UN PREMIER ENJEU MAJEUR, À L’HÔPITAL, EST DE DIMINUER LES RISQUES POUR LA PERSONNE ÂGÉE LIÉS À L’HOSPITALISATION ELLE-MÊME

Julien Tiphine


ANCIEN DIRECTEUR DE CABINET MINISTÉRIEL EN CHARGE DES PERSONNES ÂGÉES – CONSEILLER À LA DIRECTION GÉNÉRALE DE PÔLE EMPLOI

Les personnes âgées sont déjà au cœur des publics et des enjeux de l’hôpital public, sans avoir encore déterminé une révision de son organisation, ni l’avoir assez poussé à sortir de lui-même pour se projeter sur son territoire de soins et l’organiser.

La situation chronique des urgences, et la crise sanitaire en cours qui frappe durement les personnes âgées, et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), sont les révélateurs d’une mu- tation inaboutie du système de santé, mise en lumière récemment tant par les travaux de la direction de la recherche, des études de l’évaluation et des statistiques (DREES – chiffres ci-dessous, 2017, sauf mention contraire), que par la concertation puis le rapport « Grand âge et autonomie » de Dominique Libault (mars 2019).

Les personnes âgées constituent une part majeure et croissante des patients de l’hôpital : 1 patient hospitalisé sur 3 a plus de 65 ans, 1 sur 8 plus de 90 ans ; 40 % des personnes de plus de 80 ans sont hospitalisées au moins une fois dans l’année ; les plus de 65 ans représentent la moitié des places d’hospitalisation à domicile (HAD) et deux tiers de l’activité des services de soins de suite et de réadaptation (SSR).

Or, elles se caractérisent par leurs polypathologies (50 % des patients de plus de 75 ans prennent régulièrement 7 molécules différentes ou plus ;
aux urgences, les personnes âgées ont en moyenne un tiers d’examens complémentaires en plus pour un pourcentage de diagnostics identiques), avec un besoin de prise en charge globale, par leur fragilité (aux urgences, les patients de plus de 75 ans sont trois fois plus nombreux à n’être pas en mesure de répondre – inconscience, confusion…), et aussi par leur isolement (43 % des patients de plus de 75 ans vivent seuls à leur domicile, contre 32 % des 15-74 ans), ce qui complique la sortie.

Aux urgences, les personnes âgées ont une durée de passage plus longue (durée médiane de 4h30 pour les plus de 75 ans, contre 2h20 pour les 15-74 ans ; hors séjour en unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) : 4h v. 2h10), un délai plus long pour obtenir un lit (une personne âgée de plus de 75 ans sur 5 a séjourné en UHCD pendant son passage aux urgences, contre une sur 13 pour les 15-74 ans), avec, avant même une éventuelle hospitalisation (à l’issue du passage aux urgences, 56 % des patients de plus de 75 ans sont hospitalisés dans un autre service, soit une probabilité 2,6 fois plus élevée que pour les 15-74 ans, 38 % retournent à leur domicile et 5 % dans leur EHPAD), un risque accru de perte d’autonomie iatrogène et nosocomiale (immobilisation, rupture de soins, troubles confusionnels, chu- te, dénutrition, incontinence – après une sortie d’hospitalisation, seuls 50 % des patients récupèrent leur état fonctionnel de base ; au cours du vieillissement, la dépendance chez le sujet âgé serait expliquée par une hospitalisation dans la moitié des cas (HAS, 2017)), puis de ré-hospitalisation (18 % des séjours de personnes âgées de plus de 75 ans sont suivis d’une réhospitalisation à 30 jours).

Un premier enjeu majeur, à l’hôpital, est de diminuer les risques pour la personne âgée liés à l’hospitalisation elle-même, et d’abord d’une longue attente aux urgences : pour réduire les passages aux urgences évitables, des filières d’admission directe dans les services hospitaliers doivent être organisés, et les médecins de ville doivent être formés – et incités – à éviter de recourir à l’hôpital par les urgences. À l’hôpital, l’organisation du travail, centrée sur les soins, doit aussi prendre en compte les rythmes et la fragilité de la personne âgée, qu’il s’agisse des soins d’hygiène et de toilette, de la durée des repas, des visites ; pour lutter contre les risques de dénutrition, en développant le recours aux diététiciens ; plus généralement bien sûr, en associant davantage psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, à la prise en charge et à la préparation de la sortie.

Le deuxième enjeu, autour et en aval de l’hôpital, est l’accompagnement de la sortie, qui en retour limitera les réadmissions. Les transitions entre le domicile, l’hôpital, la médecine de ville, l’EHPAD sont propices aux ruptures de charge, aux pertes de temps, d’information, et finalement de chances d’éviter des paliers supplémentaires de perte d’autonomie – faute de culture commune, d’habitude du travail en commun, bien sûr, mais aussi d’outils digitaux commodes et sûrs, au moment où le débat national porte sur une application de suivi des patients Covid-19. Pour s’adapter au vieillissement de la société, pour assurer les meilleurs soins aux personnes âgées, l’hôpital doit sortir de lui-même et, dans les GHT, assumer sa complète responsabilité territoriale et d’organisation des soins ; les médecins de ville et les EHPAD doivent connaître et pratiquer les contacts hospitaliers nécessaires à l’accès direct de leurs patients aux spécialistes hospitaliers, sans passer par les urgences ; les hôpitaux doivent former les personnels des EHPAD et les soutenir, particulièrement face aux nouveaux risques sanitaires, et dans les territoires sous-dotés ; de tels partenariats entre hôpitaux, EHPAD, professionnels de santé libéraux, aides à domicile, doivent être prioritaires, obligatoires, évalués sur leurs résultats, incités financièrement, et appuyés sur des outils digitaux modernes, sûrs, ergonomiques et inclusifs.

Il ressortait du groupe de travail sur l’hôpital de la concertation organisée par Dominique Libault que « l’hôpital du futur idéal pour la personne âgée est l’hôpital où elle ne va pas ; si elle y va, c’est l’hôpital où elle ne reste pas ; si elle y reste, c’est l’hôpital qui sait prendre en compte ses besoins les plus spécifiques ». Construisons-le, lui, et son territoire de santé ?