INTERVIEW
Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de mobiliser l’ensemble des acteurs locaux et internationaux

Frédéric Sansier

Directeur du Département Protection sociale et Emploi d’Expertise France

Globalement, quelle analyse faites-vous des systèmes de santé au sein des pays en développement?

Les transitions démographiques et épidémiologiques des pays en développement créent aujourd’hui de fortes tensions sur leurs systèmes de santé. Ces systèmes ne sont pas préparés à faire face à ces évolutions profondes qui entraînent un accroissement des inégalités entre les individus économiquement les plus aisés et les groupes les plus vulnérables au sein des populations. Le phénomène met en danger la stabilité de pays déjà fortement fragilisés par des crises régionales. Et comme l’a démontré la crise Ebola, les virus ne connaissent pas les frontières ; les questions de sécurité sanitaire d’un pays nous concernent donc tous.

Pendant de nombreuses années, l’aide internationale en santé dans les pays les plus fragiles a privilégié la lutte contre la mortalité maternelle et infantile et contre les maladies infectieuses. Cependant, cette aide, si elle a permis de répondre à des besoins de court terme, s’est substituée aux systèmes nationaux qu’elle n’a pas contribué à renforcer de manière pérenne.

L’Afrique devrait connaître d’ici 2100 la plus forte croissance démographique en passant de 17% à 40% de la population mondiale avec, dans certains cas, notamment au Sahel, le doublement voire le triplement de cette population dès 2050. Par ailleurs, si les maladies chroniques ont été pendant longtemps l’apanage des pays les plus riches, elles concernent aujourd’hui tous les pays à travers le monde, quel que soit leur niveau de développement.

Ainsi, le renforcement des systèmes de santé dans les pays en développement constitue un enjeu majeur pour l’aide international. Comment répondre à des besoins immédiats et parfaitement justifiés de populations qui ont des besoins urgents de santé et construire des systèmes pérennes qui ne peuvent être mis en œuvre que dans le temps ? C’est une problématique complexe et nous n’avons hélas pas de solutions clé en main.

De quelle manière Expertise France contribue à l’émergence des modèles de Protection sociale au sein de ces pays ?

Il suffit de regarder le système de Protection sociale et de santé français pour comprendre que le développement de solutions pérennes ne peut s’envisager que sur une longue période. Ces systèmes doivent se développer progressivement, en associant l’ensemble des acteurs concernés, que ce soient les pouvoirs publics, les prestataires et professionnels de santé, les représentants des usagers ou les partenaires sociaux. 

Expertise France n’a pas vocation à exporter un modèle français. Cette approche ne serait de toute façon pas pertinente. Les systèmes doivent être construits en étroite collaboration avec les acteurs locaux qui doivent totalement se les approprier.

Nous pouvons cependant aider nos partenaires étrangers à trouver des solutions adaptées à leurs propres contextes économiques, sociaux et culturels, en mettant à leur disposition l’expérience et l’expertise de professionnels travaillant dans le système français.

Ce partage d’expériences peut permettre à nos partenaires d’identifier des solutions opérationnelles, de leur faire bénéficier de nos réussites tout comme de nos échecs. Nous travaillons à leurs côtés afin qu’ils puissent adapter des solutions développées en France à leur propre réalité.

Ainsi, nous privilégions, dans les projets que nous mettons en œuvre, des interventions entre pairs, en mobilisant des experts français qui ont avant tout une histoire à raconter, basée sur un vécu acquis au sein d’administrations ou d’organisations françaises.

Quelle est la place du modèle mutualiste dans le cadre de la mise en place d’une couverture santé pour ces populations ?

L’une des priorités françaises en matière de politique internationale en santé est l’appui au développement de la Couverture sanitaire universelle (CSU). Portée par les organisations onusiennes et plusieurs pays, dont la France, la CSU vise à garantir à tous, y compris aux populations vulnérables et marginalisés, un accès équitable à des services de santé de qualité sans entraîner de difficultés financières dramatiques pour les usagers.

Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de mobiliser l’ensemble des acteurs locaux et internationaux.

Le modèle mutualiste ne peut, à lui seul, répondre à l’ensemble des enjeux du développement de la CSU en Afrique. Il peut cependant contribuer à développer un dispositif assurantiel, qui associe à sa gouvernance les assurés, en renforçant la confiance des individus dans les systèmes, en particulier dans des pays où il peut exister une réelle défiance vis-à-vis de l’Etat. Les mutuelles de santé peuvent, dans la mesure où elles ont déjà pu démontrer leur rigueur de gestionnaire, se voir déléguer des missions de service public en gérant, pour le compte de l’Etat, des régimes assurantiels pour certaines catégories de la population. Cependant, la question de la taille de ces mutuelles est primordiale pour garantir leur pérennité et leur capacité à mutualiser la gestion du risque à grande échelle.