CHACUN EST À SA PLACE SUR LE TERRAIN COMME DANS L’ARBRE DE DÉCISION, CONSCIENT D’ÊTRE UN MAILLON DE LA CHAÎNE DONT LA SOLIDARITÉ ET L’INTERDÉPENDANCE SONT ESSENTIELLES POUR RÉUSSIR DANS LA CRISE

Yann Le Bras 

DIRECTEUR DE GHT

Le Groupement Hospitalier des Alpes du Sud, constitué de 6 établissements exerçant leurs missions sur les Hautes-Alpes et le nord des Alpes-de-Haute-Provence, a abordé l’épidémie de COVID en s’appuyant sur les fondations et caractéristiques suivantes :

• Un GHT de terrain ayant un projet médical et soignant opérationnel et des filières de prise en charge éprouvées notamment entre les principaux sites de Gap-Sisteron, Embrun et Briançon pour les soins critiques, l’infectieux et des fonctions médico-techniques et supports en cours de montée en charge voire d’intégration (biologie, pharmacie, logistique…) ;

• Un territoire rural et de montagne à faible densité démographique mais frontalier avec l’Italie et à forte concentration touristique hivernale (stations de ski) ;

• Des établissements s’étant très fortement réorganisés notamment sous la pression budgétaire du plan ONDAM et des Contrats de Retour à l’Équilibre Financier-Comité Interministériel de Performance et de la Modernisation de l’Offre de Soins (CREF-COPERMO), disposant de locaux pour la plupart récents et dimensionnés avec une communauté médicale et soignante dynamique et avec une démographie médicale consolidée voire très bonne, sauf exception, dans les spécialités les plus impactées (infectieux, réanimation, pneumologie, médecine, gériatrie, urgences) ;

• Une gouvernance à taille humaine, travaillant à l’amélioration des process de contractualisation et de décision et intégrée pour 4 établissements sur 6 (direction commune notamment pour les sites MCO principaux de Gap-Sisteron, Briançon et Embrun) ;

• Des réflexions ou chantiers en cours avec les autres acteurs de santé (médecine de ville, collaboration avec la clinique de Gap, télémédecine avec les EHPAD et les MSP, etc.).

Avec ces principales caractéristiques, le Groupement a abordé l’épidémie de COVID avec la chance de disposer de temps pour prendre la mesure exacte de la crise, bénéficier des retours d’expérience notamment du Grand Est, adapter progressivement même si à vitesse très soutenue, les réorganisations à mettre en œuvre selon les phases de préparation et de réponse (niveau 2 puis niveau 3).

Le caractère frontalier du territoire a induit plusieurs aspects :

• Une volonté très précoce, dès fin février, de consolider l’hôpital de Briançon à 14 km de la frontière italienne comme établissement de 2e ligne en accord avec l’ARS. Cette décision pouvait paraître étonnante pour un territoire de 140 000 habitants, le CH intercommunal des Alpes du Sud (CHICAS) Gap-Sisteron étant déjà positionné comme établissement de 2e ligne. Elle s’est avérée précieuse pour réagir face à l’apparition d’un cluster dans le Briançonnais fin février et début mars. La circulation du virus n’est pour autant pas venue d’Italie comme redouté mais de retours de personnes ayant participé au rassemblement évangélique de Mulhouse ;

• Un retour d’expérience de la part de médecins italiens exerçant au sein du CH de Briançon (30 % de la communauté médicale) ayant permis de réhausser le niveau de vigilance et de mobilisation notamment sur les règles de protection et d’hygiène.

Les hôpitaux du territoire ont complètement revu leurs organisations, leur capacitaire, les circuits au sein de leurs locaux avec une réactivité remarquable et une mobilisation exemplaire des équipes malgré l’évolutivité incessante des instructions et postures mais aussi l’appréhension voire l’angoisse pour certains professionnels en première ligne.

En quelques jours, le monde change. Les circuits de décision sont raccourcis au maximum, les cloisons entre secteurs, services, acteurs sautent. Chacun est concentré sur une filière de prise en charge inconnue il y a quelques jours encore mais qui devient prioritaire. L’approche économique devient exclusivement celle de la bonne allocation de la ressource humaine, pharmaceutique et logistique au bon endroit pour le juste besoin. On ne compte plus en termes financiers sauf pour s’assurer de la trésorerie minimale pour payer les salaires et les fournisseurs.

L’organisation entre la clinique et les hôpitaux se met en place en moins de 72 heures pour disposer de lits d’aval et d’un renfort en ressources humaines du privé pour participer à l’armement de lits de réanimation dont la capacité quadruple. L’historique, les statuts, les a priori sont oubliés ou mis de côté pour quelque temps.

Chacun est à sa place sur le terrain comme dans l’arbre de décision, conscient d’être un maillon de la chaîne dont la solidarité et l’interdépendance sont essentielles pour réussir dans la crise.

Le GHT parfois encore interrogé dans sa structuration et ses missions devient une évidence pour bâtir des filières et réponses complémentaires, échanger et trouver collectivement les bonnes réponses, être solidaires dans les renforts en ressources humaines, les approvisionnements, les stocks, la logistique, facteurs déterminants pour soutenir les équipes médicales et soignantes. Il est aussi un support essentiel pour l’ARS et l’État qui soutient son action et s’en sert aussi de point d’appui pour la livraison et la distribution des masques, pour la gestion des renforts en ressources humaines auprès des structures sociales et médico-sociales, pour le conseil et l’appui auprès des EHPAD, pour la construction des plans de reprise d’activités non différables en lien public-privé.

Chacun revient aussi aux fondamentaux : une stratégie élaborée et posée sur des forces apparemment solides peut parfois buter sur ce qui était considéré comme trivial et devient brutalement une ressource rare. Ainsi, l’accroissement considérable des capacités de réanimation est avant tout permis par des équipes médicales et paramédicales compétentes et en nombre, un parc de respirateurs suffisant. Mais tout ceci aurait pu vaciller ou s’effondrer pour des problèmes de stocks de surblouses, de gants. Heureusement, à ce jour, les solutions ou alternatives ont été trouvées mais le rappel à ces réalités opérationnelles est majeur au niveau national comme local. Il en est de même pour la stratégie diagnostique avec la montée en charge de la biologie territoriale confrontée au manque d’écouvillons et de réactifs.

À cette heure, la vague annoncée a été une courbe ascendante aboutissant à un haut plateau qui décroît fortement en réanimation mais aussi en hospitalisation, toutefois avec pour ce dernier point des évolutions incertaines et erratiques. Chacun a tenu sa place et la mobilisation exceptionnelle comme le confinement ont produit leurs effets dans les Alpes du Sud.

Pour autant, plusieurs enseignements se dégagent :

• Ce qui était appréhendé dès le départ comme une course de fond sera sans doute un marathon voire un ultra-trail qui nécessitera endurance, récupération et agilité permanente ;

• Le cadrage national par la doctrine DGS décliné et adapté par l’ARS puis approprié par le GHT a permis, grâce au temps de préparation accordé par la circulation tardive du virus, une réponse adaptée sans dépassement des capacités qui ont été toutefois pleinement utilisées en réanimation ;

SANS RETOMBER DANS L’HOSPITALO-CENTRISME, DANS UN TERRITOIRE COMME LES ALPES DU SUD, L’HÔPITAL PUBLIC A CONFIRMÉ SA PLACE DANS LE SYSTÈME DE SANTÉ EN TANT QU’ÉPINE DORSALE PAR SA CAPACITÉ DE RÉPONSE MÉDICALE, SOIGNANTE, LOGISTIQUE ET ORGANISATIONNELLE DONT AUCUNE AUTRE STRUCTURE NE DISPOSE. IL A SU AUSSI SE COORDONNER AVEC LE PRIVÉ ET LA MÉDECINE DE VILLE, LOIN DES CLICHÉS HABITUELS

• La marge de manœuvre locale en fonction des caractéristiques du territoire et du maillage du système de santé sont essentiels pour réussir. L’approche par GHT est la plus adaptée pour poursuivre une gestion opérationnelle et proche du terrain même si le cadrage global est national ou régional ;

• Les faux débats sur la gouvernance et l’hôpital bashing sont vite apparus dépassés dans la crise. Le sujet réel n’est pas celui du pouvoir mais de la responsabilité et de la part de chacun dans celle-ci autour d’une filière de prise en charge et des décisions à prendre concernant l’allocation des ressources qu’elles soient humaines ou matérielles avec de la coordination incessante, de l’accompagnement, beaucoup de communication interne et externe et du décloisonnement ;

• Sans retomber dans l’hospitalo-centrisme, dans un territoire comme les Alpes du Sud, l’hôpital public a confirmé sa place dans le système de santé en tant qu’épine dorsale par sa capacité de réponse médicale, soignante, logistique et organisationnelle dont aucune autre structure ne dispose. Il a su aussi se coordonner avec le privé et la médecine de ville, loin des clichés habituels ;

• Si la vie « normale » reprendra un jour dans nos institutions, il faut dès maintenant se concerter sur les enseignements à conserver au sein des établissements. En ce sens, un séminaire au sein du CHICAS Gap-Sisteron aura lieu dès le 19 mai avec les acteurs de la gouvernance pour partager le débriefing et préparer des arbitrages concertés et réactifs pour capitaliser sur toutes les dimensions organisationnelles, humaines, managériales de cette gestion de crise et les appliquer pour ce qui est transposable et pertinent, en dehors du COVID ;

• Les enseignements nationaux et régionaux de la crise pour le monde d’après devront à tout prix associer les acteurs de terrain qui ont vécu la réponse opérationnelle à l’épidémie et leur donner les leviers pour anticiper et être réactifs face aux nouvelles crises et à l’évolution nécessaire de notre système hospitalier et de santé.