TRIBUNE

LA FRANCE DÉPENSE AUTANT QUE L’ALLEMAGNE POUR SA SANTÉ PAR RAPPORT AU PIB

Jean-Paul Ségade

PRÉSIDENT DU CRAPS & ANCIEN DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’AP-HM

Bernard Accoyer

ANCIEN PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE & DÉPUTÉ HONORAIRE DE LA HAUTE SAVOIE

PR Jean-Michel Dubernard

PU-PH, DÉPUTÉ HONORAIRE DU RHÔNE & ANCIEN PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE &

PR Alain Bernard

PU-PH, & CHEF DE PÔLE CHIRURGIE CARDIO-VASCULAIRE ET THORACIQUE AU CHU DE DIJON

C’est désormais admis par tous. Notre système hospitalier est en crise. Le personnel de santé l’avait dit. Avec ses mots et sa conscience professionnelle admirable. La Covid-19 l’a démontré. Avec son cortège funèbre et ses questionnements anxiogènes.

Comme d’habitude, nos réflexes, nos habitudes et pour tout dire notre culture dans un élan pavlovien ont provoqué une inflation tout à la fois d’accusations et de demandes urgentes d’argent pour remédier rapidement aux insuffisances constatées.

La France dépense autant que l’Allemagne pour sa santé par rapport au PIB1. Il serait donc plus mature de se pencher sur les axes d’amélioration de nos organisations de soins, de nos structures hospitalières et sur le poids des administrations avant de réclamer plus de moyens.

Heureusement que ce n’est pas d’argent dont l’Hôpital a le plus besoin ! C’est sans doute une chance pour un pays qui doit vivre désormais avec une dette à hauteur de 140 % de son PIB et dont les fins de mois sont possibles grâce à des taux d’intérêt négatifs !

En réalité, la célébrissime phrase de Jean Monnet « Rien ne se crée sans les Hommes, rien ne dure sans les Institutions » pourrait être le fil rouge de la future réforme. Remplaçons Institutions par Organisations et encadrons par quatre principes incontournables la méthode :  

Confiance : La responsabilisation des acteurs médicaux dans la gestion de leurs services, comme des gestionnaires dans la définition de la stratégie de leur établissement, suppose que l’on inscrive comme principe de base dans toute réforme le principe de subsidiarité qui induira plus de liberté.

Courage : La contradiction entre une exaltation pour le progrès médical comme technologique et la volonté de garder les mêmes organisations, le même statut reflète une réalité humaine antinomique à toute évolution. Le maintien de rentes de situation, des droits acquis, le jeu de pouvoirs sont des obstacles d’autant plus forts qu’ils revêtent l’habit de l’intérêt du malade !

Liberté : Mettre fin à une tradition jacobine évoluant dans un cadre unique garant d’une égalité virtuelle des acteurs. Les ARS en sont l’exemple type !

Équilibre budgétaire : Base du financement des dépenses de santé et condition sine qua non à la pérennité de notre système de santé. Si l’équilibre budgétaire de notre système de santé est gage de sa pérennité, celui de nos hôpitaux est la garantie d’investir et de se moderniser. Ces principes ouvrent un possible. Celui de changer de paradigme, ce qui est plus important que trouver des moyens supplémentaires et permettent de redonner élan et dynamisme dans les cœurs des acteurs et donc du sens. Selon la formule de Gresham2 sur la monnaie, « les mauvaises règles chassent les bons acteurs ».

Fort de ces principes deux axes doivent être tracés :

D’abord, réformer l’hôpital public sans repenser notre système de santé, c’est continuer un fonctionnement en silos alors que la crise actuelle a démontré que nous avions besoin de tous les acteurs.

En effet, l’hôpital, bien qu’essentiel, n’est qu’un des acteurs de la santé. N’envisager que la réforme de l’hôpital sans impliquer les acteurs de la médecine de ville nous conduira aux mêmes erreurs que par le passé. La réforme devra être initiée par les Territoires et prendre en compte les besoins de la population, en leur proposant une offre de soins de qualité.

Ceci présuppose que l’on s’intéresse à la mesure de la qualité et que l’on évoque les parcours de soins. La réforme nécessaire de la tarification à l’activité pour les hôpitaux introduisant plus de qualité et prenant en compte les incidences du progrès médical rendra nécessaire une adaptation du paiement à l’acte dans le libéral, mettra fin aux rentes de situation souvent liées à une évolution du progrès technique  facilitant la multiplication des actes.

Nous n’éviterons pas de revoir la gouvernance des structures hospitalières mais également la place des élus dans les Territoires de santé, en particulier le rôle des Régions pour les CHU. Plus d’État stratège définissant des principes et moins d’État opérationnel voulant gérer l’action de tous. La réforme administrative devra accompagner la refonte des processus décisionnels. 

Ensuite, reconnaître les professionnels, c’est revaloriser le travail avec des incidences majeures.

L’unanimité observée pour une meilleure reconnaissance des métiers de santé nécessitera de traiter des sujets conflictuels, à commencer par la durée du temps de travail… Les infirmières allemandes sont certes mieux rémunérées mais elles travaillent également plus (38 heures – nuit comprise) et réalisent des actes qualifiés de médicaux en France, laissés actuellement à la seule compétence des médecins. La réforme de la nomenclature des actes devra intégrer de nouvelles frontières et zones de complémentarités entre les métiers de soins et la pertinence du statut. Comment justifier un statut unique pour gérer des projets professionnels différents ? 

Nous n’échapperons pas également à une logique de transparence dans l’évaluation. Force est de constater que la transparence de l’activité médicale reste en panne. Elle n’induit pas une reconnaissance pour les acteurs, ni ne permet d’envisager des pistes d’amélioration. L’exemple des seuils d’activité est révélateur du retard de la France.

Commencer d’abord à mettre en place ces principes, faire aboutir ces axes serait retrouver l’efficacité par la responsabilisation. Alors la reconnaissance deviendra indiscutable…

1 OCDE.
2 Thomas Gresham. Banquier anglais (1419-1579), à l’origine de la Royal Exchange de Londres a élaboré une loi monétariste selon laquelle la mauvaise monnaie chasse la bonne…