Tribune

Ce n’est pas l’Assurance chômage qu’il faut prioritairement réformer mais bien l’action publique, son périmètre et ses modalités d’action !

PAR HERVÉ CHAPRON ET MICHEL MONIER
Anciens Directeurs Généraux Adjoints de Pôle emploi et de l’Unédic

À entendre, à lire les uns et les autres, non seulement l’Assurance chômage serait mère de tous les vices, comprenez manufacture d’oisiveté en étant si peu incitative à la reprise d’emploi mais qui plus est, suprême outrage, un défi insupportable à une saine gestion, ce qui expliquerait ce gouffre financier dénoncé par ceux-là même qui hier se réclamaient d’une orthodoxie financière et aujourd’hui vantent les supposés mérites d’une dette perpétuelle…

Notons d’abord que cette vieille dame qu’est l’Assurance chômage est agressée à un moment où elle a fourni au pied levé, en un temps record à travers le chômage partiel, à 12 millions de salariés, à la totalité des intermittents du spectacle les moyens de subsistance indispensables pour traverser une crise sanitaire inédite et permettre une reprise économique aussi rapide que possible la crise sanitaire terminée. De réponse aux aléas de la vie professionnelle, elle est devenue soutien de l’Économie. En termes de souplesse, d’adaptabilité n’est-ce pas une leçon pour notre Administration que le monde entier nous envie !

Ainsi donc, l’Assurance chômage serait mal gérée, dans une irresponsabilité complète à travers une gouvernance « baroque1 » par laquelle les Partenaires sociaux laissent libre cours à une imagination suicidaire pour satisfaire leurs troupes… Alors un peu comme cet « l’Allemagne paiera », au diable l’avarice. C’est aller un peu vite en besogne…

D’abord au titre des principes, l’Assurance chômage est soumise aux cohortes des corps de contrôle de l’État : Inspection générale des finances, Cour des comptes, IGAS. Ensuite, rappelons qu’elle a été la première au sein de la sphère sociale, dès 1993 à avoir obtenu une certification légale de ses comptes, enfin que désormais la nomination de son Directeur Général doit requérir l’approbation du ministre du Travail. Une gouvernance sans garde-fou, que nenni !

En deuxième lieu, souvenons-nous ! Le décret Bérégovoy de novembre 1983 montre à quel point l’étendue et la brutalité avec laquelle les pouvoirs publics peuvent intervenir au sein de la démocratie sociale… Sans à l’époque recourir à une note de cadrage ! Souvenons-nous encore l’initiative des seuls Partenaires sociaux de réduire le montant et le nombre de bénéficiaires de l’indemnisation en modifiant la convention en cours à l’époque par le protocole de décembre 2002. Acte de gestion responsable aussitôt contrarié par les tribunaux ! De même que si la loi « Liberté de choisir son avenir professionnel » de septembre 2018 a supprimé l’obligation de produire chaque année, au Parlement et au Gouvernement, un rapport sur les perspectives financières à 3 ans de l’Assurance chômage, le Bureau de l’Unédic a souhaité maintenir cette bonne pratique considérant que ce rapport est un outil majeur pour le pilotage financier de l’Assurance chômage…

Enfin arrêtons cette mauvaise foi, cette facilité désinvolte, alibi à la dénonciation de l’incompétence des Partenaires sociaux pour un déficit qui ne cesse de se creuser. Oui, le déficit de l’Assurance chômage est désormais structurel. Non pas sur ses missions initiales mais à cause du fourre-tout qu’elle est devenue pour lequel les Partenaires sociaux ne sont que des bons élèves subissant les diktats des pouvoirs publics, en finançant certaines politiques publiques, le fonctionnement de Pôle emploi, les caisses de retraite… Ce n’est pas l’Assurance chômage qu’il faut prioritairement réformer mais bien l’action publique, son périmètre et ses modalités d’action !

En réalité les « libéraux étatiques » veulent détruire le dernier espace de démocratie sociale qui subsiste. Peu importe que l’État ne soit plus stratège, peu importe que le déficit des finances publiques soit un gouffre, peu importe qu’en réalité, les Partenaires sociaux soient depuis longtemps en liberté surveillée, se comportant plus souvent comme des bourgeois de Calais devant une véritable autorité de tutelle. Ce qui insupporte ces « libéraux étatiques », c’est la démocratie sociale. Ils en oublient leur classique et donc leur âme : « Quand l’État veut faire le bien, il le fait mal, quand l’État veut faire le mal, il le fait bien2 ».

1 Pierre Cahuc : « Assurance chômage : une gouvernance baroque ». Les Échos. 29 janvier 2021.

2 Charles Dunoyer (1786-1862).