Avec son cortège d’horreurs et de souffrances, la Seconde Guerre mondiale donne également au monde combattant l’occasion d’exprimer son besoin de solidarité.

Rose-Marie Antoine

Ancienne Directrice de l’ONAC

Un insidieux virus attaque notre société et nous voilà rappelés à nos vulnérabilités, conduits à réfléchir sur le sens que nous donnons aux mots de sécurité et de solidarité. Nous le savons, c’est toujours dans l’adversité que nous nous révélons avec nos faiblesses mais aussi nos vertus. à bien des égards, l’Histoire le montre et les combattants d’hier en sont un illustre exemple.

Dans l’enfer de la Grande Guerre, confrontés à la terreur et à la mort au quotidien, de jeunes hommes issus de toutes origines, unis dans un même destin, découvrent le sens du partage. Une puissante fraternité les unit et c’est en elle qu’ils puiseront, une fois les armes rendues, la force de survivre et de se reconstruire ensemble. Aujourd’hui, le civisme, le patriotisme extrême de cette génération disparue force le respect, elle est aussi riche d’enseignements.

L’intérêt manifeste suscité par les commémorations du centenaire a permis de mesurer la valeur inestimable de cet héritage mémoriel légué par nos aînés et, en cette époque d’incertitudes, il est intéressant de revenir sur cet apport.

Malgré les drames et les épreuves endurés, ces hommes, pour la plupart très jeunes et profondément abîmés, sont les premiers à prendre leur destin en main et à se projeter ensemble dans un avenir commun.

Sans le savoir, ils s’engagent dans une forme d’innovation sociale. Survivants valides et mutilés, tous vont faire preuve d’un talent d’inventivité sans pareil pour subvenir à leurs besoins essentiels et relever la tête.

Dès le cessez-le-feu, ils s’organisent et donnent vie à un intense réseau associatif couvrant l’ensemble du territoire jusqu’aux plus petites communes. L’entre-deux-guerres est alors le temps de la responsabilité citoyenne et de l’éclosion d’une multitude d’initiatives comme le loto dont La Française des jeux assure aujourd’hui la continuité, et l’œuvre nationale du Bleuet de France, toujours d’actualité. Les gueules cassées, les invalides de guerre se montrent sur la voie publique. Ils y vendent leurs billets et les fleurs en tissu qu’ils fabriquent eux-mêmes dans des ateliers de fortune à l’hôpital militaire des Invalides, c’est pour eux le début de l’autonomie et de la dignité retrouvées.

Ce mouvement de grande ampleur conduit l’état à prendre sa part de responsabilité. Les premiers offices départementaux des combattants sont créés sur l’ensemble du territoire pour mettre en œuvre le droit à la reconnaissance et à la réparation inscrit dans le CPMIVG – Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre – aujourd’hui toujours en vigueur comme l’est aussi leur gestion paritaire qui garantit le dialogue social. L’esprit mutualiste naît alors au cœur de la Grande Guerre.

Avec son cortège d’horreurs et de souffrances, la Seconde Guerre mondiale donne également au monde combattant l’occasion d’exprimer son besoin de solidarité. Ce sont les résistants qui agissent les premiers. Dans la France occupée, un groupe d’hommes appartenant à tous les partis politiques, tous les syndicats, tous les mouvements combattants fonde le CNR – Conseil national de la Résistance – et s’engage pour un avenir qu’ils veulent libre et plus égalitaire. Leur détermination se traduit dans un programme si bien nommé « Les jours heureux » et de cette ambition naîtront des avancées sociales majeures et durables comme le suffrage universel, les nationalisations et la Sécurité sociale.

De natures différentes, les guerres d’Indochine et d’Algérie laisseront de profondes blessures physiques et psychiques chez les combattants et l’espace associatif sera leur refuge, le lieu d’échange de souvenirs et de l’entraide. C’est ainsi qu’ensemble et quel que soit l’avis qu’ils portent sur les guerres qu’ils ont vécues, ils défendent des intérêts communs. Véritable force de propositions, ils deviennent des interlocuteurs incontournables des élus comme des représentants de l’État auxquels ils réclament de nouveaux droits qu’ils obtiennent progressivement.

Ces droits si chèrement gagnés bénéficient aujourd’hui aux nouvelles générations du feu qui obtiennent la carte du combattant au terme de quatre mois d’engagement en opération extérieure et le titre de reconnaissance de la Nation au bout de 90 jours. En accédant à ce statut si particulier, ces engagés volontaires entrent ainsi dans la grande famille du monde combattant et en éprouvent une grande fierté.

C’est une évidence, les combattants d’hier et d’aujourd’hui font partie d’une même lignée et malgré la différence de statut : appelés d’hier ou engagés d’aujourd’hui, ils ont en commun l’expérience des combats et des violences que ceux-ci engendrent. Ces épreuves ont développé en eux le sentiment commun d’appartenance à une même communauté faisant partie d’une même Nation riche de ses valeurs et de son Histoire.

Depuis les années 60, le visage de la guerre a changé : l’éloignement des théâtres d’opération a maintenu les Français globalement dans l’indifférence jusqu’aux attaques terroristes qui ont brutalement endeuillé la France. Le réveil brutal fait prendre conscience du rôle rassurant des forces armées qui sont appelées en appui des forces de sécurité de l’intérieur.

Les militaires sortent alors de l’ombre. Sentinelles armées, ils apparaissent dans l’espace public pour défendre et assurer la protection des civils alors que d’autres, en dehors du territoire national, continuent de se battre au péril de leur vie.

La mort a frappé plus que d’habitude durant ces dernières années. Elle portait le visage de nos soldats, de nos gendarmes, de nos policiers. Les obsèques nationales des militaires morts pour la France comme ceux des gendarmes morts pour le service de la Nation relayés par les médias ont donné lieu à des élans collectifs de gratitude. Soudainement, chacun a réalisé que la paix durable n’était pas garantie même pour une démocratie affirmée comme la nôtre et qu’une défense nationale était essentielle.
Après plusieurs décennies d’une certaine forme d’insouciance collective, nous accédons à une nouvelle étape en rupture avec le passé. Celle-ci devrait logiquement nous inviter à plus de vigilance, de responsabilité et de solidarité. Nous discernons mieux la multitude des dangers qui pèsent sur nos sociétés modernes. Ceux-ci sont de toute nature. Nous mesurons aussi les défis que les générations futures vont devoir relever.

Dans cette perspective, la France a besoin de mobiliser tous ses talents pour affermir son poids dans le monde et garantir sa défense. Celle-ci repose avant tout sur des hommes et des femmes qui ont choisi le métier des armes. Ce métier est exigeant, il s’inscrit dans le respect indispensable d’une éthique, il réclame courage, discipline et loyauté, des principes qui s’apprennent et se vivent au sein des unités des forces armées. Servir est la raison d’être du militaire, sa vocation est de répondre à l’appel du devoir.

La récente pandémie a été l’occasion de mesurer les difficultés de fonctionnement de nos services publics mais elle a aussi démontré la réactivité avec laquelle certains ont répondu à l’appel à mobilisation ; le Service de santé des Armées a prêté main-forte aux autorités sanitaires du Grand Est pour faire face à la vague d’urgences qui a submergé les hôpitaux de la région. Dans l’ensemble des secteurs, l’armée s’est engagée en apportant son soutien aux institutions civiles, en adaptant son action aux contextes locaux et toujours dans le cadre d’un dialogue avec les autorités locales.

Cette capacité d’adaptation n’est pas facile pour tous les services de l’état soumis à des règles différentes que celles des armées.

L’État a ses forces et ses failles. Pour accomplir ses missions, il s’appuie sur des hommes et des femmes qui doivent sans cesse s’adapter à un monde en mutation constante. Le mode de fonctionnement du service public évolue lentement, et les attentes des citoyens de plus en plus pressantes ne sont pas toujours compatibles avec les contraintes et les lourdeurs des règles qu’il s’est lui-même fixées. La société civile peut aussi, sans attendre, prendre son destin en main et ouvrir la voie à l’innovation sociale comme les grands anciens pour se faire entendre. C’est en dehors de l’administration que la dynamique se déclenchera, en portant des projets, en créant des espaces d’échange et de partage, en prenant des risques aussi.

Les profondes mutations que nous vivons au quotidien, nous imposent de revoir nos modes de vie, de les faire évoluer et de porter un nouveau regard sur notre environnement et ceux qui nous entourent. C’est un nouveau contrat social qui s’annonce et la crise sanitaire en a accéléré l’urgence. Dans ce contexte inédit, la société tout entière a pris conscience de ce qu’elle doit à ceux qui la soignent et la protègent, elle l’a d’ailleurs manifesté chaque soir par ses applaudissements mais il faut aller plus loin et ne pas se limiter à réagir quand la crise est déjà là, il importe d’anticiper.

Un grand nombre de professions a besoin de reconnaissance sociale. Comme les soignants, les militaires ont un sens aigu du service, ils défendent nos valeurs avec la particularité d’utiliser la force et eux aussi comme tous les citoyens ont besoin de reconnaissance.

Ils exercent un métier contraignant qu’ils ont librement choisi, ils en connaissent tous les risques et attendent la compréhension de ceux qu’ils défendent. Sans elle, comment surmonter le traumatisme que peut constituer le fait de tuer ou d’ordonner de tuer ?

C’est là une responsabilité unique propre à ce métier qu’il importe d’avoir toujours en tête avant d’émettre un jugement de valeur.
Redevenus civils, après quelques années d’engagement, encore jeunes, après avoir vécu une expérience unique, ils doivent pouvoir trouver dans la vie civile toute la place qui leur revient en assumant pleinement ce qu’ils ont fait pour leur pays.

Or, fonder une famille, trouver un emploi dans le monde civil, se loger, n’est pas simple en cette période de crise économique. Pour l’intérêt de tous, ce retour mériterait d’être mieux préparé et accompagné dans la durée afin de faire de cette expérience au service de la France un atout d’intégration et de fierté. Le ministère des Armées a déployé ces dernières années de grands moyens pour aider les soldats et leurs familles, et cette action volontariste était attendue et nécessaire.

Souvent marqués dans leurs têtes et parfois dans leurs corps, ces hommes et ces femmes sont parfois longuement traumatisés et ont des difficultés d’intégration sociale. Il est donc important de les suivre après leur temps de service ; c’est un devoir collectif qu’il est utile d’entreprendre avec les intéressés eux-mêmes afin qu’ils s’organisent à l’image des anciens. Des associations existent et ne demandent qu’à les accueillir. Celles-ci sont structurées de longue date, et pourraient répondre aux besoins des nouvelles générations du feu au travers des projets de parrainages, par exemple, et de nouvelles associations pourraient se créer. La revitalisation du tissu associatif passe par l’adhésion de nouveaux membres jeunes et volontaires. Le relais des générations doit pouvoir se passer ainsi.

Riches d’expériences, tous ceux qui se sont battus pour la France ont à apprendre de leurs pairs. Partager leur mémoire, échanger leur expérience et leurs témoignages et les mettre au profit de la jeunesse comme l’ont fait leurs aînés avant eux, encadrés par le corps enseignant, telle serait une bonne manière d’aborder l’histoire contemporaine et de développer l’esprit critique des collégiens et lycéens.

C’est une évidence : un mouvement civique s’est engagé ces dernières années et ne cesse de s’amplifier. Il a déjà donné naissance à la réserve citoyenne qui a été source d’inspiration pour la mise en place récente de la réserve sanitaire créée à l’occasion de la pandémie et celle-ci a démontré sa grande efficacité. Elle a surtout montré qu’un grand nombre de jeunes gens sont prêts à s’engager volontairement pour une cause commune. Le Service universel pourrait aussi être le lieu d’apprentissage de ces nouvelles solidarités.

Avec la fin inexorable du nombre de ceux qui ont combattu pour la France durant le siècle dernier, une nouvelle façon d’aborder le monde combattant s’impose.

L’État doit poursuivre son soutien assidu aux blessés, aux familles endeuillées, aux pupilles de la Nation, statut protecteur qui pourrait s’assouplir pour être donné aux enfants de ceux qui ont pris tous les risques pour sauver des vies à l’image des soignants qui sont morts durant la crise sanitaire. L’État doit être le premier à se montrer reconnaissant et à donner l’exemple.

À son image, tous les citoyens ont un rôle à jouer : les organisations non gouvernementales comme les associations, les fondations doivent maintenant s’exprimer au titre de la société civile et elles seront d’autant plus écoutées et soutenues si elles font des propositions constructives pour l’intérêt général.

Le monde combattant de demain ne doit pas échapper à cette règle, cela suppose aussi son unité, la mise en commun de ses moyens. La situation générale appelle aujourd’hui ce type de mobilisation et d’évolution, le moment est donc venu d’agir. L’avenir de la jeunesse mérite ce sursaut collectif, il y va de notre avenir, alors n’attendons pas !