Interview croisée

Portraits de Théo Klargaard et Anne Smetana
Aujourd’hui, plus de 40 villes sur 4 continents ont rejoint le programme, touchant potentiellement près de 150 millions de personnes habitant dans ces aires urbaines à forte densité.

Théo KLARGAARD & Anne SMETANA
Responsable des affaires publiques & gouvernementales de Novo Nordisk & Attachée santé à l’Ambassade Royale du Danemark en France

Pourquoi le programme Cities Changing Diabetes ?

Théo Klargaard : Le programme Cities Changing Diabetes, lancé à Copenhague à l’initiative de Novo Nordisk, est parti d’un constat : deux tiers des personnes diabétiques de type 2 vivent en ville. C’est un chiffre qui reflète l’influence de l’environnement urbain sur les modes de vie. Vivre en ville favorise en effet la sédentarité ainsi qu’une alimentation déséquilibrée.

Ce phénomène a malheureusement été aggravé par la crise de Covid-19 qui a eu une grave incidence sur le manque d’activité des personnes. L’enquête CoviPrev 2020 de Santé Publique France soulignait une hausse de la sédentarité pendant le premier confinement. Les personnes de catégories socioprofessionnelles moins favorisées (CSP-) ou sans activité professionnelle sont particulièrement concernées par le manque d’activité, ainsi que les femmes les moins diplômées, en arrêt de travail ou au chômage partiel.

La hausse exponentielle du surpoids et de l’obésité jouent un rôle considérable dans la progression du diabète.

Anne Smetana : Le Danemark est souvent associé à un mode de vie sain et durable. En réalité, les inégalités en matière de santé sont importantes, en particulier chez les personnes ayant un faible niveau d’éducation, sans emploi ou vivant dans la pauvreté. Le diabète et l’obésité progressent donc, notamment dans les villes. C’est dans ce contexte que Novo Nordisk a lancé en 2014, en lien avec l’University College London et le Steno Diabetes Center de Copenhague, le programme de prévention mondial Cities Changing Diabetes (CCD). Son objectif est de lutter contre le diabète et l’obésité, notamment en sensibilisant les populations fragiles, publics jeunes et précaires et ce en s’appuyant sur les acteurs locaux et c’est ce qui fait la force et l’originalité de cette démarche.La hausse exponentielle du surpoids et de l’obésité jouent un rôle considérable dans la progression du diabète.

Quel bilan dressez-vous depuis son lancement ?

T.K. : Aujourd’hui, plus de 40 villes sur 4 continents ont rejoint le programme, touchant potentiellement près de 150 millions de personnes habitant dans ces aires urbaines à forte densité. Pour autant, le bilan n’est pas facile à dresser à court terme. Il s’agit donc moins d’un bilan que de 3 convictions fortes :

Premièrement, on le sait, la prévention n’est jamais aussi efficace que menée à un niveau de proximité très fort avec les populations. Pour cela, l’échelle locale et collective est le meilleur niveau d’action pour répondre aux besoins. C’est l’ambition de notre groupe danois : étendre au maximum les partenariats locaux pour avoir une approche préventive transverse (en milieu scolaire, à travers le sport, à travers une meilleure alimentation, etc.).

Deuxièmement, il faut connaître les caractéristiques des villes afin d’établir des actions ciblées pour être efficaces. Il faut pour cela inscrire la démarche dans une analyse scientifique, afin de mesurer l’impact des initiatives CCD sur l’épidémiologie locale du diabète et de l’obésité, quartier par quartier, pour répondre à des besoins réels. À Strasbourg par exemple, première ville française à rejoindre le programme, le taux de personnes diabétiques prises en charge est particulièrement élevé par rapport au niveau national (+ 23 %) et régional (+5 %).

Une étude réalisée par l’Observatoire Régional de la Santé (ORS) du Grand-Est dans le cadre du projet CCD a mis en évidence le lien entre la situation socio-économique des patients et le risque de diabète et d’obésité. À titre d’exemple : le grignotage entre les repas est 2,7 fois plus fréquent chez les élèves domiciliés dans les quartiers populaires de l’Eurométropole que chez les élèves résidant dans les quartiers aisés. 1 élève sur 8 en grande section de maternelle est en surpoids à Strasbourg. Ces enseignements sont essentiels pour ajuster les actions de la coalition CCD de l’Eurométropole, notamment auprès des jeunes générations et renforcer les connaissances sur le diabète urbain.

Troisièmement, l’action locale n’est efficiente que si elle est corrélative de politiques publiques nationales ambitieuses pour lutter contre le fléau du diabète urbain et de l’obésité. Le programme Cities Changing Diabetes ne remplace pas la conduite d’actions à plus grandes échelles, il leur est seulement complémentaire sur le plan très local.

A. S. : Le Danemark porte une « diplomatie de la prévention » à travers le Healthcare Denmark et en promouvant l’initiative Cities Changing diabetes à travers le monde. De nombreuses délégations internationales se rendent ainsi au Danemark pour voir la manière dont cette initiative a influencé le modèle de prévention danois. C’est une très bonne chose !

Strasbourg est la première ville française à rejoindre l’initiative. Quels sont les atouts de la ville pour agir contre le diabète et l’obésité ?

T. K. : Capitale européenne, lauréate d’un Appel à Projets « Territoires de santé de demain », Strasbourg est dotée d’un écosystème d’entreprises et d’associations très riche favorisant ce type d’initiative.  Malgré des taux de prévalence du diabète élevé, Strasbourg dispose en effet d’atouts pour infléchir l’augmentation des maladies métaboliques chroniques, et a souhaité s’investir pour au moins 3 ans dans une démarche pionnière impliquant une coalition d’acteurs publics et privés, locaux et nationaux, agissant auprès des populations vulnérables.

Celle-ci y a par exemple développé en lien avec l’Eurométropole, un partenariat avec deux associations sportives, Siel bleu et Unis vers le Sport pour promouvoir la santé par le sport ; mais aussi des sessions de sensibilisation avec les banques alimentaires, des cours de cuisine itinérants et un dispositif innovant de serres connectées dans les écoles avec la start-up alsacienne Myfood. Il y a aussi un partenaire de référence dans cette coalition : le Centre européen d’étude du Diabète présidé par le Professeur Pinget.

A. S. : C’est une ville intéressante avec un écosystème de santé dynamique. Nous essayons par ailleurs de faire travailler Copenhague et Strasbourg ensemble afin de nous inspirer mutuellement de nos systèmes de santé respectifs, de nos différentes approches. Nous pouvons nous apporter beaucoup. En effet, les collectivités territoriales à Copenhague travaillent systématiquement avec tous les acteurs pour définir des objectifs communs et élaborer une politique de prévention cohérente pour une ville. Cela peut être une source d’inspiration pour les parties prenantes de l’initiative.

Quelle est la force de la coopération public-privé sur laquelle s’appuie Cities Changing Diabetes ?

T. K. : Cities Changing Diabetes se construit en effet avec des acteurs locaux : les services de la ville et de l’Eurométropole, le CHU, mais aussi avec des professionnels de santé, des associations, des ONG, des entreprises privées. Il s’agit de créer un écosystème partenarial et local, public et privé, avec des acteurs susceptibles d’apporter des solutions concrètes pour lutter contre le diabète et l’obésité. Si ce n’est pas évident en France, cela fonctionne et Strasbourg en est l’exemple.

A. S. : Cette coopération public-privé est directement inspirée du modèle danois dans lequel l’État fixe les grandes orientations en matière de santé publique, ensuite concrétisées par les collectivités. Dans ce système, les municipalités sont responsables de la prévention des maladies, de la promotion de la santé et des services de réadaptation en dehors des hôpitaux, avec les acteurs privés pleinement investis et reconnus dans ce rôle. Après la crise sanitaire, les systèmes publics sont sous tension. Nous avons besoin les uns des autres, nous avons besoin de développer de nouveaux partenariats et de nouveaux modèles à l’instar de l’initiative Cities Changing Diabetes pour favoriser l’innovation et collaborer sur les questions de prévention.

Quelle est l’ambition du programme Cities Changing Diabetes pour l’avenir ?

T. K. : Avec Cities Changing Diabetes, nous voulons démontrer que les actions de prévention, pour être efficaces, doivent être déployées au plus près des habitants car c’est une histoire de lien social. La richesse des enseignements du programme présent dans 40 villes sur 4 continents a aussi vocation à dupliquer les initiatives qui fonctionnent. Tout récemment, le programme a été cité en exemple dans un dernier rapport1 corédigé par Cédric Arcos et Gérard Friedlander. C’est aussi cela l’objectif, inspirer de nouveaux modèles au plus près des territoires français.

A. S. : Les défis qui émergent sont nombreux. Nous devons continuer de nous inspirer les uns les autres pour prendre les meilleures décisions et utiliser les méthodes les plus pertinentes. Pour l’avenir, la qualité des environnements urbains jouera un rôle de plus en plus important dans la détermination des enjeux de santé publique. Nous devrons donc penser la prévention en prenant en compte ces évolutions, notamment dans le cadre de l’initiative Cities Changing Diabetes.

1 Rapport de l’Institut Montaigne intitulé « Santé : faire le pari des territoires ».