Tribune

« Seuls 35 à 65 % du temps de travail des soignants est véritablement dédié au soin »

Matthieu Girier
Président de l’ADRHESS et Directeur du pôle des Ressources Humaines au CHU de Bordeaux

Les presque quinze années qui se sont écoulées depuis la promulgation de la loi Hôpital Patients Santé Territoire de 2009 ont vu les établissements publics de santé se confronter à l’émergence d’un mouvement de transformation permanente, convoquant virage ambulatoire, digitalisation, irruption de l’intelligence artificielle, nouveaux traitements et thérapeutiques disruptives.

Force est de constater que ce mouvement a été diversement métabolisé par les collectifs hospitaliers. Sans revenir à la résorption très lente et très progressive du temps hospitalier, tendu et continu, avec celui du droit, notamment celui du droit de la fonction publique, et des frottements que ces différences de temporalité ont pu avoir en matière de flexibilité d’organisation, d’attractivité et de fidélisation, quelques idées-forces ont en effet structuré la réponse institutionnelle aux enjeux de réorganisation :

– Approcher le temps de travail, et donc l’allocation des ressources hospitalières de façon scientifique, afin de rendre plus facilement comparables et préhensibles les enjeux de recrutement ;

– Limiter, ou traiter de façon très imparfaite, les interactions de l’approche scientifique de la gestion du temps de travail avec la charge de travail, laquelle est dépendante à la fois de la complexité de la prise assurer le suivi de la pharmacie, accueillir, orienter, guider les patients et leurs accompagnants.

Cet état de fait interroge largement les directeurs des soins et les directeurs des ressources humaines, confrontés à deux paradoxes :

– D’une part, la constatation que seuls 35 à 65 % du temps de travail des soignants est véritablement dédié au soin – ce qui implique, sur un marché de l’emploi actuellement extraordinairement difficile, qu’une part non négligeable de recrutements opérés pourraient être réalisés au profit de métiers en situation de moindre tension, et donc contribuer largement à l’apaisement de la crise hospitalière ;

– D’autre part, l’idée que les personnels si précieux et si difficiles à recruter actuellement le sont pour réaliser des activités qui ne correspondent pas à leur coeur de métier – ce qui ne contribue ni à leur épanouissement professionnel, ni à la construction d’une image positive du travail hospitalier, et donc in fine joue à l’encontre de leur fidélisation.

Est-ce pour autant une fatalité ? Faut-il poursuivre l’application du dogme du « tout infirmier » à une époque où la pluridisciplinarité des équipes est identifiée comme une force, à la fois en matière d’efficacité du fonctionnement collectif, de qualité de vie au travail et d’amélioration de la qualité des soins fournis aux patients ? La réflexion portée sur la diversification des métiers composant une équipe paramédicale répond somme toute à la logique développée lors de la mise en place de la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques créée par la même loi HPST.

Cette nouvelle approche de l’organisation hospitalière reposera cependant sur la fin d’un raisonnement qui relève tout autant, en fonction du point de vue que l’on adopte, du dogme ou du tabou : la question des ratios de personnels soignants et d’une approche normative des organisations, censées toutes rentrer dans un schéma standardisé prévoyant nombre d’infirmières, nombre d’aides-soignantes, et volume de personnels support.

Conséquence d’une telle logique, l’organisation des soins ne pourra se fonder que sur la base de la confiance, de diagnostics compris et partagés, de l’adoption de moyens d’analyse et de partage de la réalité du travail en commun – dont les SIIPS feront sans doute partie, au bénéfice d’une nouvelle approche du soin, propre à mettre un terme à la crise hospitalière durable à laquelle nous faisons face.

Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP