TRIBUNE
Il est temps que l’Union européenne impose un seuil minimal chiffré de protection pour chacun de ses citoyens, matérialisé par un salaire minimum ainsi que par un revenu social plancher calculé en pourcentage du salaire médian national

Nathalie François

Manager à YCE Partners

Nier en bloc l’existence d’une « Europe sociale » serait faire injustice à l’Union européenne. La Protection sociale et l’accès à l’emploi sont incontestablement des sujets dont l’Union européenne se saisit… dans les limites du mandat que les États membres veulent bien lui concéder sur le sujet.

À savoir celles fixées par les articles 151 à 161 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui prévoient que l’exercice des compétences de l’Union européenne s’exercera « à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et règlementaires des États membres », tout en ayant la possibilité d’« arrêter (…) des prescriptions minimales applicables progressivement, compte tenu des conditions et des règlementations techniques existant dans chacun des États membres » (art. 153 TFUE). 

Mais également les limites régulièrement imposées à l’Union européenne par les États membres lors des négociations sur ces sujets. Le fonctionnement de l’Union européenne, institution supranationale, implique en effet directement les États membres, au sein du Conseil de l’Union européenne, lors de la procédure ordinaire d’élaboration des règlements et directives.

Il reste que tant le Socle européen des droits sociaux – approuvé conjointement par le Parlement européen, le Conseil et la Commission le 17 novembre 2017, lors du sommet social de Göteborg –, que la directive du 28 juin 2018 sur les travailleurs détachés – qui consacre le principe « à travail égal, rémunération égale sur un même lieu de travail » – témoignent de l’activité de l’Union européenne dans le domaine social. 

Bien que non-coercitif, le Socle consacre « un ensemble de principes et de droits essentiels pour doter l’Europe du XXIe siècle de marchés du travail et de systèmes de Protection sociale qui soient équitables et qui fonctionnent bien », tels que le droit à un salaire équitable, à la formation, aux soins de santé ou encore à l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces principes ont depuis lors pu servir de base à l’adoption de nouvelles normes sociales à l’échelle européenne, comme en atteste la définition d’un seuil minimum pour les congés maternité et paternité.

Ces résultats ne sont toutefois pas suffisants pour « réenchanter l’Europe », selon la formule maintenant consacrée. Comme l’a proclamé le monde mutualiste dans son manifeste du 4 février 2019, si on veut « renouer avec un récit européen », « l’Union européenne doit aussi bénéficier aux plus précaires » pour « porter une vision de l’Europe, juste, redistributive, respectueuse de l’humain et de l’environnement ».

Sur le terrain de la politique sociale, il est donc temps d’oser passer le cap d’une convergence minimale « vers le haut » (le mot harmonisation étant interdit). Il est temps que l’Union européenne impose un seuil minimal chiffré de protection pour chacun de ses citoyens, matérialisé par un salaire minimum ainsi que par un revenu social plancher calculé en pourcentage du salaire médian national. 

Et c’est là une question de volonté des États membres !

Pour leur part, tant le Parlement européen que la Commission ont déjà manifesté leur soutien à ces mesures. Monsieur Juncker a indiqué, dès janvier 2017, que : « Quel que soit le travail, il faut un salaire minimum dans chaque pays de l’Union européenne (…), la même remarque vaut pour les revenus minimums d’insertion ou des revenus minimum garantis ».

De même, le Parlement européen indiquait dans sa résolution préalable à l’approbation du Socle qu’« un marché unique qui fonctionne exige l’établissement d’un noyau dur de droits sociaux communs à tous les travailleurs en vue de prévenir une concurrence fondée sur les conditions de travail » et recommandait dès le 14 septembre 2014, dans une résolution sur le dumping social dans l’Union européenne, « l’instauration de planchers salariaux sous la forme d’un salaire minimum national, (…) dans le but de parvenir progressivement à au moins 60 % du salaire moyen au niveau national ».

Le Socle européen des droits sociaux prévoit d’ailleurs qu’« un salaire minimum adéquat doit être garanti » (Art. 6.b) et que « toute personne ne disposant pas de ressources suffisantes a droit à des prestations de revenu minimum adéquates pour vivre dans la dignité à tous les stades de sa vie » (Art. 14), sans pour autant fixer de seuils minimaux chiffrés obligatoires, faute de volonté des États membres.

L’imposition de tels seuils permettrait de rendre tous les citoyens européens un peu plus égaux. Sans compter les effets bénéfiques sur la réduction du dumping social. 

L’ensemble des États membres disposant, légalement ou par le biais d’accords pris entre partenaires sociaux, de tels mécanismes, le vrai débat sera celui des chiffres : 60 % ou plus ou moins ? Du salaire moyen ou du salaire médian ? Cela devra, sans doute, faire l’objet d’âpres négociations, durant lesquelles il ne faudra toutefois pas perdre un chiffre de vue : celui du seuil de pauvreté qu’Eurostat fixe à 60 % du revenu disponible (soit après impôts et prestations sociales) médian national. S’autoriser à fixer un salaire minimum européen en dessous du seuil de pauvreté manquerait cruellement d’ambition et… de dignité.

La mesure concernée ne devrait du reste pas se limiter à lutter contre le dumping social en se concentrant sur le revenu minimum applicable aux travailleurs, mais également s’étendre à un revenu social minimal, pour se donner l’objectif fédérateur d’éradiquer la pauvreté dans l’UE… où, selon les derniers chiffres d’Eurostat disponibles, 87 millions de citoyens européens vivent sous le seuil de pauvreté (soit plus d’un citoyen européen sur six).

La question de l’aide que l’Union européenne pourrait apporter à certains États membres pour financer une telle mesure, fut-ce provisoirement – comme elle le fait dans d’autres domaines – devra aussi être posée pour faire vivre pleinement le principe de solidarité européenne.

Si c’est de volontés politiques des états membres dont nous avons manqué lors de la dernière législature pour aboutir sur ces sujets, les élections européennes à venir sont une belle occasion pour les citoyens européens de maintenir un Parlement et une Commission ayant de telles ambitions sociales, mais aussi (et surtout !) de définir avec clarté le cap qu’ils entendent voir leurs dirigeants nationaux prendre sur le sujet, pour que le Socle ne soit pas qu’une opération de communication