DOSSIER
Dans un pays affichant l’égalité au cœur de sa devise, chaque manquement à ce principe choque plus qu’ailleurs…
Déserts médicaux : l’expression a investi les quotidiens et les journaux télévisés. Cependant, ce problème de fond est généralement traité par les médias à la suite d’un fait divers dramatique (mort d’un nouveau-né sur une aire d’autoroute à Figeac, incident à la maternité de Port-Royal…), ce qui introduit forcément un biais négatif. Il est donc plus que jamais nécessaire de prendre du recul sur une telle question, c’est tout le sens de notre démarche.

Rendons aux médias ce qui leur appartient : le sensationnalisme autour de la démographie médicale n’aura ici aucune raison d’être. S’il s’agit bien entendu d’un sujet éminemment sensible, contraignant pour nombre de Français et compliqué à résoudre, la situation est loin d’être irrémédiable. Les médecins en activité n’ont jamais été aussi nombreux, mais ils sont très inégalement répartis sur le territoire et leur moyenne d’âge augmente. En 2012, on recensait 268 072 médecins (actifs et retraités), un chiffre record qui ne saurait masquer le problème du renouvellement des générations. Selon les prévisions du Conseil National de l’Ordre des Médecins, 23,5% des médecins seront retraités en 2017 (contre 15,4% en 2007 et 19,4% en 2012). En raison de la baisse constante du numerus clausus jusqu’au milieu des années 1990, le nombre d’actifs devrait diminuer jusqu’en 2020, pour revenir au niveau actuel aux environs de 2030.La densité médicale française est certes l’une des plus élevées d’Europe, l’accès aux soins n’en demeure pas moins un des principaux défis de la politique de santé, du fait du rôle important accordé aux médecins généralistes, de l’engorgement des urgences médicales, de l’existence de disparités spatiales de l’offre de soins et des tendances démogra- phiques à la baisse sur le court terme. De plus, on voit augmenter les attentes d’une population vieillissante, aux besoins de soins élevés et à la mobilité réduite. La Gazette Santé Social publiait en octobre 2010 une étude présentant les densités départementales de médecins depuis le milieu du 19ème siècle. On en tire un enseignement majeur : l’inégale répartition des médecins sur le territoire français est plus que centenaire ! Des causes structurelles se dégagent alors clairement : l’influence des évolutions de l’activité économique, notamment illustrée par la désindustrialisation touchant le Nord du pays, est particulièrement frappante. En revanche, de Bordeaux à Nice, la surmédicalisation historique du Midi ne s’atténue en rien. On distingue aussi une bonne dotation globale des départements sièges de faculté de médecine. Ainsi, le « laisser faire » a jusqu’à présent démontré toutes ses limites.

Dans un pays affichant l’égalité au cœur de sa devise, chaque manquement à ce principe choque plus qu’ailleurs. S’atteler à la réduction des inégalités est donc primordial, même si les français seront toujours inégaux devant la santé, l’éducation, la justice…

La situation est encore plus tendue en temps de crise. Les organismes de protection sociale, et l’assurance maladie en particulier, sont invités à retrouver l’équilibre comptable au plus vite, tout en conservant la qualité de notre protection sociale.

Frédéric Van Roeckeghem, directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), juge son organisme « apte à retrouver l’équilibre sans attaque envers la protection sociale ». Le défi est de taille car, comme le rappelait notamment le Conseil Economique Social et Environnemental dans son rapport annuel, l’atout que représente la protection sociale française est indéniable, tout particulièrement en temps de crise. Ce système permet d’amortir les chocs conjoncturels, de maintenir un niveau relativement satisfaisant de demande interne, contribuant ainsi au soutien de l’activité économique, de permettre de limiter les pertes d’emplois et de préserver le mieux possible le bien-être de la population. Pourtant, le système de protection sociale ne survivra pas sans s’adapter aux exigences économiques actuelles, le défi étant de traiter l’urgence tout en assurant la pérennité du système.

L’organisation des soins ambulatoires en France est encore largement basée sur les principes fondateurs de la médecine libérale : 

• liberté de choix du médecin par le patient, droit à des honoraires pour tout malade soigné ;

• liberté d’installation, respect du secret professionnel, liberté de prescription et contrôle des malades par les caisses. La médecine évolue, suivant ainsi la transition opérée par la société française. Si 78% des médecins de plus de 65 ans sont des hommes, 55% des moins de 40 ans sont des femmes. Par ailleurs, le temps de travail ne représente désormais plus la plus grande part de nos vies, et les médecins n’ont pas à déroger à la règle. Les jeunes praticiens ne remplaceront pas les médecins de campagne, qui exerçaient le plus souvent seuls et consacraient leur vie à leur profession.

Près de 60% des médecins généralistes libéraux exercent en groupe, ils sont même plus de 80% chez les moins de 40 ans.

Laissant une plus grande place à la formation, à l’encadrement des étudiants, s’appuyant plus fréquemment sur l’outil informatique et ayant donc vocation à diminuer l’hospitalo-centrisme des études médicales, ce mode d’exercice est plus à même de répondre aux attentes des jeunes médecins. Ces derniers, au même titre que les jeunes enseignants par exemple, attendent plus de leur formation : une véritable insertion dans le cadre professionnel, encadrée par des médecins aguerris, leur permettant de découvrir l’exercice libéral en profondeur. La tarification à l’acte n’est pas complètement adaptée à ce genre de structures. En effet, comme le rappelait le récent rapport sénatorial relatif à la présence médicale sur l’ensemble du territoire, « il y a aujourd’hui consensus sur la nécessité d’évoluer vers un système mixte qui, à côté d’une base de rémunération à l’acte, verrait se développer des rémunérations forfaitaires pour le travail de coordination, de prévention, de formation et de santé publique. »

Les maisons de santé pluridisciplinaires répondent à une demande de simplification des démarches, trop de jeunes médecins renoncent actuellement à s’installer en raison de trop lourdes contraintes et conservent ainsi le statut de remplaçants. De plus, l’exercice libéral n’a pas le vent en poupe, même si le conseil de l’ordre a récemment nuancé le tableau.

En 2006, en première inscription, seuls 10% des médecins avaient choisi ce mode d’exercice mais cinq ans plus tard, 35% d’entre eux exerçaient en libéral. Néanmoins, la majorité des acteurs s’accordent sur un déficit à combler dans ce domaine. Les maisons de santé représentent une solution puisqu’elles offrent de meilleures conditions de travail aux médecins, permettant des heures d’ouverture plus élargies des cabinets (11h30 par jour et 5,5 jours par semaine en moyenne) tout en réduisant le temps de travail de chaque médecin. Elles sont vues comme une des réponses principales au défi de la démographie médicale. Favorisant une limitation des visites à l’hôpital, elles contribuent à réduire le problème du regroupement des hôpitaux, en renforçant l’importance des soins ambulatoires. Ces structures pluridisciplinaires sont des lieux de collaboration et favorisent les transferts d’activités et le regroupement des tâches extra-médicales. Il s’agit de pratiques tout à fait récentes, n’étant autorisées en France que depuis 2004. Dans ce cadre, la commission offre de soins de l’Assurance Maladie évoquait notamment en 2008 la création d’un échelon professionnel entre infirmier (Bac+3) et médecin (Bac+10), sans suite pour le moment. Reconnues d’utilité publique, les maisons de santé pluridisciplinaires restent une solution à développer, même si le PLFSS 2008 soulignait déjà leur importance. On en dénombre actuellement 284 réparties sur l’ensemble du territoire, majoritairement en zone rurale. Les Agences Régionales de Santé sont chargées de piloter l’installation des maisons de santé, dont le nombre devrait doubler d’ici la fin de l’année 2014. Au-delà de l’adéquation avec les attentes des étudiants et des jeunes méde- cins, ces structures permettent également un 10 meilleur suivi de l’évolution des maladies chroniques, tout comme la télémédecine.

Pour Pierre Simon, président de l’Association Nationale de Télémédecine, cet ensemble de pratiques « contribue au changement de paradigme de notre système de santé, rendu nécessaire pour répondre à la demande de soins liée aux maladies chroniques dont la prévalence progresse avec l’allongement de la durée de vie. » En effet, cela induit une réduction des déplacements à l’hôpital, tout en permettant un meilleur suivi des indicateurs importants. La télémédecine, qui comprend majoritairement la téléconsultation, la télésurveillance et la télé-expertise, autrement dit l’usage des technologies de l’information et de la communication par les professionnels de santé pour réaliser des actes médicaux, est à distinguer de la télésanté, qui concerne les services offerts à la personne par ces technologies pour améliorer son bien être. La télémédecine a été définie à l’article 78 de la loi HPST et inscrite dans le Code de la santé publique. Elle favorise la collaboration entre les divers professionnels de santé, nécessaire aujourd’hui au niveau du premier recours. Pourtant, des incertitudes juridiques demeurent, les cadres de financement restent parfois imprécis et peu d’études médicales la prennent en compte. Elle donne également lieu à certaines difficultés organisationnelles et se heurte à un frein sociologique relatif à l’usage de nouvelles technologies, tant pour les praticiens que pour les patients. Largement sous-exploitée, la télémédecine aurait une efficacité optimale dans les zones où elle justement le plus difficile à mettre en place, comme les territoires isolés ou les établissements pénitentiaires. Elle repose en partie sur le dossier médical informatisé du patient, dont seuls 300 000 français disposent actuellement. L’insuffisance est identifiée, il faut donc s’attacher à développer au plus vite la télémédecine, tout particulièrement où il s’agit de l’option la plus viable : le temps des expérimentations est révolu.

La Fédération des villes moyennes rappelait en fin d’année que tous les territoires ont droit à la santé, redoutant que le système de santé français suive un nouveau « scénario de l’inacceptable » Les inégalités territoriales de santé sont élevées, et elles se creusent. En 2008, 15,4 % de la population adulte déclarait avoir renoncé à des soins médicaux pour des raisons financières au cours de l’année. Ces résultats confirment ainsi l’importance de mettre en œuvre des politiques territorialisées dans l’objectif de lutter contre les inégalités de santé, en différenciant les zones rurales isolées des banlieues défavorisées. Répondre au défi de la démographie médicale, c’est aussi se doter d’indicateurs performants. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et l’Irdes ont ainsi développé l’an dernier l’Accessibilité Potentielle Localisée (APL), un nouvel instrument de mesure des disparités d’offre de soins. L’APL permet de mieux appréhender l’accessibilité en prenant en compte les déséquilibres potentiels entre l’offre et la demande de soins. Ainsi, elle com- plète et dépasse la simple mesure de distance au professionnel le plus proche. L’indicateur s’interprète comme une densité et constitue un outil complémentaire utile à l’observation et au pilotage de l’organisation des soins à un niveau local. Dans ce cadre, les régions, relais des décisions étatiques, sont les principaux acteurs à même d’apporter des solutions de proximité.

Le secteur particulier mais les englober dans des projets territoriaux incluant tous les pans de la société. A titre d’exemple, nous pouvons souli- gner l’intégration de l’ARS Ile-de-France au sein de la réflexion menée autour de la métropole parisienne, que ce soit dans le syndicat Paris Métropole ou la Société du Grand Paris. Claude Evin, le directeur général de l’ARS, fait face à de criantes inégalités de santé, qui se sont creu- sées durant les deux dernières décennies : les habitants du 7ème arrondissement de Paris ont par exemple une espérance de vie de quatre ans supérieure à celle des habitants du 18ème. Lorsqu’on exclut les quartiers les plus aisés, les conditions de vie en Ile-de-France deviennent un frein à l’installation de médecins, à cause du coût du foncier, de l’engorgement des transports etc. Les équipements de pointe et la présence de nombreux spécialistes sont réservés à une certaine partie de la population. L’Ile-de-France est la deuxième région la plus dense concernant les spécialistes, mais ne se situe qu’au quinzième rang pour les généralistes. La région affiche un taux de secteur 2 très élevé, puisque près de 50% des médecins pratiquent les dé- passements d’honoraires (65% pour les spécialistes). Il est néanmoins nécessaire de se méfier du caractère globalisant des indicateurs basés sur des statistiques régionales : la densité de généralistes est très élevée à Paris mais parmi les plus faibles dans les autres départements franciliens. De plus, même un département bien pourvu en professionnels de santé par rapport à la moyenne nationale peut comporter des zones sous denses, d’où l’intérêt d’une analyse infradépartementale, au niveau du bassin de vie. Les solutions préconisées pour améliorer la situation francilienne se tournent avant tout vers une décentralisation de l’offre de soins, en créant des pôles de santé en banlieue. Dans ce cadre, le projet de réseau de transport du Grand Paris Express est notamment une opportunité à saisir et à accompagner.

A travers cet exemple ressort clairement la problématique principale : donner une visibilité au futur. La France manque de lieux, indépendants et transparents, où l’on réfléchit, où l’on construit des consen- sus, où l’on prépare l’avenir, notamment en matière de santé. La réforme des retraites, la réforme de long terme par excellence, illustre à elle seule cette difficulté. Sa mise en œuvre s’éternise, bien que nous ayons conscience de son caractère inéluctable. Pour Michel Rocard, la France ne connaît plus le vrai dialogue social, ce qui contrarie nombre de réformes. Comme les retraites, la démographie médicale est un sujet de long terme, qui ne correspond pas à la temporalité politique. Les évolutions, notamment avec la télémédecine, rendent l’évaluation des besoins de soins futurs très difficiles. Pourtant, comme le disait Jean Rostand, « attendre d’en savoir assez pour agir en toute lumière, c’est se condamner à l’inaction ». Lors d’un dîner-débat du Craps, Frédéric Van Roeckeghem avait d’ailleurs exprimé la même idée, regrettant que l’on ne fasse rien tant que la réforme ne résout pas tout. Toute réforme sera par essence imparfaite, l’essentiel étant de hiérarchiser les différents objectifs et de garder ce cap.

Dans la catégorie des mesures imparfaites, le numerus clausus est un modèle du genre. Instauré en 1971, il culminait à 8500 places à la fin des années 70, avant de lon- guement diminuer, dépassant à peine les 3500 places de 1992 à 1997. Les pouvoirs publics, désireux de réduire les dépenses de santé, pensaient bien faire en manipulant (avec l’aval des praticiens) le numerus clausus et en lançant à l’adresse des médecins la mesure d’incitation à la cessation d’activité (Mica), de 1988 à 2003. De plus, ils s’attendaient à une arrivée massive de médecins européens qui n’a pas eu lieu. Marisol Touraine rappelait qu’aujourd’hui, une brusque augmentation n’aurait aucun sens puisque si l’on se réfère à l’âge moyen d’ins- tallation en libéral (42 ans), les étudiants en première année de médecine s’installeront dans plus de vingt ans, au moment où le nombre de médecins ne sera plus un problème.

Peut-on considérer que le pacte terri- toire-santé, annoncé par la ministre en décembre dernier, comporte d’autres re- mèdes de nature à améliorer la situation ? Pour beaucoup d’organisations syndicales, le plan est insuffisant, les propositions s’appuyant surtout sur d’anciennes mesures pas forcément appliquées. Par exemple, la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux prévoyait déjà la possibilité d’allouer des bourses aux étudiants en médecine en contre- partie de leur engagement à exercer au minimum cinq ans dans les zones déficitaires. Aussi, de nombreux plans départementaux avaient déjà été lancés (Seine-et-Marne, Mayenne, Loir-et- Cher etc.) pour essayer de faire face à l’urgence. Marisol Touraine a donc eu le mérite de relancer ces mesures, et de les intégrer dans un plan global, qui s’adresse avant tout aux jeunes médecins. Comme la ministre le précise, « il est normal de ne pas avoir envie d’exercer dans un secteur dont on ignore tout ! Il ne suffit pas d’encourager les jeunes médecins à venir s’installer dans les territoires en difficulté, il faut les aider à y vivre ». Au- delà du « développement des crèches et des écoles, de la promotion des conditions de logement favorables ou de la réflexion concernant des modes de transport adaptés », l’enjeu est surtout d’ouvrir l’accès aux études de santé, actuellement en grande partie réservées aux étudiants issus des catégories socioprofessionnelles supérieures. Or, ces derniers étant majoritairement issus d’un environnement urbain aisé, ils ont une réticence naturelle à s’installer en zone rurale.

Le discours de la ministre appelle la mise en œuvre de projets territoriaux cohérents, mais il demeure compliqué de dégager de ce pacte une quelconque vision stratégique. Par ailleurs, Marisol Touraine a réaffirmé la position gouvernementale : hors de question de toucher à la liberté d’installation. En mai dernier, le Cnom avait recommandé d’imposer au médecin cinq ans d’exercice dans sa région de formation de 3ème cycle, avant de faire volte-face. Les articles ayant trait à la coercition dans la loi HPST, pourtant très mesurés, avaient également été supprimés rapidement. Lorsque Jean-Marc Ayrault présidait le groupe socialiste à l’Assemblée nationale, il avait proposé de soumettre à l’approbation des ARS l’installation dans les zones surmédicalisées. Nicolas Sarkozy avait émis une proposition similaire avant de la nuancer au cours de son mandat. Pour l’instant, le maintien de la liberté d’installation des médecins prévaut donc sur l’égal accès aux soins. La réduire suffira-t-il pour résoudre le problème ? Les comparaisons internationales n’ont pas offert de résultats précis, les analyses variant selon les points de vue. L’exemple allemand, où l’installation est régulée depuis 1992, montre qu’une telle mesure limite l’afflux dans les zones sur-dotées mais ne suffit pas à orienter les médecins vers les zones sous- dotées. La CSMF, le premier syndicat de médecins, se positionne d’une part en faveur des solutions incitatives, regrettant d’ailleurs qu’elles ne soient pas plus appliquées, étant d’autre part opposée à la suppression de la liberté d’installation des médecins. Se basant sur une étude de la Drees, le syndicat rappelait que les déserts médicaux ne touchent que 5% de la population, le rapport démontrant que 95% des Français ont accès aux soins de proximité en moins de quinze minutes. Seulement, cette étude ne prend en compte que la géolocalisation des patients et de certains praticiens, et délaisse ainsi les contraintes liées aux délais pour obtenir un rendez-vous, aux dépassements d’honoraires etc. Ensuite, le Conseil de l’Ordre recense tout de même 35 départements potentiellement en danger car ils cumulent la forte probabilité d’un départ massif d’ici à 2017 et une faible présence de jeunes générations en secteur libéral. Les régions Ile- de-France et Centre sont tout particulièrement touchées, n’ayant chacune qu’un seul département potentiellement hors de danger (Indre- et-Loire et Val-de-Marne). Quoi qu’il en soit, la CSMF illustre parfaitement le sentiment d’injustice ressenti par les médecins, qui estiment que le problème n’est pas si important que les médias veulent bien le laisser croire, et surtout qu’ils n’en sont pas responsables. Qui peut seu- lement leur donner tort ?

Tous les acteurs s’accordent à reconnaître la prééminence des mesures incitatives. Cependant, de nombreuses limites sont d’ores et déjà apparues et un retour sur la liberté totale d’installation des médecins est devenu envisageable. En outre, on ne peut pas assimiler la régulation à de la pure coercition. Forcer un jeune médecin sortant de dix années d’études à passer les cinq prochaines dans un territoire isolé relève d’un esprit coercitif plutôt prononcé. En revanche, l’assurance maladie se doit de s’engager avec sagesse dans la recherche d’un accord permettant de cesser de conventionner les nouveaux médecins qui s’amassent sur certains territoires déjà sur-médicalisés, d’autant que d’autres professions médicales ont déjà évolué dans cette direction. L’accord conventionnel signé en 2008 par l’assurance maladie avec l’ensemble des syndicats d’infirmiers libéraux a répondu aux objectifs de réduction des inégalités. A la suite de cette réussite, des accords similaires, adaptés aux spécificités de chaque profession, ont été conclus avec les masseurs-kinésithérapeutes, les sages-femmes et les chirurgiens dentistes. Le rapport présenté par le sénateur Hervé Maurey remarquait que « les professionnels de santé aujourd’hui régulés ne comprennent pas pourquoi les médecins ne le sont toujours pas. De nombreux médecins rencontrés admettent d’ailleurs cette nécessité. »

De nombreux dispositifs incitatifs existent déjà, la rémunération des actes étant par exemple majorée de 20% dans les zones déficitaires. En Picardie, département globalement sous- médicalisé, il n’y a eu en 2011 qu’une seule installation en zone déficitaire, contre quatorze dans le reste du département. Ainsi, force est de constater que l’empilement de plus d’une dizaine de mesures incitatives, parfois très coûteuses, sans grande cohérence entre elles, n’a pas permis d’assurer une juste répartition des moyens sur le territoire. Il s’agit donc d’évaluer la pertinence de ces aides et de ne favoriser que les plus efficaces car pendant ce temps, la qualité de soins proposée est progressivement mise à mal.

Les zones sous-médicalisées ou en voie de démédicalisation, plus souvent des zones rurales et les cités de banlieue, nous confrontent à un véritable problème d’égalité. Une enquête BVA réalisée en 2007 auprès des étudiants et jeunes médecins soulignait la mauvaise image globale de ces zones, tout en mettant en évidence un important potentiel d’installation a priori : plus d’un tiers des futurs médecins se déclaraient prêts, sans condition préalable, à s’installer dans une zone rurale ou une cité de banlieue. En effet, il est possible de vivre en banlieue pavillonnaire ou dans une petite ville tout en exerçant en cité populaire ou en zone rurale. Au vu de l’enquête, le pouvoir incitatif des mesures proposées paraissait encourageant, mais il était indispensable de mettre en place l’ensemble de ces mesures et de les diffuser aux étudiants. Dans cette optique, il semble que ces cinq dernières années n’aient pas été mises à profit par les pouvoirs publics pour améliorer la situation.

Plus de 1600 médecins titulaires d’un di- plôme étranger se sont installés en France en 2011. Cet afflux se dirige notamment vers l’Ile-de-France et la région Rhône-Alpes, très attractive. En revanche, aucun praticien ne s’est installé dans une commune sous-médicalisée. Une nouvelle fois, la solution ne viendra pas de l’extérieur. Le conseil de l’ordre préconise de s’attaquer aux problèmes de la démographie médicale en améliorant la communication sur les mesures déjà existantes, en développant sensiblement la partie libérale du cursus universitaire et en créant un véritable compagnonnage. Les études de médecine sont également mises en cause, puisque nombreux sont ceux qui préconisent d’adapter les épreuves classantes nationales, qui ouvrent l’accès au troisième cycle des études médicales, aux besoins des différentes filières médicales de chaque région. Des propositions alternatives ont également émergé, comme l’utilisation de la médecine itinérante ou le travail des seniors, moins exigeants en termes d’infrastructures et de services familiaux. Dix ans après la fin de la Mica, on essaie de prolon- ger l’activité des médecins, afin d’augmenter le temps médical disponible. Cependant le rapport sénatorial de février préconise d’ouvrir cette possibilité uniquement dans le cas d’un exercice en zone sous-médicalisée et ainsi de clarifier le statut des médecins « retraités actifs ».

Le rapport Maurey appelait à « faire montre de volonté, de persévérance et de courage pour agir sans tabou ni a priori dans le seul souci de l’intérêt général ». La démographie médicale dépasse les clivages politiques et concerne la société entière, allant bien au-delà du monde de la santé. Pour preuve, le rapport sénatorial a été préparé par la commission du développement durable et de l’aménagement des territoires, et non la commission des affaires sociales. Au cours d’un dîner-débat organisé par le Craps, Michel Yahiel, conseiller social de François Hollande, soulignait que « si les déserts médicaux ont été combattus, force est de constater que rien n’a fonctionné. Il s’agit donc d’essayer autre chose, ce qui signifie intégrer la santé à une dynamique territoriale globale, faire en sorte que la santé aille vers les gens, en intégrant tous les acteurs locaux. »Le mode d’exercice de la médecine libérale, dans ses conditions actuelles, ne satisfait plus les besoins de tous les territoires. Profondément ancrée, la situation n’évoluera pas sans un effort notable