C’EST UNE ERREUR D’AVOIR NÉGLIGÉ L’ÉLU LOCAL COMME ÉLÉMENT DE TRANSMISSION D’INFORMATION D’UNE POLITIQUE DE SANTÉ PAR DÉFINITION NATIONALE ET LES ATTENTES LOCALES D’UNE POPULATION.

Simon Renucci

PÉDIATRE ET ANCIEN MAIRE DE LA VILLE D’AJACCIO

Vous avez été pédiatre pendant 27 années et vous continuez actuellement d’exercer : s’il fallait retenir trois éléments de fond sur l’évolution de votre métier en lien avec l’hôpital que diriez-vous ?

Au début de ma carrière la consultation était en partie consacrée à des apprentissages nouveaux alors qu’aujourd’hui, afin de créer un climat de confiance, il faut expliquer et répondre aux interrogations suscitées par la multiplicité d’informations parfois erronées ou mal comprises. Il faut redoubler d’attention, garder un esprit simple pour un acte global.

Le rôle du pédiatre comme acteur majeur de la vie familiale n’est plus reconnu par les pouvoirs publics, n’est pas valorisé malgré leur compétence entretenue par une formation permanente de qualité. La pédiatrie promeut les droits des enfants et la nécessité de réaliser une politique de prévention avec notamment les vaccinations et l’exigence du bon recours aux soins qui est prioritaire chez l’enfant.

Les progrès liés à une meilleure connaissance des maladies, de leur prévention avec les nouveaux vaccins par exemple et les traitements adéquats ont fait disparaître certaines affections et leurs complications (les jeunes diplômés s’installent sans avoir jamais vu certaines ma- ladies éruptives pratiquement disparues). Les progrès de la réanimation et de la chirurgie infantile ainsi que la génétique (grâce au Téléthon) ont réhabilité la vie de ces enfants à égalité de chance avec les autres.

La réforme Debré qui a permis de moderniser l’Hôpital et d’attirer de nouvelles compétences à temps plein a cependant favorisé la suppression de postes de praticien à temps partiel tandis que le cloisonnement avec le monde libéral a nui à la coordination et au parcours de soins et donc à la bonne offre de soins aux citoyens.

Quand j’étais à l’hôpital Saint-Joseph, il y avait trois formules qui étaient partagées entre les médecins : écouter, c’est déjà répondre, en l’occurrence pour rassurer les parents et l’enfant ; au moindre doute, vérifier auprès des gens d’expérience ses connaissances, cela rappelle bien sûr le primum non nocere du médecin ; s’assurer de la bonne compréhension des directives et de l’évolution de la maladie. Il est essentiel de comprendre que ces principes demeurent, comme toutes les valeurs humaines.

Vous avez été maire d’Ajaccio pendant 13 ans et à ce titre, Président du Conseil d’administration du CH : quelles leçons en tirez-vous ?

Je dirais en premier lieu que l’élu reste un facilitateur à trois niveaux :

1. Facilitateur entre la population et l’Hôpital pour que chacun comprenne les enjeux et les contraintes. C’est une erreur d’avoir négligé l’élu local comme élément de transmission d’information d’une politique de santé par définition nationale et les attentes locales d’une population.

2. Facilitateur entre les différents acteurs internes de l’Hôpital entre la direction et la commission médicale d’établissement (CME) mais encore entre la direction et les syndicats ou entre les médecins entre eux dans des arbitrages toujours difficiles dans un domaine où tout est jugé comme prioritaire sans vision globale. Ma plus grande joie, aussi en qualité de médecin, est d’avoir permis la construction d’un nouvel Hôpital. J’avais d’ailleurs obtenu que la clinique vienne s’installer au même endroit permettant une mutualisation des compétences médicales et une meilleure offre de soins. Mon regret est que ce regroupement territorial ait été abandonné.

3. Facilitateur entre les acteurs publics que sont avec les services de la ville d’Ajaccio, la direction de l’ARS, la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) et enfin le Premier ministre et le Président de la République. Cette collaboration a concerné principalement l’achat du terrain, l’acceptation du projet d’établissement, le financement du projet, le choix d’une méthode « conception, réalisation » ayant permis de poser directement la première pierre dès le 18 mars 2014. Une fierté pour l’élu et son équipe comme la satisfaction du député d’avoir participé à la création d’un bien commun au service de tous et la reconnaissance des citoyens envers la République répondant au principe de l’égalité de l’accès aux soins.

LA SÉCURITÉ, LA QUALITÉ ET LA PERFORMANCE MÉDICALE COMME LA BONNE GESTION DOIVENT PRIVILÉGIER LA PLACE DU MALADE

Vous avez été élu député de 2002 à 2012, quelles sont les leçons de votre travail parlementaire ?

Le Parlement joue un rôle important dans la définition d’une politique de santé et je suis fier d’avoir participé à l’émergence des concepts de transparence, d’évaluation, d’accréditation. Par ailleurs, le débat portant sur le PLFSS est révélateur d’une confiscation du pouvoir législatif par l’administration centrale (des Directions générales et de l’Assurance maladie) ; révélateur également de l’absence de choix politiques forts comme le montre le nombre exagéré des priorités en matière de santé : quand tout est prioritaire, on cède à la confusion. Par exemple, la loi Évin a situé une organisation différente de l’Hôpital avec la suppression des services mais, les chefs de service s’étant opposés à cette réforme, elle n’a jamais pu être réalisée. Un grand regret est de n’avoir pas fait de la prévention un axe obligatoire de la politique de santé et de n’avoir pu
placer l’évaluation avec les mesures d’impact comme préambule à toute action nouvelle. Il serait souhaitable que l’Hôpital puisse disposer d’un budget dédié à la prévention étant donné qu’il réussit très bien l’éducation à la santé.

Plus globalement si vous deviez tracer quelques pistes de travail ?

La première piste est celle de la responsabilité et de la modestie. L’Hôpital est une organisation collective et tous les acteurs de santé doivent travailler en harmonie pour son fonctionnement. La sécurité, la qualité et la performance médicale comme la bonne gestion doivent privilégier la place du malade. « Il n’y a pas de vent favorable si on ne connaît pas le port que l’on veut atteindre » (Sénèque). L’Hôpital est un volet du Pacte social républicain qui doit rester dans le cadre national d’une politique de santé mais égalité des droits ne veut pas dire uniformité des règles. C’est pourquoi, trois principes me semblent nécessaires : laisser les acteurs libres, développer les expérimentations et enfin responsabiliser les acteurs. Dans ce cadre, l’État planifie, répond aux besoins croissants mais doit déléguer la gestion, en la contrôlant, car il est difficile d’être l’ordonnateur et l’acteur. L’Hôpital s’inscrit dans une politique de santé, résultant d’une vision politique. Nous construisons ensemble l’Hôpital de demain mais il doit s’ouvrir davantage, faire plus de place à l’interdisciplinarité, faire confiance : cela ne se décrète pas mais peut être facilité par des règles plus souples ou simplement déclinées à travers une charte élaborée en commun.

Au total, un monde nouveau est à bâtir avec l’esprit d’équipe solidaire dans la prise des décisions de soins au plus près de la gestion avec le dévouement et la reconnaissance des compétences. L’Hôpital demeure ainsi le pilier des soins du territoire de santé où chaque acteur notamment l’élu a sa part et tous l’ont en entier. C’est pour cela qu’une charte des services publics per- mettrait de mieux adapter les décisions aux besoin.