INTERVIEW
Le problème essentiel, inquiétant et complexe à résoudre aujourd’hui est la répartition des médecins sur le territoire

Charles Descours

Vice président du Craps et sénateur honoraire

QUELLE PERCEPTION AVEZ-VOUS DE LA DÉMOGRAPHIE MÉDICALE ?

En 2002, Jean-François Mattei, ministre de la Santé, m’a confié une mission sur la « permanence des soins » à la suite d’une grève de médecins libéraux sur ce sujet. J’ai alors pris conscience du problème de la démographie médicale d’une façon plus aigüe que je ne l’avais perçu en ma qualité de membre de la commission des affaires sociales du Sénat. Le nombre des médecins n’est plus à mes yeux et à ce jour le problème essentiel de notre sujet. Certes, le numérus clausus en fin de première année des études médicales a été minoré de façon drastique, pour atteindre en 2001, 3500 admis se fondant sur le raisonnement suivant : « moins il y a de médecins, moins il y a de prescriptions, donc moins de dépenses ». Cet état de fait, a été rapidement corrigé, puisque Jean-François Mattei augmentait progressivement le numérus clausus, comme au demeurant ses successeurs, pour atteindre pratiquement 7500 places en 2012. Le problème essentiel, inquiétant et complexe à résoudre aujourd’hui est la répartition des médecins sur le territoire d’une part et d’autre part, ce qu’il est convenu d’appeler le «temps médical». En effet, nous avons actuellement plus de 200 000 médecins sur le territoire plus que nous n’en avons jamais eu, et pourtant il y a des zones où les médecins installés sont ou vont être trop rares. L’expression « désert médical » n’est pas exagérée ! En effet, un grand nombre de médecins libéraux vont partir progressivement à la retraite d’ici 2017 et les jeunes qui s’installent, ne souhaitent pas aller dans certaines régions. Ils recherchent davantage une installation en maison médicale pluridisciplinaire leur permettant d’être plus économes de leur temps professionnel. Cette tendance, désormais affirmée, est renforcée par la féminisation de la profession et aucun des jeunes médecins n’est prêt à abandonner la qualité de vie à laquelle il aspire. De quantitatif, le problème est devenu spatial !

TOUT COMME SON PRÉDÉCESSEUR, LE GOUVERNEMENT ACTUEL A CHOISI LA VOIE DE L’INCITATION POUR FAIRE FACE À L’URGENCE. S’AGIT-IL D’UN MANQUE DE COURAGE POLITIQUE ?

Il faut d’abord «ré enchanter» certaines disciplines, notamment la médecine générale. Dans les premières années, il n’y a eu que 10% d’une promotion qui s’installaient en « libéral ». Mais cela ne peut vraisemblablement s’envisager qu’avec une modification substantielle des études médicales, ce qui est dans un pays comme le nôtre ne peut être que long et périlleux ! Cela dit, d’autres mesures peuvent être envisagées, comme par exemple le concours national qui pourrait devenir régional. Quant aux incitations financières mises en place, force est de constater qu’elles ne sont pas déterminantes. Or, aller plus loin dans cette direction, ni la situation financière de l’Assurance Maladie, ni l’ensemble des finances publiques ne le permettent.

Alors, la solution ou une partie de la solution devrait résider dans le dé- veloppement de certains modes novateurs d’exercices, consultations avancées telle la télémédecine, médecine en liaison avec les hôpitaux locaux et généraux devraient améliorer la situation.

Pour conclure brièvement sur ce point, il faut prendre conscience que le traditionnel médecin seul dans son cabinet au sein de chaque village va disparaître. Seuls une politique de suivi médical et des modes opératoires modernes et innovants permettront de surmonter cette crise dont il ne faudrait pas exagérer la gravité.

SELON VOUS SERAIT-IL PRÉFÉRABLE
DE SUPPRIMER LA LIBERTÉ D’INSTALLATION DES MÉDECINS ?

La décider de façon autoritaire et administrative me paraît très dangereux. La liberté est ancrée depuis toujours dans les gènes de la médecine libérale, transcrites dans les conventions signées avec les syndicats médicaux et inscrites dans la philosophie du Conseil de l’ordre. Sommes-nous pour autant condamnés à des mouvements incitatifs qui, jusqu’à présent, n’ont guère étaient efficaces ? Privilégions d’abord la création de maisons médicales pluridisciplinaires assorties d’un projet médical sérieux, développons les nouvelle techniques naissantes d’intervention et redonnons le goût du «libéral» aux étudiants en médecine avec des études moins hospitalo-centrées et une bonne partie du chemin sera déjà fait !