Tribune

« Il faut en permanence être attentif au fonctionnement en silo des services et des élus »

Gilbert Hangard
Président de l’association « Élus, Santé Publique & Territoires » (ESPT)

La crise de la Covid-19, les difficultés liées à la démographie des personnels de santé et la prise de conscience croissante de la santé globale (One health) éclairent d’un jour nouveau le rôle des collectivités locales dans la prise en charge de la santé à côté de l’État dont c’était traditionnellement la mission.

Les particularités locales, l’histoire des organisations, les construits sociaux et les personnalités des acteurs ne permettent pas d’imaginer un modèle idéal et des recettes miracles transposables partout et tout le temps. C’est, donc, au travers de mon vécu particulier de maire adjoint de la ville d’ALBI et de président d’Élus, santé publique et territoires que je vais essayer de vous livrer des réflexions sur les problématiques, les obstacles et des propositions pour une meilleure prise en compte de la santé au niveau local.

La volonté du maire est la condition nécessaire pour une politique locale de santé

Tout a commencé à Albi en 2013, je dirigeais l’hôpital psychiatrique et voulant l’ouvrir sur la ville, j’ai convaincu Madame le maire, qui en était à son premier mandat, de mettre en place un conseil local de santé mentale. Nous avons développé un réseau d’acteurs, qui ont appris à mieux se connaître, à se faire confiance et à monter des dossiers ensemble. Très vite, nous est venue l’idée d’étendre ce mode de fonctionnement à la santé en général et nous avons contractualisé en 2019 avec l’Agence régionale de la santé un contrat local de santé mentale.

Lors des élections municipales de 2020, Madame le maire m’a demandé de rejoindre l’équipe municipale pour gérer une politique municipale de santé.

Il faut un minimum de moyens pour une politique locale de santé

Lorsque j’ai pris mes fonctions, il n’y avait pas de service santé, seulement une coordinatrice du contrat local de santé rattachée au CCAS, payée à mi-temps par la ville et à mi-temps par l’ARS, et dans les faits travaillant plus avec l’ARS que la ville. La fonction d’adjoint me paraissait purement honorifique et j’étais sur le point de la décliner quand Madame le maire m’a mis à disposition un chef de service temps expérimenté et a créé un service santé. Aujourd’hui, ce service est composé de trois personnes et commence à être submergé par le nombre croissant des dossiers.

La nécessité de définir un cap et de développer la transversalité

Plusieurs de mes collègues élus et l’administration regardaient avec un oeil curieux ce nouveau service, loin de leurs préoccupations habituelles, se demandant parfois si ce n’était pas un luxe ou si c’était vraiment nécessaire. Le langage habituel et les concepts de base de la santé publique n’étaient pas connus. J’ai fait adhérer la ville au Réseau français des villes santé OMS et commencé à progressivement introduire les notions de base de la santé publique auprès de mes collègues qui intervenaient dans les politiques traditionnelles de la ville (petite enfance, seniors, cuisine centrale, urbanisme, environnement, sport…). Il faut en permanence être attentif au fonctionnement en silo des services et des élus, ce qui nécessite quelquefois de la diplomatie et de la fermeté.

Le Contrat local de santé, un outil important de la politique locale de santé qui devrait se généraliser

La reprise en main du contrat local de santé, initialement aux mains de l’ARS, a été l’occasion de renforcer les liens avec les associations locales et de monter des dossiers à plusieurs. Je me suis aperçu que la ville ne connaissait pas bien les associations oeuvrant dans le domaine de la santé et réciproquement. Les associations apprécient de se sentir épaulées et de pouvoir disposer d’aides matérielles et/ou financières.

La crise de la Covid-19 et le renforcement de l’écosystème local des acteurs de santé

La mise en place d’un centre de vaccination nous a occupés de nombreux mois, c’est grâce aux contacts que nous avions noués que nous avons pu mettre en oeuvre et faire fonctionner le centre rapidement. La préfiguration de la communauté professionnelle de territoire nous a aidés et sa concrétisation, cet automne, nous donne un interlocuteur de choix pour la poursuite de notre politique.

La crise de la démographie médicale, repenser le rôle de l’État

Si Albi est encore considérée comme une zone bien dotée en généralistes, le prochain départ à la retraite du quart de ces effectifs suscite des réactions tant au niveau de la population que des élus politiques. Nous avons pris le parti (risqué ?) de ne pas créer, comme le demandaient les oppositions, de centre de santé communal et de travailler avec les acteurs locaux à une meilleure organisation et à l’attractivité du territoire. Devant les initiatives multiples et non coordonnées, il me paraît important que cette crise soit gérée par l’État et que le rôle des préfets soit repensé.

Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP