recherche médicale les idées des acteurs
Nous n’existons pas vraiment pour la plupart des personnels soignants dans les services

Estelle Ricci

Chargée d’étude, PhD, à Lyon

La recherche médicale (fondamentale et clinique) est un vaste domaine dans lequel de nombreux intervenants aux compétences multiples et variées œuvrent. C’est un processus long et complexe fonctionnant en continu qui nécessite des compétences (humaines, techniques) dans tous les domaines. Recherche « académique », recherche industrielle (pharmaceutique par exemple), de la recherche transversale à la recherche appliquée, des autorités compétentes réglementaires aux soignants (médecins, infirmiers etc.) aux patients, autant d’étapes, d’acteurs qui garantissent la qualité et l’excellence de la recherche médicale en France avec comme objectif final : le progrès médical dans l’intérêt des patients.

Ayant eu l’expérience de la recherche transversale, recherche fondamentale sur animaux (expérimentation animale niveau 1), l’orientation vers la recherche médicale clinique fut une évidence après un doctorat scientifique (physiologie animale).

Malgré la nécessité de passer par des étapes d’expérimentation animale (qui à ce jour ne peut être remise en cause), l’intérêt de pouvoir apporter mes compétences sur le terrain dans un service hospitalier menant des études cliniques l’a emporté. Un parcours finalement assez « basique » dans le même service depuis 15 ans : ingénieur d’étude (financement INSERM, CDD renouvelés sur 3 ans), ARC (en CDD pendant 6 ans) puis chargée d’étude (en CDI). Pour garantir la qualité des recherches cliniques sur le terrain, ces nouvelles professions ont émergé il y a déjà plus de 20 ans et attirent de plus en plus (TEC, ARC…). L’émergence récente de nouveaux cursus universitaires spécialisés aux métiers de la recherche clinique témoigne de cette attractivité. Néanmoins, le positionnement et la reconnaissance de ces professionnels au sein des services de soins restent loin d’être évidents.

Ces métiers de terrain sont passionnants et enrichissants parce que les connaissances évoluent sans arrêt. En 15 ans de carrière, plusieurs des traitements qui ont été étudiés en essais cliniques ont été commercialisés et je peux affirmer y avoir apporté ma contribution. Mais cela reste officieux, puisque les publications ne font jamais mention de notre contribution même sous forme de remerciement. Nous sommes un rouage important du processus, car nous assurons sur le terrain le bon déroulement des essais cliniques dans les règles de l’art et assurons ainsi la pertinence et la qualité des résultats. Nous épaulons les médecins dans la mise en œuvre des protocoles et assurons un lien privilégié entre eux et les promoteurs mais aussi entre eux et les patients. Parfois même entre eux et les autorités réglementaires (ANSM, FDA). Que ce soit les promoteurs ou les patients, ils sont assurés sinon rassurés de notre implication. La question du personnel de recherche clinique est posée dans toutes les évaluations de faisabilité aujourd’hui. Dans certains services, nous participons à la rédaction des protocoles internes et à leur mise en place opérationnelle. Avec un doctorat scientifique et faisant partie du comité scientifique de rédaction de protocoles, il n’est pourtant pas systématique que la publication finale fasse mention de la participation… 

Ces métiers de terrain sont également passionnants et enrichissants humainement de par la diversité des personnes rencontrées de ce qu’elles nous apprennent sur elles et sur nous-mêmes. Nous accompagnons les patients dans les cheminements opérationnels de leur prise en charge et dans les répercussions psychologiques et émotionnelles que cela implique pour eux. La « gestion émotionnelle » n’est pas toujours simple, en particulier lorsqu’il s’agit de pathologies lourdes comme le cancer ; mais il faut être pragmatique et accompagner les malades du mieux possible, encore plus lorsqu’ils peuvent bénéficier de traitements innovants en participant à une recherche clinique.

Des liens peuvent se créer et qui seront des marques d’affection (n’ayons pas peur du mot !), de relations d’humain à humain, qui me confortent dans l’accomplissement de mes missions et qui finalement me confirment que nous sommes « utiles »… Mais pourquoi en douter ? Ces exemples en sont la preuve : Un « doudou », offert par un patient à la naissance de mon fils il y a 9 ans, porte son nom de famille. Il est depuis plusieurs années décédé, mais nous pensons à lui. Une robe offerte à la naissance de ma fille, du miel produit par la patiente elle-même, ce patient qui chaque année depuis 10 ans s’arrête pour me saluer tout simplement malgré un second cancer déclaré.

En douter donc ? Sans doute parce que nous n’existons pas vraiment pour la plupart des personnels soignants dans les services (en dehors des médecins investigateurs), ils nous voient mais ne savent pas à quoi nous servons, ce que nous faisons. Ces professions ne sont pas encore reconnues à leur juste valeur dans les engrenages de la recherche médicale. Parfois, totalement inconnues des professionnels de santé eux-mêmes. Combien d’internes ou d’infirmières à qui il faut expliquer ce que l’on fait, pourquoi on est là et pourquoi nous ne sommes pas là pour leur rajouter du travail inutile. On se présente, et : « Ah, vous êtes « TEC » ! » mais ça consiste en quoi ? Non, je suis ARC ou chargée d’étude, j’ai un doctorat, j’écris et coordonne des protocoles aussi… ». La sensation de terrain est effectivement de ne pas faire partie du même groupe, d’être en marge et de devoir quémander de leur temps. Ils se demandent à quoi nous pouvons bien servir… Combien de médecins à qui il faut expliquer ce que sont les bonnes pratiques cliniques et à quoi elles servent. La recherche médicale ne devrait-elle pas faire partie des possibilités de prise en charge courante ? Ne devrait-elle pas être abordée plus sérieusement dans les cursus médicaux et de soins ? Proposer de façon éclairée les essais cliniques actifs aux patients d’un service ne devrait pas faire partie des recommandations des réflexes de prises en charge ? Peut-être devrions-nous prendre en modèle nos confrères outre-Atlantique dans ce domaine…

Sans doute aussi parce que, régulièrement, nous sommes confrontés au flou qui existe autour de nos statuts professionnels. TEC, ARC service, chargé d’étude, ingénieur de recherche… qui sommes-nous, où sommes-nous positionnés ? Chaque établissement a son propre fonctionnement sur ce point, il n’y a pas de consensus. Nous ne sommes, ni dans les personnels soignants ni dans les personnels paramédicaux, encore moins statutaires ; des postes contractuels uniquement ; des CDD renouvelables maximum 6 ans, puis un CDI avec beaucoup de chance. Mais CDI non statutaire, possiblement rompu à la moindre faille de financement. Des financements extérieurs uniquement, provenant soit des essais cliniques à promotion externes dont nous devons négocier les grilles de surcoûts pour pouvoir travailler sans perte soit des projets internes pour lesquels nous avons répondu à des appels d’offres. La précarité des postes de terrain est omniprésente. Sera-t-on là l’année prochaine ?…

Le personnel de recherche clinique de terrain devrait exister tout ou partie en tant que statutaire, et des postes devraient être ouverts en tant que tels au même titre que les autres professionnels de la fonction publique hospitalière.

Le cas spécifique des personnels de recherche titulaires d’un doctorat scientifique est encore plus complexe à évoquer. Le rapport du SNSH (Syndicat national des scientifiques hospitaliers) remis en 2012 à M. Édouard Couty sur la Situation professionnelle des docteurs en sciences au sein de la fonction publique hospitalière est à prendre en référence et est éloquent1.

Bien que des efforts propres à chaque CHU soient faits pour poser des règles de recrutement et de fonctionnement, ce malaise de reconnaissance reste applicable à l’ensemble des professionnels de terrain de la recherche clinique quel que soit leur niveau d’étude et probablement plus encore aux docteurs scientifiques.

Cette absence de reconnaissance qui perdure, alors que les alertes sont lancées depuis plusieurs années, porte clairement atteinte à l’attractivité de ces professions, en particulier lorsqu’elles associent des missions de coordination, de gestion de projet et donc de responsabilités. De la même manière que nous entendons parler de « fuite des cerveaux » en recherche fondamentale, je pense que l’on peut à présent parler de la même chose pour le personnel de recherche clinique dans les services hospitaliers. Le recrutement s’avère de plus en plus difficile. Le turn-over de personnel est élevé d’où une perte de connaissances, des savoirs et des compétences. Aussi, le manque d’attractivité dans la fonction publique engendre la perte de bons éléments. Toutes ces problématiques sont un signe parmi tant d’autres (et la situation actuelle le montre de manière criante et au grand jour) de la faiblesse globale de la recherche médicale en France. La recherche clinique doit faire partie intégrante du fonctionnement de l’hôpital et du système de santé global, elle ne doit pas en être « le parent pauvre » ou une sorte de « gadget »… l’avenir de l’offre « qualitative et quantitative » aux patients en dépend.

Ces métiers et professions sont des « passions », des vocations et personnellement, je suis donc toujours là, au service de la recherche, avec les soignants, mais aussi avec et pour les patients… !!

1 Rapport Couty