Le grand courant de la psychiatrie institutionnelle n’a pas contribué à influer positivement les représentations de la société sur la folie ni à redonner au patient une réelle inscription dans la communauté

Florence Schwarzel

Cadre supérieure de santé à la Direction des soins au CHS Le Vinatier

Vers une approche humaniste et dynamique des soins aux usagers de la psychiatrie

Nous avons été sollicités, de notre place de professionnelle de santé exerçant en EPSM, à produire une réflexion personnelle sur l’avenir de la psychiatrie.

Sachant qu’il n’y a pas d’avenir sans Histoire, nous choisissons, afin de pouvoir nous projeter dans un futur proche, de revenir sur celle de cette discipline, en cadrant notre propos sur ses fondements législatifs et théoriques. Nous verrons ainsi que de l’enfermement à la psychiatrie institutionnelle et à la mise en place de la sectorisation, nous nous tournons aujourd’hui vers une psychiatrie communautaire où le rétablissement et l’inclusion des patients porteurs de troubles psychiques devront constituer le socle des prises en soins.

La loi de 1838 pose les bases d’une politique publique organisant l’accueil et le traitement des aliénés en obligeant les départements à se doter d’un établissement dédié à cet effet. Le texte stipule en outre les moyens d’internement sans consentement du patient, placement volontaire et placement d’office. Bien que, comme le dit Esquirol, « Une maison d’aliénés est un instrument de guérison, entre les mains d’un médecin habile, c’est l’agent le plus puissant contre les maladies mentales » (1822), l’asile n’en demeure pas moins un moyen de protection d’une communauté contre des insensés potentiellement dangereux et menaçant l’ordre public, en qui le citoyen ne se reconnaît pas et qu’il faut isoler. Le destin des aliénés, à la fois considérés et oubliés, sera immanquablement marqué du sceau de la stigmatisation et de peur de la différence.

Dans les années cinquante, l’arrivée d’une pharmacopée active sur les symptômes les plus bruyants des troubles mentaux modifiera la perception de la maladie et du malade, et permettra de penser les soins ouverts sur la cité, et non plus seulement sous l’unique mode de l’enfermement. Dans cette perspective, la circulaire du 15  mars 1960 vient structurer un dispositif offrant au patient la possibilité d’être traité au plus près de son environnement, et «  l’hospitalisation du malade mental ne constitue plus désormais qu’une étape du traitement, qui a été commencé et devra être poursuivi dans les organismes de prévention et de postcure  ». Ainsi, se créent au cœur de la cité des dispositifs d’alternatives à l’hospitalisation proposant au patient de recevoir des soins in situ, permettant ainsi de lutter contre l’exclusion et l’isolement. «  La logique, […] est de traiter les malades dans leur milieu de vie et de lutter contre toute forme d’aliénation entraînée par la mise à l’écart du monde et l’isolement que constitue une hospitalisation. »

Peu à peu, la politique publique va réunir le champ de la psychiatrie et celui de la santé mentale et s’intéresser de plus près aux droits et aux libertés des patients. Cent cinquante-deux ans après la loi de 1838, celle du 27  juin 1990, bien qu’encore trop hospitalo-centrée, vient selon nous poser les bases légiférées d’une éthique des soins aux patients porteurs de troubles psychiques. La notion de placement (sujet-objet) fait place à celle d’hospitalisation (sujet-sujet), le droit, la protection et les conditions d’hospitalisation des personnes en constituent le socle, ce qui, de principe, constitue une immense avancée. Celle-ci est renforcée par celle du 4  mars 2002 relative aux droits des malades, qui vient ériger en principe la recherche systématique du consentement aux soins auprès du patient.

Puis, plus près de nous, (2011, 2016), le législateur renforce encore les droits du patient (représentation et défense des intérêts des usagers acteurs de la politique de soins des établissements en matière d’accueil et de prise en charge notamment), et donne une place centrale aux soins ambulatoires (virage ambulatoire), y compris sans consentement, (programmes de soins).

Est ainsi définie en 2016 autour de soins de proximité et du renforcement des droits du patient, «  une politique de santé mentale, qui comprend des actions de prévention, de diagnostic, de soins, de réadaptation et de réinsertion sociale  ».

Il nous semble posées aujourd’hui les bases réglementaires qui pourront, parallèlement à un développement du paradigme de rétablissement du patient porteur de troubles psychiques, permettre l’avènement d’une réelle psychiatrie à la fois communautaire et intégrative.

Constat est fait que l’absence de vision et de projection vers l’idée qu’un patient puisse se rétablir d’une maladie psychique fit défaut aux seuls cadrages législatifs et aux approches théoriques qui se sont succédé depuis 1960, quand bien même celles-ci prônaient déjà, à travers la pensée de médecins d’avant-garde, « un système de soins entièrement nouveau […] promouvant des programmes susceptibles d’améliorer le sort de ceux qui font appel à nous […] et qualifiait l’institution psychiatrique d’isolat culturel ». (Hochmann J., Pour une psychiatrie communautaire, pp. 228, 229, Seuil 1971). Force est de constater que le fonctionnement des microstructures de secteur, à vocation de soins intra-cité (CMP, CATTP, HDJ), s’est malheureusement, tout au long de ces années, sclérosé et rigidifié, compromettant la fluidité et l’agilité des suivis et des parcours de soins escomptés par le dispositif.

Le grand courant de la psychiatrie institutionnelle, aussi novateur et encourageant qu’il fut, n’a pas contribué à influer positivement les représentations de la société sur la folie ni à redonner au patient une réelle inscription dans la communauté. La psychothérapie institutionnelle, en ce qu’elle a concouru à désaliéner les patients et à prendre en compte leur souffrance psychique (patient sujet), n’a malheureusement pas évité la transformation de l’asile en lieu de vie, abritant des patients isolés et exclus, au destin brisé. Lorsque nous y sommes rentrée comme élève infirmière en 1984, bon nombre d’entre eux y étaient hospitalisés depuis dix, quinze, vingt ans. Certains y étaient même nés. De jeunes patients y arrivaient aussi, que nous croisons encore aujourd’hui dans les allées de l’hôpital, trente-sept ans plus tard.

Aussi, nous réjouissons-nous à l’idée de voir se transformer les fondements théoriques et les pratiques de soins vers une psychiatrie d’avenir, celle de la réhabilitation psychosociale et du rétablissement, et déplorons ceux qui la contestent, au motif qu’elle ferait disparaître la dimension du sujet au profit d’une approche déshumanisante faisant rentrer le patient dans des cases en lui proposant de simples programmes de réentraînement. Car cette approche orientée vers le rétablissement, et à travers elle la réhabilitation psychosociale, offre au patient la possibilité de se réapproprier sa propre conscience, de laquelle son désir, ses capacités préservées et son autodétermination sous-tendront les bases et l’orientation de sa prise en soins.

Oui, c’est bien ainsi que nous entrevoyons l’avenir de la psychiatrie, centrée autour du concept de rétablissement, défini par Patricia Deegan comme « un processus dont le but n’est pas l’absence de symptôme ou le fait de devenir normal. Le rétablissement est une façon de vivre, une attitude et une façon de relever les défis de la vie de tous les jours. Ce n’est pas un processus linéaire mais une trajectoire qui comprend des reculs et des avancées […] c’est l’aspiration à vivre, à travailler, à aimer, et ce, dans une communauté à laquelle il est possible de prendre sa place pleine et entière ».

Puisse cette approche dynamique, résolument éthique, bénéficier au plus grand nombre de citoyens usagers de la psychiatrie et de la santé mentale dans les années à venir.