AINSI, TANT EN DIRECTION DES PERSONNELS HOSPITALIERS QUE DES USAGERS, IL NOUS FAUT SORTIR D’UNE LOGIQUE UNIQUEMENT CENTRALISATRICE QUI UNIFORMISE LES SOLUTIONS SANS PRENDRE EN COMPTE NI COMPRENDRE LES RÉALITÉS DE TERRAIN

Florian Taysse 

ÉLÈVE DIRECTEUR D’HÔPITAL À L’EHESP

La crise sanitaire provoquée par l’apparition d’une nouvelle forme de coronavirus début 2020 a tout à la fois soulevé des critiques nourries sur la gestion des autorités sanitaires et avivé la question de la reconnaissance des soignants. Exceptionnelle, et donc conjoncturelle, cette situation n’en accentue pas moins des problématiques structurelles, déjà largement mises en lumière par les grèves et actions de mobilisations portées par le personnel hospitalier depuis 2019.

Plus encore, l’hôpital public est dit « en crise »… depuis des années, voire des décennies. Comme le décrivent très bien P-A. Juven, F. Pierru et F. Vincent, celle-ci s’est cristallisée sur une opposition entre deux grilles de lecture portant chacune une solution : « moins d’hôpital » pour les uns, « plus de moyens » pour les autres. Ce moment de crise paraît confirmer l’intuition des auteurs, selon laquelle il est probable qu’il faille plaider simultanément pour les deux orientations en même temps.

Si un consensus paraît émerger en ce sens, la question est désormais « comment ? »

Nombre d’acteurs engagés et sachants ont déjà travaillé, et travaillent encore, sur le système de santé d’aujourd’hui et de demain. Depuis les années 1990, au moins quatre grands plans nationaux ont ainsi été présentés, sans jamais donner l’impression de pouvoir atténuer les fragilités identifiées. Aussi, et alors que d’aucuns appellent de leurs vœux la tenue d’États généraux de la santé, la crise actuelle doit sans doute inciter à mettre en œuvre deux grands principes méthodologiques, écartant ainsi la tentation d’un énième plan national. Ceux-ci doivent s’inscrire dans la volonté de se départir des dogmes idéologiques qui empêchent de construire le consensus nécessaire à la refondation du système hospitalier.

En premier lieu, nous devons nous appuyer sur des expérimentations et des comparaisons. Comme le rappellent à juste titre E. Duflo et A. Banerjee dans leur dernier ouvrage, « l’action publique doit être fondée sur la preuve ». Au même titre que les expériences médicales qu’il abrite en son sein, l’hôpital public ne peut que s’inscrire dans cette même philosophie.

Or, à la différence d’expériences de laboratoires, le système de santé français bénéficie de plusieurs expériences « naturelles ». D’une part, en France, et contrairement aux idées reçues, le service public hospitalier repose sur deux piliers ; les hôpitaux publics évidemment, mais également les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), qui partagent les mêmes obligations. D’autre part, autour de nous, aucun de nos voisins n’a de système identique au nôtre. Ces deux directions sont autant de sources potentielles d’inspiration que nous devons investiguer, pour chercher et démontrer la meilleure façon d’assurer le service public hospitalier.

En second lieu, le système de santé en général et le système hospitalier en
particulier doivent s’appuyer sur le principe de subsidiarité. Autrement
dit, et particulièrement à la lumière de cette crise, l’organisation du système de santé ne peut faire l’économie d’un rééquilibrage de l’exercice des compétences entre les différents échelons territoriaux. Partant, une autorité centrale ne doit s’occuper que des compétences qui ne peuvent être assurées avec efficacité à l’échelon inférieur.

Ce principe de subsidiarité présente deux avantages essentiels. D’une part, et sans occulter les avantages que peut présenter la centralisation jacobine historique, on ne peut retarder plus longtemps la nécessité – parfois exprimée durement à l’occasion de la crise des Gilets jaunes – de retrouver une proximité plus affirmée entre le service public et ses usagers. D’autre part, une même proximité doit être construite entre les personnels hospitaliers et le centre de décision.

Ainsi, tant en direction des personnels hospitaliers que des usagers, il nous faut sortir d’une logique uniquement centralisatrice qui uniformise les solutions sans prendre en compte ni comprendre les réalités de terrain. Plus concrètement, si un socle commun doit être défini sur de nombreux aspects, il ne doit plus empêcher la différenciation territoriale.

Cette logique, déjà engagée dans d’autres domaines, doit irriguer le système de santé, mais également la structure même de l’hôpital. Ainsi, des exemples – bien que trop rares – comme celui du Centre Hospitalier de Valenciennes illustrent combien des initiatives locales construites au sein des établissements peuvent être plus adaptées aux réalités et permettre un meilleur exercice du service public.

Ces deux principes méthodologiques cardinaux tout à la fois concrétisent et impliquent une évolution quasi philosophique de notre vision traditionnelle de l’hôpital public. En effet, expérimenter, comparer, différencier nécessitent de faire évoluer notre cadre de pensée. Il nous faut ainsi sortir d’une approche où l’hôpital public ne peut faire que ce qui lui est autorisé (par les pouvoirs législatif et réglementaire), pour lui autoriser tout ce qui n’est pas interdit. Plus concrètement, nous devons construire un socle de règles de base, applicable à tout le territoire, pour ensuite permettre des expéri- mentations, des comparaisons, des adaptations, bref, des différenciations fondées sur les solutions de terrain.

Cette révolution pourrait être moins ardue qu’il n’y paraît. Encore une fois, elle peut être facilitée par… son existence, au sein du service public hospitalier français (modèle espic) ou d’autres pays (modèle scandinave no- tamment).

Il n’en demeure pas moins qu’elle s’opposerait à deux tendances néfastes pour l’hôpital public. D’une part, la nécessité d’un texte de niveau législatif ou réglementaire pour permettre une réponse adaptée aux circonstances locales9. D’autre part et dans le même temps, le recours – non assumé – à des solutions plus ou moins légales pour répondre aux nécessités, aux besoins ou aux aspirations des agents.

IN FINE, IL FAUT PRENDRE ACTE DU FAIT QUE CROIRE EN L’ÉTAT N’EST PAS CROIRE QUE L’ÉTAT PEUT TOUT. PENSER UN ÉTAT PLUS STRATÉGIQUE, PLUS EFFICACE ET DONC PLUS LÉGITIME DANS SON ACTION SANITAIRE SIGNIFIE PROBABLEMENT RESTREINDRE SON CHAMP D’INTERVENTION

En définitive, il s’agit ni plus ni moins que d’affirmer une approche fondée sur la confiance dans l’ensemble des acteurs du système hospitalier. Si elle s’accompagne inévitablement d’une responsabilisation accrue, cette approche n’en reste pas moins indispensable, à l’heure où la moindre attractivité des métiers hospitaliers, souvent liée à un certain déclasse- ment social, n’est pas que financière. Elle est ainsi fortement corrélée à une déresponsabilisation ; les agents, qu’ils soient médecins, directeurs, infirmiers, etc. ayant l’impression d’avoir perdu le contact avec les évolutions des structures dans lesquelles ils œuvrent.

In fine, il faut prendre acte du fait que croire en l’État n’est pas croire que l’État peut tout. Penser un État plus stratégique, plus efficace et donc plus légitime dans son action sanitaire signifie probablement restreindre son champ d’intervention. Mais, dans le même temps, le service public hospitalier doit s’appuyer sur une action publique impliquant et responsabilisant à tous les niveaux, qu’ils soient territoriaux ou fonctionnels. Cette nouvelle lisibilité dans la chaîne de responsabilité doit permettre de mieux répondre aux différents besoins identifiés localement. En effet, cette crise nous engage à acter le fait que l’objectif du service public hospitalier n’est pas tant d’user en tout lieu des mêmes outils. Il est d’assurer, sur l’ensemble du territoire, un accès pour tous à des soins de qualité.