TRIBUNE
La performance de leur système de santé suppose un équilibre de leurs comptes comme la vitalité de leur économie est une condition à l’existence de leur système de santé

Jean-Paul Ségade

Vice-Président du CRAPS

Je suis à Paris depuis plusieurs lunes et j’ai toujours été dans un mouvement perpétuel concernant un domaine qui fait tous les jours le délice de l’actualité. C’est la santé qui fait la une de tous les journaux et des commentaires, si les Français se portent les mieux du monde chrétien, leur système les rend inquiets, et les médecins comme les acteurs sont en totale souffrance  pour un système que beaucoup de mes sujets envieraient.

Si leur médecine a voulu qu’elle guérisse la plupart des maux, ils ignorent les principes qui garantissent la vie de toute organisation : son équilibre  économique et crient au scandale quand un de leur savant préconise un système équilibré alors qu’ils savent bien au fond d’eux même que la réforme s’impose et que nier l’économique ne fait que précipiter leur système dans l’échec.

J’ai essayé d’en savoir plus sur les causes, et j’ai eu, hier, à Ségur, un entretien fort instructif. Je crois que c’est le lieu le plus respectable de la Terre, et on y trouve la même activité que dans nos riches ruches de Perse. Quoi de plus admirable que de voir ces administrateurs se sacrifier à une cause qui semble, de leurs aveux, impossible à tenir ! Au sein de cette ruche, le prince est un grand magicien. Il nomme une Commission présidée par un grand vizir et des sages ou prophètes. Cette commission élabore un rapport qui est exposé à la presse comme si l’exposition suffisait à régler le problème. Est-ce l’habitude de ces pays chrétiens qui, en exposant le Saint Sacrement, guérissent les malades, qui les ont conduit à attribuer à leur rapport le même succès ? Mais  ces chrétiens ont inventé une méthode infaillible pour réformer sans que rien ne bouge. J’ai assisté à une conférence que je n’oublierai jamais. Lors de cette conférence de presse, le prince s’avance et annonce qu’il va régler le problème à partir d’aujourd’hui. La presse l’annonce le lendemain et la magie est jouée : tous les acteurs sont satisfaits mais rien ne se passe. La santé est un exemple parmi tant d’autres, où l’on voit les Ministres se succéder en déclarant qu’ils maîtriseront les dépenses… en augmentant les recettes. Que ces princes possèdent une telle sorcellerie, mon cher Rustan ! Ils arrivent à convaincre que l’on peut régler un problème par un remède approprié à son contraire.

Devant ma perplexité, une de nos connaissances me conduit à l’Hôpital Saint-Antoine. Dans cet établissement, j’ai vu des malades, des docteurs et des infirmiers qui ont failli être violents quand j’ai parlé d’économies comme si le diable en personne leur était apparu. Faut-il qu’il y ait beaucoup d’argent dans ce pays pour considérer qu’en parler c’est déjà un crime et que les termes productivité, rentabilité ou économies soient des blasphèmes dans la bouche de certains ?

Je ne peux encore pas comprendre pourquoi les Français n’ont pas compris que l’intérêt des docteurs, des malades et des hôpitaux se trouvait dans la gestion commune et équilibrée de leurs actions. L’équilibre des comptes aujourd’hui est la garantie de leur système pour demain. La bonne gestion économique est donc au service public ce que la vertu est à leur République, elle est le gage de sa pérennité. Ils ont oublié alors qu’un de leur plus grand philosophe (Montesquieu) avait, bien avant nous, démontré cette relation.

Cette réflexion je l’ai apprise ici, lors de mes études : « Aureng-Zèbe, à qui on demandait pourquoi il ne bâtissait point d’hôpitaux, dit « je rendrai mon empire si riche, qu’il n’aura pas besoin d’hôpitaux ». Il aurait fallu dire : je commencerai par rendre mon empire riche, et je bâtirai des hôpitaux. Comme je te le disais dans ma précédente lettre « L’intérêt des particuliers se trouve dans l’intérêt commun de vouloir s’en séparer, c’est vouloir se perdre, que la vertu n’est point une chose qui doit nous coûter, qu’il ne faut point la regarder comme un exercice pénible » » (lettres à Mirza).

La performance de leur  système de santé  suppose un équilibre de leurs comptes comme la vitalité de leur économie est  une condition à l’existence de leur système de santé. Les Français seraient-ils exclus par magie de ces principes… que la France est un pays merveilleux où l’on peut se soustraire des lois de la nature…