À UNE ÉPOQUE OÙ L’INDIVIDUALISME NE FAIT QUE FERMER DE PLUS EN PLUS DE PORTES SUR LES AUTRES ET OÙ L’ON AURAIT TENDANCE À METTRE LES POUSSIÈRES HUMAINES SOUS LE TAPIS, L’ON S’APERÇOIT QUE LA SANTÉ, EN FRANCE, EST BIEN PLUS QU’UNE MAISON

Alexis Bataille

AIDE-SOIGNANT
AUTEUR DE L’OUVRAGE « VOUS AVEZ MAL OÙ ? CHRONIQUES D’UN AIDE-SOIGNANT À L’HÔPITAL », CITY ÉDITIONS, 2019

Bienvenue devant les lourdes portes de notre hôpital public. Ce lieu est d’abord un endroit où subsistent des valeurs immuables inspirées, entre autres, de l’alinéa 11 du préambule de la Constitution française du 27 octobre 1946. Ce texte majeur de la législation française établit les solides fondations humaines de la « maison santé » : « la Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

À une époque où l’individualisme ne fait que fermer de plus en plus de por-
tes sur les autres et où l’on aurait tendance à mettre les poussières humaines sous le tapis, l’on s’aperçoit que la santé, en France, est bien plus qu’une maison, c’est un véritable temple de grands principes à préserver.

De petits travaux à d’importants chantiers, de simples rénovations à une ample reconstruction, ce dernier modernise régulièrement ses aménagements en vue de se rationaliser et de s’adapter à ses usagers. En revanche, une donnée est immuable. Ses plans initiaux, dont on retrouve la trace jusqu’au Moyen Âge, à l’époque religieuse des maladreries, tracent des lignes qui convergent toujours vers le professionnel de santé paramédical, son fondement principal.

• Entretenir la spécificité du matériau soignant, une nécessité absolue à la durabilité du système

A fortiori, maintenant que vous avez mis le pied dedans, des présentations s’imposent avec les soubassements de la maison.

Véritables piliers sur lequel repose l’essentiel de l’organisation institutionnelle, les paramédicaux assurent le bon fonctionnement de la « maison santé » dont les médecins en sont les architectes. Ils sont les utilisateurs privilégiés de ses outils et les ouvriers majeurs de l’ensemble de ses transformations dont ils soutiennent chaque imbrication. Leur rôle est capital.

Sur ce point, pour s’assurer une stabilité sans faille malgré le poids, toujours plus conséquent, des responsabilités, les paramédicaux sont des êtres bâtis de trois matériaux constitutifs leur permettant de surseoir à toute usure prématurée. Une solidité du corps, de l’esprit et du cœur mis à profit d’une pièce commune qu’est l’Homme, s’inscrivant comme être véritablement le ciment d’une motivation en béton armé impératif à leur durabilité.

• Le corps, un matériau impératif à la stabilité du système

Parce qu’en bon pilier de la santé, ces derniers supportent, parfois, de sacrés tableaux humains, il leur faut savoir adapter un revêtement prêt à essuyer toutes sortes de plâtre.

Au milieu de la chaîne de soins, au centre des interrogations des familles, cristallisant une multitude de données médicales et administratives, les professionnels de santé paramédicaux sont, à première vue, des soutènements sur lesquels de nombreuses personnes viennent déposer leur confiance. Favoriser la relation soignant-soigné en abordant le patient et son entourage avec humanité, mettre ses outils relationnels à disposition de la résilience afin de les aider à tracer de nouvelles perspectives de vie, savoir utiliser l’outillage complet des professionnels de santé médicaux et pairs paramédicaux afin de construire le meilleur projet de vie… Tout cela ne sont que des exemples d’ingrédients de base du matériau soignant.

Utilisé pour recouvrir les fissures laissées par des plaies physiques et psychologiques plus ou moins profondes, il est sublimé de qualités telles que la patience, l’empathie, le respect et la bienveillance.
Un matériau noble et aussi précieux que fragile. De fait, il doit être entretenu avec constance car il est un moyen, si ce n’est le meilleur, pour estomper les cicatrices de l’âme et les blessures physiques.

• L’esprit, un matériau obligatoire pour l’avenir du système

Les professionnels de santé, titulaires du « permis de soigner », d’un niveau scolaire et universitaire allant du brevet des collèges jusqu’au doctorat, s’enduisent, après imprégnation définitive de la sous-couche humaniste, de savoirs, de savoir-faire et de savoir-devenir qui ne les placent plus comme de simples faiseurs de soins mais comme de véritables penseurs du soin !

Fait d’apprentissages théoriques et pratiques, d’expériences professionnelles et de rencontres personnelles, c’est un matériau incontournable qui s’agglomère parfaitement avec un fond de rigueur et d’organisation. Néanmoins, amorçant la finition, il peut rapidement se craqueler si l’on n’y prend pas garde. Deuil, maladie, colère, violence… Tout n’est pas rose lorsque l’on pratique les soins ! Le nuancier humain de coloris émotionnels peut laisser bien plus qu’une tâche indélébile sur le recouvrement immaculé de la blouse blanche. Il faut donc que le vernis soit épais. C’est ainsi que le pilier soignant doit aussi se connaître, aborder ses limites, concevoir les tenants et aboutissants de son orientation professionnelle, maîtriser son sang-froid et conserver une juste distance émotionnelle, pour éviter le risque, trop rapide, de ne plus voir son métier en peinture…

• Le cœur, un matériau indissociable du supplément d’âme de notre système

Vous l’aurez compris, à la fois, porteurs d’un idéal de santé publique et derniers pilastres du supplément d’âme au cœur de nos sociétés déshumanisées, les piliers soignants forment une immense salle hypostyle ayant traversée l’histoire de notre pays. Toutefois, son architecture d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier.

Les gabarits formant les professionnels de santé paramédicaux se modifient ponctuellement et on les agrémente de plus en plus de nouveaux contreforts techniques qui doivent renforcer la collaboration médicale mais aussi l’interdisciplinarité au service du patient et de la sauvegarde du système hospitalier.

Nonobstant ces évolutions de compétences, ne perdons tout de même pas
de vue le caractère humaniste de notre maison saté et de ceux qui
l’habitent. En effet, les soignants sont avant tout le produit fini d’une fabrication artisanale de caractère, construit pierreaprès pierre des apprentissages de la vie, se bonifiant avec le temps car on ne naît pas soignant, on le devient.

C’EST AINSI QUE LE PILIER SOIGNANT DOIT AUSSI SE CONNAÎTRE, ABORDER SES LIMITES, CONCEVOIR LES TENANTS ET ABOUTISSANTS DE SON ORIENTATION PROFESSIONNELLE, MAÎTRISER SON SANG-FROID ET CONSERVER UNE JUSTE DISTANCE ÉMOTIONNELLE, POUR ÉVITER LE RISQUE, TROP RAPIDE, DE NE PLUS VOIR SON MÉTIER EN PEINTURE

Par conséquent, l’avenir de l’hôpital public ne saurait se résoudre en s’accommodant de la seule efficience technique de ces plus de 800 000 piliers venant de tout horizon professionnel et de les transformer en simples producteurs de soins. L’on retrouve d’abord, et surtout, l’avenir de l’hôpital public dans sa valeur par essence, celle qui demeure entre nos mains. Car, pour le moins, la maison santé ne sera certainement jamais riche d’argent mais l’on y trouve un matériau ô combien précieux : l’humanité. Une authenticité soignante, ô combien précieuse, mais fragilisée par une actuelle vision entrepreneuriale.

Certes, ce temps de soin ne peut être monétisé, ne peut être codifié, n’a aucun intérêt financier. Pourtant, que l’on soit riche ou pauvre, c’est d’abord, et surtout, de cela que l’on a besoin au moment d’être soigné…

Alors, avant que notre hôpital public ne soit qu’un amer souvenir du mot « service », ayons le souci de l’accompagner et de porter, tous ensemble, du masseur-kinésithérapeute à l’agent de service hospitalier, en passant par l’infirmière ou l’aide-soignant, celles et ceux qui agissent et font grandir l’art de soigner en toute humanité : les professionnels de santé paramédicaux.

À cet égard, la distinction sémantique « médicaux et non-médicaux » n’est plus de mise. Il faudrait créer une immense salle commune du soin, dans laquelle chaque pilier humaniste de soignant compte par sa spécificité. Il m’apparaît inutile de continuer à bâtir une multitude de corridors réglementaires remplis de circonvolutions administratives qui ankylosent l’efficience du système faute d’un sentiment interprofessionnel d’unité sani- taire alors que l’on gagnerait à faire vivre la transversalité. En quelque sorte, n’est-il pas grand temps, bien avant de commencer le gros œuvre de la maison santé, de « prendre soin » de réunir, dans un seul et unique corps professionnel, toutes les professions de santé qui en seront, à la fois, le socle, la charpente et l’avenir ?