DOSSIER
En 2016, le marché mondial du médicament est évalué à environ 941 milliards de dollars en termes de chiffre d’affaires

Fabien Brisard

Directeur Général du CRAPS

98% des consultations médicales se concluent par une prescription médicamenteuse. Et lorsqu’un médecin ne prescrit pas, il est vite affublé du qualificatif d’incompétent. Ainsi le médicament occupe une place de choix dans le quotidien des Français… Matin, midi et soir !!!

Si personne ne remet en cause les vertus du médicament, si chacun se félicite de l’allongement de la durée de vie en partie obtenue grâce à lui, si les antibiotiques ont révolutionné l’approche de la thérapie et si la vaccination de la population a vaincu les grandes pandémies, chacun paradoxalement reste réservé sur la transparence des processus qui aboutissent à son élaboration… 

Est-ce parce que les Grecs employaient le mot pharmakos aussi bien pour désigner le remède que le poison, est-ce parce que les accidents liés aux médicaments, pour des raisons de mauvais usages ou de  non-observance, sont responsables de plus de 10 000 décès par an soit trois fois plus que les accidents de la route, de 130 000 hospitalisations et près de 1,3 millions de journées d’hospitalisation (dans 45 à 70% des cas ils seraient évitables) que l’industrie pharmaceutique a mauvaise presse en France.

A contrario de ceux des autres pays européens tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore l’Italie, les laboratoires pharmaceutiques français subissent une véritable suspicion de la part des patients. Force est de constater que leur image est particulièrement mauvaise. Dans un sondage du Figaro (16 novembre 2015) seuls 34% de nos concitoyens accordent leur confiance à cette industrie pour 74% des Britanniques, 67% des Allemands et 69% des Italiens. Les études menées par les industriels font ressortir une perception un peu meilleure (55% de confiance, en baisse de 6 points par rapport à l’enquête précédente) en tout état de cause à celle des banques ou de la grande distribution, mais toutefois moins bonne que celle accordée au secteur aéronautique.

Paradoxalement le secteur de l’industrie pharmaceutique connaît un environnement des plus réglementés, notamment en termes d’accès au marché. Le développement d’un médicament, de la découverte de la molécule à sa commercialisation, nécessite dix à quinze ans de recherche, comme le souligne le docteur et député honoraire Michel Hannoun : « Un médicament c’est d’abord de la recherche et de l’innovation, ce sont des microgrammes de principes actifs et des tonnes de matière grise ! ». Pas moins de trois agences sont ensuite chargées d’organiser ce marché : l’ANSM qui délivre l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM), la HAS qui évalue l’utilité médicale, le CEPS qui en fixe le prix. à cela s’ajoute deux autres entités, l’Assurance maladie qui détermine le niveau de remboursement en fonction de l’avis rendu par la HAS et le ministère en charge de la Santé et de la Sécurité sociale.

Nombreux sont les sujets liés au médicament qui animent le débat public et agitent la sphère médiatique, entre autres sa commercialisation, son prix, la hauteur de son remboursement, sa durée de vie, l’innovation… Ce dossier a pour objectif de présenter à la fois les différentes facettes de la politique du médicament en France et les caractéristiques de son industrie : enjeux sécuritaire et sanitaire, industriels et médicaux, scientifiques et universitaires, le médicament est à la croisée des problématiques actuelles !

L’Amérique du Nord ogre du marché pharmaceutique 

En 2016, le marché mondial du médicament est évalué à environ 941 milliards de dollars en termes de chiffre d’affaires (environ 882 milliards d’euros), en croissance de 3% par rapport à 2015. Le marché américain (Etats-Unis) reste le plus important, avec 47% du marché mondial, loin devant les principaux marchés européens (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni et Espagne), qui réalisent 15,4% de parts de marché, le Japon (8,4%) et les pays émergents (Chine et Brésil), 10,1%. La France demeure, en 2016, le deuxième marché européen derrière l’Allemagne. Toutefois, sa part de marché recule de 2,2 points en dix ans. Une étude QuintilesIMS, publiée en décembre 2016, confirme cette tendance : la France perdrait deux places à l’horizon 2021, au bénéfice de l’Italie et de l’Angleterre. 

La France est toutefois historiquement un grand producteur de médicaments grâce à un tissu industriel dense constitué de plus de 271 sites bénéficiant d’une main-d’œuvre hautement qualifiée. Elle continue à être un des principaux exportateurs mondiaux, dynamisée notamment par un accord-cadre entre le LEEM (Les Entreprises du Médicament) et le CEPS (Conseil Economique des 

Produits de Santé) permettant aux investissements réalisés dans l’Union européenne d’être désormais pris en compte pour la fixation et la révision des prix.  Elle figure au 4e rang des pays producteurs de médicaments en Europe derrière la Suisse, l’Allemagne et l’Italie. Avec aujourd’hui un effectif avoisinant les 100 000 salariés, pour un chiffre d’affaires en 2016 s’élevant à 50,4 milliards d’euros dont 47% à l’exportation, le médicament est de fait le 4e plus gros contributeur de la balance commerciale. 

Le coût du médicament

La consommation de médicaments s’élève en 2016 à 39,1 milliards d’euros TTC (après 38,3 milliards en 2015), représentant 17% de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) évaluée quant à elle pour l’exercice 2016 à 198,5 milliards d’euros, soit 2 975 euros par habitant. La dépense est répartie entre la ville et l’hôpital, 34 milliards pour la première et environ 5,1 milliards pour le second. Si les médicaments rétrocédés sont remboursés à 100% par l’Assurance maladie obligatoire, les médicaments délivrés en officine ne donnent pas nécessairement lieu à un remboursement de l’Assurance maladie.

Les médicaments non remboursables restent en effet intégralement à la charge des ménages et des organismes complémentaires, de même que les médicaments remboursables achetés sans prescription d’un professionnel de santé. Enfin, les médicaments non présentés au remboursement ne peuvent pas, par définition, être remboursés. L’ensemble de ces dépenses, non prises en charge par l’Assurance maladie, s’élève à 4,9 milliards d’euros en 2016.

À cette charge des ménages, s’ajoute le ticket modérateur sur les produits remboursables délivrés sur ordonnance. Le taux de remboursement de l’Assurance maladie varie en effet entre 15% et 100% selon les spécialités. S’y ajoute aussi, depuis 2008, la franchise à la charge du patient qui ne peut légalement pas être remboursée par les organismes complémentaires. La franchise s’élève à 0,5 euro par boîte de médicaments, mais il existe un plafond annuel de 50 euros par patient pour cette franchise, qui est commun aux médicaments, actes paramédicaux et transports sanitaires. Le ticket modérateur et les franchises représentent au total 5,6 milliards d’euros en 2016. Néanmoins, sur ce montant global, 415 millions d’euros de dépenses sont pris en charge par les organismes de base au titre de la CMU-C. 

Ainsi, le reste à charge des ménages et des organismes complémentaires sur la consommation des médicaments en ville s’élève au total à 10,1 milliards d’euros. Par ailleurs, l’État prend en charge 109 millions d’euros de dépenses de médicaments, notamment au titre de l’aide médicale de l’État.

Le montant des dépenses de médicaments remboursé par l’Assurance maladie en soins de ville s’élève au total à 23,2 milliards d’euros en 2016, dont 20,3 milliards pour les médicaments délivrés en officine et 2,9 milliards pour les médicaments rétrocédés. Les rémunérations forfaitaires (hors HDD) sont également intégralement financées en sus par l’Assurance maladie à hauteur de 214 millions d’euros en 2016.

La chaîne du médicament

La « chaîne du médicament » s’organise donc principalement autour de trois institutions  : 

L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et partenaire de l’EMA (European Medicines Agency), est le premier maillon de la chaîne. Sa mission est d’assurer la sécurité des patients en autorisant la mise sur le marché des médicaments et en assurant le suivi tout au long de leur période de commercialisation par le biais du système de pharmaco-vigilance. Bien que la majorité des AMM soit aujourd’hui délivrée au niveau européen, l’ANSM préserve néanmoins son pouvoir de décision pour le marché français. 

La Haute Autorité de Santé (HAS), dont le périmètre d’actions dépasse la seule politique du médicament, est quant à elle chargée de l’évaluation des produits. D’abord centrée sur l’évaluation de la valeur thérapeutique, mission confiée à la commission de la transparence, la HAS a vu sa mission s’étendre à l’évaluation médico-économique ce qui a conduit à la création d’une commission spécifique, la Commission d’Evaluation Economique et de Santé Publique (CEESP).

Le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS) est l’acteur en charge de la fixation des prix. Il gère le tarif de plus de 15 000 références de médicaments commercialisés par près de 200 laboratoires pharmaceutiques et possède par ailleurs une mission de tarification des dispositifs médicaux. C’est également un acteur important de la politique de maîtrise des dépenses de produits de santé. C’est lui qui est chargé de mettre en oeuvre les baisses de prix dont le niveau est fixé chaque année dans le cadre des mesures d’économie prévues par la Loi de Financement de la Sécurité Sociale. 

À ces trois acteurs spécialisés, il convient d’en ajouter deux autres :

L’Assurance maladie tout d’abord : cette dernière est dotée de nombreuses compétences. Outre la solubilisation de la dépense, elle a en charge la détermination des taux de remboursement des médicaments (action découlant mécaniquement des travaux de la HAS) mais aussi des actions de maîtrise de la dépense à travers la politique conventionnelle ou l’action de ses délégués auprès des prescripteurs. Elle intervient également de manière indirecte sur le reste du processus via la présence de ses représentants, notamment au CEPS.

Les ministres en charge de la Santé et de la Sécurité sociale sont également des acteurs importants. Ils possèdent le droit de décider du remboursement (sur avis de la HAS et avec un taux défini par l’Assurance maladie) et, compétence moins connue et peu utilisée, de s’opposer aux prix négociés par le CEPS. 

L’enjeu du prix et de l’évaluation : un dispositif complexe, méconnu par le grand public 

En amont de la commercialisation du médicament, différentes étapes doivent être impérativement respectées ; la première étant l’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché). Née aux États-Unis, celle-ci est fondée sur l’évaluation bénéfice/risque sans pour autant délivrer un avis sur l’utilité du médicament. Elle se prononce uniquement à travers l’angle scientifique, sur l’intérêt du produit dans une perspective de stratégie thérapeutique. L’AMM n’est pas exempte de toute critique, notamment celle de la Cour des comptes. En effet, les sages de la rue Cambon considèrent qu’une trop grande latitude est laissée aux laboratoires pharmaceutiques au regard du développement de leurs essais puisque ceux-ci ne reposeraient pas toujours sur un panel représentatif de la population ciblée. Quoi qu’il en soit, l’AMM reste cependant au coeur du dispositif de sécurisation des malades. Les reproches envers elle ne sont pas exclusivement réservés aux agences de régulation et de contrôle. Elles le sont également par les laboratoires et les soignants à l’instar de Thierry Godeau, Président de la Conférence des Présidents de CME de Centres Hospitaliers qui est persuadé que « L’AMM doit être plus réactive sur l’évolution des médicaments ». En effet, de nombreux cas ont déjà mis en exergue une insuffisante réactivité dans le cadre d’une mise à disposition au remboursement d’innovation devant permettre une amélioration importante au regard du quotidien du patient. 

C’est dans ce cadre et à ce niveau que la Haute Autorité de Santé pèse de toute sa crédibilité. En effet, la commission de transparence de cette entité a pour vocation d’évaluer l’aspect qualitatif du produit et d’indiquer si celui-ci sera éligible au remboursement. En France, certains médicaments sont ainsi moins bien remboursés que d’autres, une liste des médicaments remboursables existe, celle-ci étant dénommée par les plus érudits « panier de soins ». Naturellement ce panier de soins est fondé sur liste exhaustive, certains médicaments pouvant être pris en charge par un organisme complémentaire. Le débat n’est pas nouveau, il alimente de manière récurrente les chroniques. Il porte en réalité sur la sélectivité des produits mis au remboursement sachant que 96% des produits auxquels une AMM a été délivrée sont pris en charge par l’Assurance maladie. 

La HAS a en son sein deux commissions qui arbitrent l’épineuse question du remboursement : la commission de transparence ayant pour mission d’évaluer le médicament et la Commission d’Évaluation des Dispositifs Médicaux et Technologies de Santé (CNEDIMTS) qui elle s’occupe des dispositifs médicaux. L’indicateur utilisé, le SMR (Service Médical Rendu) octroie le taux de remboursement du médicament se référant notamment à la preuve scientifique de la qualité du produit, à sa pertinence clinique et sa transposabilité attendue en « vie réelle ». Quatre taux sont prévus par la réglementation : 

• SMR important (65 %),

• SMR modéré (30 %),

• SMR faible (15 %),

• SMR insuffisant (pas d’inscription ou radiation). 

Une grande majorité des médicaments ayant une AMM relève d’un SMR important. Pour ceux relevant d’un SMR insuffisant (7 à 10%) selon les années, cela ne signifie pas que le médicament est inefficace mais que son efficacité est jugée relativement faible pour justifier une prise en charge par la solidarité nationale. Certains médicaments sont pris en charge à 100 % car ce sont des Affections Longues Durées (ALD) par exemple le cancer, le  diabète ou les maladies psychiatriques. 

Ce système de remboursement reste une exception française puisqu’en Europe seuls la Hongrie, la Belgique ou encore le Portugal ont une approche similaire. En effet, la plupart des autres pays remboursent en fonction du niveau de la dépense engagée. La décision rendue n’est cependant pas intemporelle donc définitive : tous les cinq ans, chaque médicament est de nouveau évalué pour apprécier son SMR, celui-ci sera notamment comparé aux nouveaux traitements apparus sur le marché disposant des mêmes indications d’utilisation. 

Un deuxième niveau d’évaluation est effectué : l’ASMR (Amélioration du Service Médical Rendu). Le SMR contribue à fixer le niveau de remboursement, pour autant il ne doit pas être confondu avec l’ASMR qui lui apprécie l’efficacité en comparaison aux autres médicaments déjà commercialisés dans la même classe médicamenteuse. Cinq niveaux traduisent cette analyse et sont notamment utilisés comme critères principaux dans le cadre de la négociation du prix avec le CEPS : 

• Majeur,

• Important, 

• Modéré, 

• Mineur,

• Absence de progrès. 

Enfin, le Conseil Economique des Produits de Santé est le dernier étage de cet édifice complexe. Il est chargé de négocier le prix avec le laboratoire. Son action est encadrée par un arsenal de textes législatifs et réglementaires.  Quatre critères sont retenus :

• L’amélioration du service médical rendu,

• L’évaluation médico-économique,

• Le prix des médicaments à même visée thérapeutique,

• Le volume de ventes prévu ou constaté et les conditions réelles ou prévisibles d’utilisation du médicament.

Dans le process de la fixation du prix, la HAS joue donc un rôle fondamental puisque les critères utilisés relèvent de son jugement. Les critères de fixation des prix trouvent d’abord leur origine dans la loi et doivent répondre à la fois à un accès aux soins de qualité et à l’efficience de la dépense afin de respecter l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie). Cet ensemble de règles publiques est complété par un accord-cadre conclu entre l’État représenté par le CEPS et le LEEM (principal syndicat de l’industrie pharmaceutique, voir interview de son Directeur Général p.16). 

Les débats et enjeux à venir !

La procédure de mise sur le marché du médicament est relativement complexe. Elle fait appel à de nombreux acteurs, ce qui rend leur visibilité pour le grand public peu aisée. Marché extrêmement régulé et administré, il est, grâce à sa main-d’œuvre hautement qualifiée et l’excellence de la recherche, reconnu au niveau international. Certes et pour des raisons évidentes, dans des périodes longues de budget contraint, la question du prix est et demeurera déterminante. Au-delà du prix et de la rigueur nécessaire à l’Assurance maladie, le prix du médicament doit permettre aux laboratoires de développer sur le long terme une R&D efficiente. Ainsi l’équilibre permanent entre l’accès aux soins pour le plus grand nombre par le prix du médicament ne doit en aucun cas hypothéquer une politique de santé à long terme dont les caractéristiques seront de toute évidence de plus en plus coûteuses… Telle est la question à laquelle la puissance publique doit répondre dans les plus brefs délais pour ne pas endommager l’image de l’industrie pharmaceutique française et lui assurer une pérennité indispensable au bien-être de nos concitoyens. 

Par ailleurs, l’émergence de nouvelles thérapies, notamment liées à l’hépatite C ont considérablement fait évoluer le système de santé. Celui-ci a dû adopter de nouveaux mécanismes de régulation permettant de juguler la dépense liée précisément à l’arrivée de ces nouveaux traitements. Ainsi, ces progrès médicaux ont induit et induiront nécessairement une modification importante du modèle économique du système de santé français et force est de constater que si évolution il y a eu, ce modèle économique est néanmoins arrivé à la fin d’un cycle le moins adapté aux innovations incrémentales, retardant les évolutions nécessaires de prise en charge des pathologies, notamment concernant l’accès aux nouveaux traitements pour des patients atteints de pathologies chroniques. Plusieurs réflexions sont en cours ; elles ont d’ores et déjà donné lieu à la création en décembre dernier par la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, d’un groupe de travail sur l’évaluation des produits de santé.

Enfin, d’importants changements tant au niveau local avec la modification de la carte régionale qu’au niveau des groupements hospitaliers de territoires – nous sommes passés de 26 ARS à 17 et de 1 100 hôpitaux publics à environ 135 GHT – impactent fortement les acteurs de santé sur le territoire. Le risque est de construire des silos avec l’hôpital, la médecine de ville, les industriels de santé, les universités etc… Ce qui rendrait difficile et en tout état de cause aléatoire la nécessaire collaboration étroite de tous ces acteurs et nuirait à un meilleur accès aux soins des patients notamment au regard des bénéfices de la recherche.

Voilà quelques questions qui animeront à n’en pas douter, très certainement les débats ces prochaines années. Les inéluctables grandes mutations voire révolutions en cours, renforcées par des innovations thérapeutiques importantes se succédant à l’intérieur de temps courts (médicaments, dispositifs médicaux, thérapies innovantes) doivent permettre d’optimiser les instruments permettant de fixer les prix afin que ceux-ci ne deviennent pas une source d’inégalité insupportable au regard de notre pacte républicain.