Il est délicat de prendre en charge le quatrième âge, il est difficile de prendre en charge la génération des grands anciens lorsqu’elle n’a plus de lien avec les armées auxquelles elles ont un jour tout donné.

Le Général Christophe de Saint Chamas

Gouverneur des Invalides

En situation de crise, les Français font preuve d’une forte réactivité, d’une grande générosité et d’une sensibilité sincère et profonde face aux difficultés. Les initiatives sont légion et les gestes souvent admirables. Mais ces réactions à chaud, dans l’émotion, ne doivent pas masquer le besoin d’une aide raisonnée, méthodique et construite à l’épreuve du temps.

Lorsqu’un de nos soldats est blessé au combat, l’aide immédiate est apportée par ses frères d’armes et les associations d’entraide avant que l’aide structurelle ne se mette en place. La réactivité face à l’épreuve provoque souvent de belles réactions et des gestes du cœur aussi rapides qu’efficaces. Mais l’aide initiale, aussi généreuse soit-elle, doit être rapidement relayée par les organismes de prévoyance et les acteurs associatifs, en complément de l’aide de l’état.

L’enjeu initial est celui de la continuité de la relation humaine : pour de multiples raisons, cette relation entre le blessé et son armée d’origine évolue progressivement. Le décalage entre le blessé et son unité se creuse d’année en année. Il connaît ses camarades de combat, puis les cadres de l’unité, à terme, il n’identifie plus que le commandant d’unité, voire le chef de corps. Il peut facilement perdre tout lien avec son unité de départ. Ressortissant de son armée d’origine, il est un jour réformé et le suivi de son dossier bascule sous la responsabilité de l’Office national des anciens combattants. Cette bascule peut être vécue comme une rupture, malgré les efforts déployés par des équipes remarquables.

Il est donc indispensable d’assurer une protection de qualité reposant sur des textes législatifs et réglementaires. Celle-ci permet à l’institution militaire d’assurer la mission d’aide dans la durée, quels que soient les liens d’amitié établis et l’efficacité de l’unité d’appartenance du blessé. Nous pouvons en être fiers.

Mais cette Protection sociale ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, Saint Louis avait créé l’hôpital des Quinze-vingts pour accueillir trois cents blessés. Et c’est surtout Louis XIV qui a tenu un rôle déterminant dans la Protection sociale. En faisant construire l’hôtel royal des Invalides, il offrait à ses vieux soldats, plus de 4 000 places pour les accueillir dignement, en reconnaissance de leur engagement au service de leur pays et de leur roi. L’état se lançait dans un accompagnement social à une grande échelle. Aujourd’hui encore, l’Institution nationale des Invalides, héritière de cette mission régalienne, accueille 80 pensionnaires. Statutairement, ils sont tous invalides, blessés de guerre, pensionnés à plus de 85 % au regard du Code des pensions militaires d’invalidité.

Le nombre important des combattants des générations 39-45 et guerre d’Indochine diminuant progressivement, il faut dès à présent adapter les conditions d’admission au vivier potentiel. Les conditions d’admission au centre des pensionnaires, très techniques, sont en cours d’évolution. L’ambition est de maintenir un volume de 80 pensionnaires, tout en renforçant le lien entre les générations du feu. C’est un véritable défi, car la fracture est profonde entre ces générations.

De même qu’il est délicat de prendre en charge le quatrième âge, il est difficile de prendre en charge la génération des grands anciens lorsqu’elle n’a plus de lien avec les armées auxquelles elles ont un jour tout donné. C’est ce défi que relève quotidiennement l’Institution nationale des Invalides qui accueille des blessés de tous les âges (30 à 104 ans) au centre des pensionnaires, et des hospitalisés, militaires d’active ou en retraite et que nous avons le devoir d’accompagner dignement.

Cet accompagnement indispensable est délicat, les projecteurs de la communication étant toujours attirés par les événements les plus récents. Les blessés les plus anciens risquent alors d’être oubliés au bénéfice des plus jeunes. Malgré cette tendance naturelle, la Protection sociale est exemplaire aux Invalides : cette institution bénéficie d’une dotation du ministère de la Défense qui finance le centre des pensionnaires. à l’expertise et à la délicatesse des soignants s’ajoute la présence de bénévoles qui animent la vie quotidienne et permettent à certains pensionnaires de quitter de temps à autre l’isolement de leur chambre individuelle.

Et le Foyer des Invalides, géré par une association 1901, contribue au bien-être en assurant une prestation quotidienne dont l’interruption pendant la pandémie a montré la nécessité. Son action préserve de l’isolement et assure un minimum de vie sociale à ces soldats blessés, souvent très isolés. Reconnue d’utilité publique, cette association fonctionne grâce à la générosité des donateurs qui la soutiennent mais dont le nombre diminue, faute de savoir qu’on peut facilement faire des dons défiscalisés au Foyer des invalides.

Aujourd’hui, le chef de l’État est le protecteur tutélaire des pensionnaires. à chaque rencontre, il leur exprime sa profonde gratitude. Le gouverneur des Invalides agit au nom du chef de l’État, des armées et de tous les Français. Il est chargé d’entourer, d’accompagner, d’aimer et de valoriser ces pensionnaires qui sont le cœur des Invalides. Il rappelle inlassablement que ces anciens ont besoin du soutien des plus jeunes générations.

Continuité, fidélité, générosité sont les mots-clés de la protection de ces anciens, trop souvent oubliés, à tel point que les Français ignorent ce secret d’État que je m’autorise à dévoiler aux uns et à répéter aux autres. Même si c’est difficile à retenir, n’oubliez pas que depuis 350 ans :

Au cœur des Invalides vivent des invalides.

Ils ont besoin du soutien et de l’aide de leur armée, mais aussi et surtout, de la reconnaissance, du respect et du soutien de tous les citoyens français. Nous sommes tous leurs obligés.