L’avenir, c’est d’abord développer la prévention, balbutiante dans notre pays, trop fondée sur des initiatives locales

Pr Alain Dervaux

Professeur de Psychiatrie et Addictologie au CHU d’Amiens

Addictions : ce qui doit changer

En France, d’après l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT, 2019), 27  % des 18-75 ans consomment quotidiennement du tabac, 10  % de l’alcool, 3  % du cannabis, à quoi il faut ajouter 350 000 usagers problématiques d’opiacés, cocaïne ou amphétamines. Les troubles liés aux addictions, notamment à l’alcool, sont une des premières causes d’hospitalisation en France. Un fumeur de tabac sur 2 meurt précocement de son tabagisme (75 000 personnes par an). L’espérance de vie des fumeurs est réduite de 10 ans par rapport aux non-fumeurs et 41 000 individus meurent précocement d’une consommation excessive d’alcool.

Ce qui doit changer : les représentations des addictions

Les addictions sont encore uniquement perçues d’un point de vue moral, notamment comme des comportements répréhensibles qu’il suffit d’arrêter pour rentrer dans la norme. Or, ce sont des maladies complexes qui résultent de l’interaction de nombreux facteurs qui ne sont pas modifiables par la seule action de la volonté :

• Facteurs génétiques multiples qui comptent pour plus de 50  % de leur origine.
• Facteurs environnementaux, en particulier les maltraitances précoces et la précocité des premières consommations.
• Troubles psychiatriques (anxieux, dépressifs, psychotiques…) et troubles de personnalité très fréquemment associés.

Beaucoup de progrès en neurobiologie ont été réalisés ces dernières années dans la compréhension de la genèse des addictions.

Celles-ci modifient la structure et le fonctionnement du cerveau à plusieurs niveaux :

• Au niveau du système limbique, cerveau des émotions, « reptilien », dans les circuits de la récompense favorisant les sujets à privilégier les consommations au détriment des autres sources de plaisir.
• Au niveau cortical, l’organisme réagit à la consommation chronique de substances par une diminution de la densité des récepteurs sur lesquels elles se fixent : récepteurs GABAergiques pour l’alcool, récepteurs cannabinoïdes pour le cannabis, récepteurs opioïdes pour l’héroïne… Ceci a pour conséquence d’activer le système de stress hypothalamo-hypophyso-cortico-surrénalien qui s’active lorsque les sujets sont en manque et pousse les patients à consommer.
• Au niveau des cortex frontaux, préfrontaux et cingulaires, qui sont de plus en plus défaillants dans le contrôle des comportements d’excès, aboutissant à des fonctionnements automatiques de consommation.

Une fois installées, les addictions deviennent des maladies chroniques, mais pas reconnues comme telles en raison de leur stigmatisation. Comme l’hypertension artérielle ou le diabète, les addictions sont caractérisées par des rechutes fréquentes. Les budgets qui y sont consacrés doivent aussi être préservés. Comme les autres pathologies, les sociétés sans drogues n’existent pas.

Changer aussi les modèles thérapeutiques des addictions

Pour sortir des addictions, ce qu’il faut d’abord comprendre, c’est que les acteurs principaux du changement sont les patients. Les thérapeutes vont les aider à réaliser leurs objectifs d’arrêt ou de diminution des consommations à l’aide d’interventions thérapeutiques, médicamenteuses et psychothérapeutiques, notamment des approches dites « motivationnelles ». Cette médecine comportementale est différente des modèles médicaux traditionnels proposant des interventions extérieures aux patients.

Sortir des addictions, c’est aussi prendre en charge simultanément les pathologies addictologiques et psychiatriques associées, ce qu’on appelle des prises en charge « intégrées ». Trop souvent, en effet, les structures de soins psychiatriques et addictologiques se renvoient les patients comme des patates chaudes, ce qui aboutit malheureusement trop souvent à une évolution défavorable.

L’avenir

• L’avenir, c’est d’abord développer la prévention, balbutiante dans notre pays, trop fondée sur des initiatives locales. Elle doit être plus systématique et la plus précoce possible. À l’adolescence, il est déjà trop tard. Elle doit aussi s’appuyer sur des données probantes. De nombreuses études nationales et internationales ont notamment montré l’efficacité de certaines interventions visant à améliorer les compétences psychosociales des jeunes et de leur entourage familial, le démarketing et des programmes d’interventions telles que « Unplugged » ou « MAAD ».
• L’avenir, c’est aussi développer la reconnaissance et la prise en charge, très insuffisante actuellement, des troubles cognitifs très fréquemment induits par les addictions à l’alcool (environ 80 % des patients) et au cannabis.
• L’avenir, c’est aussi développer l’intelligence artificielle (IA) qui a un fort potentiel en Addictologie. L’IA pourrait faciliter la compréhension de tableaux cliniques complexes, difficiles à appréhender par un seul médecin d’une seule spécialité, et faciliter des prises en charges individualisées.
• L’avenir, c’est enfin développer des politiques publiques sur les addictions basées sur les sciences comme l’a suggéré John Strang du King’s College London. Le but est d’aider les politiques à tenir compte des dernières avancées de la science pour pouvoir prendre les meilleures décisions dans l’intérêt des populations.