psychiatrie les idées des acteurs
La psychiatrie doit de plus en plus s’inscrire dans une conception médicalisée

Dr Jean-Yves Pérol

Psychiatre libéral à Clermont-Ferrand, ancien interne du CHRU de Clermont-Ferrand & ancien médecin attaché des hôpitaux & ancien chargé de cours, D.U. Sommeil et Psychiatrie à la Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière

« Quelques remarques à propos d’une nouvelle relation entre médecine et psychiatrie ? »

Ancien interne CHU (formation en médecine interne, neurologie et psychiatrie) puis exercice professionnel en cabinet de groupe libéral et en clinique psychiatrique mais également attaché au CHU et au centre anticancéreux, je suis amené, au terme d’une carrière de près de 50 ans de prise en charge de patients psychiatriques, à formuler quelques pistes concernant l’évolution et la prise en charge de la santé mentale au sein de la médecine.

Dans un livre récent (2018), Lionel Naccache écrit « Esprit et cerveau ne sont en réalité que deux aspects d’une même réalité »…

Médecine et Psychiatrie…

Ce couple est nécessaire et doit être complémentaire ; il faut mieux ancrer l’exercice de la psychiatrie au sein de l’ensemble des activités médicales. Cette collaboration suppose, surtout dans la formation des psychiatres, au niveau des huit semestres de l’internat, qu’un semestre soit consacré à la médecine interne et qu’en parallèle un semestre de psychiatrie soit intégré dans la maquette de formation du médecin généraliste.

Dans les études médicales actuelles, il a été acté l’intérêt et la connaissance des notions de psychologie médicale ce qui constitue déjà un progrès par rapport aux états antérieurs ; de même, la perspective humaniste incluant la relation clinique, la parole et l’histoire du patient, les contextes sociaux et culturels doivent être pris en compte.

Les études statistiques montrent néanmoins que la réponse au niveau de la médecine générale des éléments de souffrance psychique entraîne de façon beaucoup trop fréquente la prescription de psychotropes (consommation totalement atypique des benzodiazépines en France) ainsi que la consommation, là encore très interrogeante, des antidépresseurs.

On peut se poser la question dérangeante mais indispensable de réserver aux psychiatres la primo-prescription de ces médications psychotropes qui présentent des avantages considérables mais dont on sait qu’elles ont des conséquences tout à fait néfastes et mal connues de la plupart des médecins.

Cette primo-prescription contrôlée déboucherait sur une collaboration avec l’ensemble des autres praticiens ; cet aspect serait probablement facilité par le dossier médical partagé informatisé qui va se mettre en place ; les erreurs de diagnostic seraient moindres, le mésusage des psychotropes diminuerait, la connaissance de l’importance des comorbidités dans la pathologie psychiatrique s’imposerait et cela permettrait aussi l’ouverture de plus en plus nécessaire vers les aspects récents de la connaissance psychiatrique comme la neuro-immunologie par exemple.

L’utilisation plus fréquente dans le contexte psychiatrique des IRM cérébrales modernes devrait petit à petit s’imposer (cette pratique permettrait de découvrir des lésions jusqu’alors complètement ignorées comme la fréquence des lésions de la substance blanche dans la bipolarité).

Médecine, Psychiatrie et Psychothérapie

La France a la particularité d’avoir le plus grand nombre de psychiatres des pays industrialisés (à population identique, la France a presque le double de psychiatres que le Royaume-Uni) ; le résultat au sens large du terme de la prise en charge psychiatrique n’apparaît pourtant pas meilleur en France que dans les pays voisins similaires sur le plan socio-économique.

Se pose donc la question de l’exercice de la psychiatrie et pour un certain nombre de psychiatres de la prédominance des prises en charge psychothérapiques.

Pour un très grand nombre de troubles anxieux (c’est-à-dire des patients présentant une inquiétude pénible à vivre s’accompagnant plus ou moins de symptômes phobiques et obsessionnels), il est de plus en plus évident que l’on note des améliorations par la pratique de techniques relativement simples de type hypnose, sophrologie, relaxation, méditation de pleine conscience, voire pratique de techniques comme le taï-chi, le yoga, etc.

L’explication scientifique est maintenant bien connue, c’est-à-dire que les centres de la vigilance d’Homo sapiens (principalement l’amygdale cérébrale) sont modifiés dans le sens d’une diminution d’activité par ces techniques simples dont il faut simplement comprendre qu’elles doivent être répétitives et poursuivies tout au long de la vie ; est-il néanmoins nécessaire d’avoir fait dix ou onze années d’études de médecine pour pratiquer ce type de prise en charge psychothérapique ? Dans la plupart des pays similaires à la France, ces attitudes psychothérapiques sont pratiquées en général par des praticiens paramédicaux (ce qui pose bien entendu le problème de leur rémunération par les organismes sociaux…).

Actuellement, l’extraordinaire efficacité des psychothérapies utilisant la réalité virtuelle commence à être mieux connue et donc mise en place ; et là encore, des praticiens paramédicaux, formés en général aux thérapies cognitives et comportementales et à la réalité virtuelle seraient d’un grand secours.

Enfin, l’efficacité des groupes de psychoéducation (bipolarité, états délirants, etc.) devrait entraîner leur pratique quasi obligatoire dans le système de santé psychiatrique français.

On peut donc imaginer, au niveau des principales psychothérapies au sens large du terme, la nécessité d’un bilan psychiatrique afin de permettre un diagnostic et une orientation sur ces diverses psychothérapies.

Psychiatrie et innovations médicales

La particularité de mon exercice professionnel (précédemment décrit) et mon intérêt pour les conceptions darwiniennes m’ont amené à intégrer à ma pratique des notions un peu atypiques :

Homo sapiens est un être vivant comme les autres avec le même ADN que tous les êtres vivants fabriqués au cours de l’évolution pendant plusieurs centaines de millions d’années, par le hasard et la nécessité adaptative…

Depuis les années 2000, les connaissances scientifiques et neuroscientifiques s’accumulent : analyse du génome en 2002, neuroradiologie de plus en plus fine, neuro-immunologie, compréhension des comorbidités, tout ceci confirme que le cerveau est bien le lieu de la création de la pensée et de la conscience (L’Erreur de Descartes par Damasio 2006) ; il faut donc que les innovations médicales tiennent compte de l’ensemble de ces nouvelles conceptions.

Le dossier médical partagé informatisé va certainement permettre un très grand progrès à ce niveau avec une meilleure appréciation des comorbidités ; mais l’intelligence artificielle utilisée sur le plan de la surveillance des patients compte tenu de leur pathologie va certainement aussi jouer un rôle de plus en plus important même si cela constitue une façon tout à fait nouvelle pour les psychiatres de travailler (entraînant bien sûr des « résistances » de la part d’un grand nombre d’entre eux actuellement…).

La stimulation magnétique transcrânienne (TMS), découverte il y a une quinzaine d’années, bien utilisée dans un contexte médical, apporte de plus en plus de réponses à des problèmes comme les hallucinations résistantes chez les patients délirants ; malheureusement, très peu de centres sont actuellement équipés et surtout très peu de psychiatres s’intéressent de façon précise à cette technique ; on peut parler des techniques un peu semblables qui sont en cours de validation.

L’utilisation de techniques comme la photothérapie (qui nécessite une collaboration avec nos confrères ophtalmologistes) devrait là aussi être développée compte tenu de son incontestable efficacité.

Les techniques modernes de possibilité de surveillance de l’activité cardiovasculaire et cérébrale pendant le sommeil permettront de donner une nouvelle impulsion pour gérer le problème des « fameuses insomnies françaises »… Ces techniques simples montrent que le seul fait de se lever tous les matins, tous les jours avant 7 heures, permet de retrouver très rapidement un sommeil physiologique mais au prix d’une modification du mode de vie « occidental… » (télévision, vie nocturne, etc.).

L’importance évidente dans la pathologie psychiatrique des phénomènes héréditaires impose une collaboration entre psychiatres et généticiens ; le développement et l’analyse du génome confronteront la Psychiatrie moderne à des éléments inquiétants qui ne pourront pas être éludés.

La Psychiatrie doit de plus en plus s’inscrire dans une conception médicalisée : le véritable défi de la Psychiatrie sera d’intégrer l’ensemble des innovations médicales et de construire une réponse médicale à une demande sociétale de plus en plus présente.