, chaleureux dans son quotidien, sociologiquement évident, entre celles et ceux qui ont tellement à donner et celles et ceux qui ont tant à recevoir.

Le rythme de la vie et la vie rythmée ! 3 600 battements de la plus belle trotteuse, inimitable et indispensable à offrir à l’Autre et sans doute à soi-même : Donner-Recevoir, simplement, avec évidence, naturellement… Donner Recevoir deux verbes, deux verbes d’action, deux verbes de plaisir… un sens à l’action, un quotidien enrichi de rien mais qui résonne de tout…1heure, 3 600 secondes par semaine, rien…une présence, un regard, un sourire c’est-à-dire tout. La renaissance, la sensation d’exister, un réconfort, un espoir…La vie continue. Pas comme avant, mais elle continue !  

Véritable « Tinder » de la solidarité intergénérationnelle, Donner Recevoir, une simple association, une de plus… Pas sur ! Vous choisissez « votre partenaire » selon vos affinités. Regarder Maud exprimant à sa manière, avec sa sensibilité sa rencontre avec une nonagénaire isolée prénommée Marylou, « sa grand-mère affective ». Pendant près de 5 ans Maud a accompagné celle qui deviendra au fil des discussions, des balades, son amie, mieux… sa complice ! Maud aura été pour Marylou tout à la fois une amie, une confidente mais aussi un formidable soutien dans sa découverte de cette machine bizarre et rebutante que la jeunesse vénère et qu’elle appelle « outil informatique ».

Marylou voit désormais quotidiennement enfants et petits-enfants… « L’art d’être grand-père » mais à la sauce XXI° siècle… Facetime, Skype et bien d’autres trucs, machins, bidules mystérieux qui abolissent les distances, réchauffent le monde, partagent les joies, les fous rires et les petits tracas. Marylou voit désormais le Monde et l’Humanité différemment…  

Moi je t’emmènerai… Déguster une douzaine d’huîtres en Normandie, se balader sur les grands boulevards parisiens, visiter le château de Versailles… A la fois fort de sa créativité et de sa simplicité, Donner Recevoir, réseau du cœur, organise une multitude d’activités visant à divertir les personnes vivant actuellement dans plus de 30 EHPAD partenaires ! Et parce que le toucher est un sens vital à la fois pour découvrir, pour redynamiser, l’association a mis en place la « papouillothérapie »… Réveiller les sensations, retrouver le goût de vivre, c’est pourquoi Donner Recevoir propose les services de masseuses et d’esthéticiennes une fois par trimestre et naturellement bénévolement  pour les personnes âgées !

Adhérer ou soutenir : c’est facile ! Pour continuer à faire vivre cette si belle idée de la vie, il faut des moyens humains et financiers ! Comment en serait-il autrement ? Créée en 2003, comptant aujourd’hui plus de 160 bénévoles, de tous horizons et tranches d’âges, Donner Recevoir cherche à développer géographiquement et à renforcer en termes d’effectif son réseau. Basée actuellement en Région parisienne, l’association ne manque pas d’ambition pour sensibiliser notamment les EHPAD et les Conseils départementaux à ses objectifs et actions. Si ce qui rayonne peut parfois éblouir, ce qui illumine ne peut qu’éclairer…L’on ne peut alors que se satisfaire d’en faire l’écho.