Tribune

« Nombreux sont les bénéficiaires potentiels à ne pas faire les démarches pour obtenir les minima sociaux […] et à ne pas bénéficier du « filet de sécurité » français »

Marie Devaine
Manager chez YCE Partners

Stéphanie Andrieux
Associée chez YCE Partners

Sophie Lopez van Houtryve
Consultante chez YCE Partners

Ariane de Sury
Consultante chez YCE Partners

Julie Escola
Consultante chez YCE Partners

Marine Rousselin
Consultante chez YCE Partners

Suzanne Assrir
Consultante chez YCE Partners

Il y a un peu moins d’un an, le cabinet de conseil YCE Partners s’associait au CRAPS pour publier une réflexion globale sur le rôle des données sociales pour une « juste prestation ». Certaines clés avaient émergé pour conduire ces transformations d’ampleur : 

– L’installation d’une gouvernance dédiée pour renforcer la coordination des acteurs depuis les dispositifs de collecte des données sources jusqu’aux organismes verseurs de prestations (administrations centrales, CNAV, CNAM, CNAF, GIP-MDS, etc.). 

– Une nécessaire évolution de la relation usager (parcours sans couture, limitation de l’effet « boîte noire » de l’administration, gestion de la fracture numérique) et le développement de « l’aller-vers » comme approche complémentaire à l’automatisation pour sécuriser l’accès aux droits des plus précaires. 

Cette année, place à l’action ! Nombreux sont les bénéficiaires potentiels à ne pas faire les démarches pour obtenir les minima sociaux (comme le revenu de solidarité active – RSA, ou la Prime d’activité), et à ne pas bénéficier du « filet de sécurité » français. La réforme du gouvernement sur la « solidarité à la source », prévue dès juillet 2023, semble réunir les bons ingrédients pour répondre à cet enjeu, sous réserve d’éviter les écueils d’une modernisation coupée des usagers : l’occasion pour YCE Partners d’un décryptage.

La solidarité à la source, c’est quoi ? 

La finalité de la solidarité à la source est de faciliter l’accès aux droits et ainsi lutter contre le non-recours, un phénomène d’ampleur que l’on estime à 30 % en moyenne sur l’ensemble des prestations sociales à l’échelle européenne. 

L’un des axes majeurs de la solidarité à la source consiste notamment à s’appuyer sur le préremplissage des déclarations de ressources, vecteur à la fois de simplification administrative pour les usagers et de fiabilisation des données utilisées pour le calcul des droits. En ce sens, le projet de solidarité à la source fonctionne en miroir du prélèvement à la source et du préremplissage des déclarations fiscales. Concrètement, un tel système de préremplissage devrait permettre de diminuer le non-recours en simplifiant les démarches de demandes d’ouverture de droits. Il devrait également permettre d’éviter les indus et contribuer à garantir la stabilité dans le temps des droits à prestation. La réforme vise aussi à contemporanéiser, dans certains cas, le versement des prestations en les évaluant au plus près de la situation de l’individu. Enfin, le dispositif est présenté comme un outil additionnel de lutte contre la fraude. 

Ce premier chantier autour de l’utilisation des données sociales pour la délivrance d’une prestation plus juste doit être complété d’un second chantier, tout aussi crucial, axé autour de l’aller-vers et de l’accompagnement des publics les plus fragiles pour sortir de la précarité. 

La réforme du RSA et de la Prime d’activité, une première brique de la solidarité à la source dès 2024 

Si le projet de modernisation du RSA et de la Prime d’activité est régulièrement évoqué par les pouvoirs publics, c’est qu’il constitue une première étape importante de la solidarité à la source. 

La mise en œuvre de cette réforme s’appuie sur plusieurs constats. D’abord, la complexité administrative pour les allocataires, qui doivent réaliser les déclarations de ressources à une fréquence trimestrielle. Ces déclarations sont aussi particulièrement exhaustives, dans le souci d’apprécier les revenus au plus proche de la situation réelle des allocataires. Cette complexité entraîne à la fois une instabilité du droit liée à des déclarations de ressources erronées, mais aussi un potentiel découragement à réaliser les demandes de prestations, aboutissant à un phénomène de non-recours. 

La modernisation du RSA et de la Prime d’activité présente donc des avantages certains. D’une part, elle permettra d’améliorer la lisibilité des ressources prises en compte pour le calcul de ces prestations avec l’introduction d’une nouvelle notion de revenu, le montant net social. À l’instar de la rémunération nette fiscale pour le prélèvement à la source, il est pensé comme un montant de référence dans la sphère sociale et apparaîtra sur les bulletins de paie dès juillet 2023. D’autre part, les déclarations trimestrielles de ressources des allocataires seront à terme préremplies des données connues de l’administration (à noter : les allocataires devront toujours valider les déclarations avant transmission et auront la possibilité de modifier les données s’ils soupçonnent une erreur), permettant d’alléger la charge administrative et de fiabiliser le calcul du droit.

Une révolution en cours sur les minima sociaux 

La modernisation du calcul des prestations s’appuyant sur les données sociales est aujourd’hui sur une pente ascendante. Ainsi, le principe de préremplissage des déclarations s’applique déjà à la C2S et devrait s’étendre à l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI) et la pension d’invalidité courant 2024. D’autres prestations sont candidates à une modernisation à terme : préremplissage des déclarations pour les demandes d’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), contemporanéisation des revenus pris en compte pour le calcul des prestations familiales, de l’Allocation pour les adultes handicapés (AAH)… 

Notons également que, dès juin 2023, la CNAF et la CNAV souhaitent utiliser les données sociales afin d’améliorer le ciblage des populations en situation de non-recours aux prestations qu’elles versent et d’optimiser ainsi les démarches « d’aller-vers ». 

Les actions terrain, deuxième jambe indispensable à la mise en place d’une politique efficace de lutte contre le non-recours

Parallèlement à ces transformations, YCE Partners est convaincu de l’importance des actions visant à « aller-vers » les bénéficiaires potentiels comme volet complémentaire à l’automatisation des procédures. Ces actions terrain, conduites par les agents des organismes, les travailleurs sociaux et les associations, peuvent être menées pour apporter les bonnes informations au public cible via le tractage, le porte à porte ou encore les appels ciblés par exemple. L’ensemble de ces actions vient compléter le ciblage par les données (data mining) et permet une adaptation aux populations les plus éloignées. 

Dans cette lignée, dix « territoires zéro non-recours » aux droits sociaux (TZNR) ont été sélectionnés sous l’égide du ministère des Solidarités pour conduire une expérimentation sur trois ans à partir du printemps 2023. Portés par les territoires sélectionnés en lien avec les CAF et CMSA locales, des démarches ciblées vont être engagées pour informer et accompagner les personnes sur leurs droits : RSA, PA, AL mais aussi les chèques énergie ou encore l’accès aux services publics. Des expérimentations à suivre de près à la suite des essais concluants qui ont d’ores et déjà été menés à Bastia, Paris et Vénissieux depuis 2020.

À suivre

Pour YCE Partners, la mise en œuvre de la solidarité à la source doit être pensée et construite en mobilisant l’ensemble des acteurs de la chaîne : des opérateurs en lien avec les données sociales en passant par les caisses et en allant jusqu’aux bénéficiaires à travers les associations mobilisées sur le terrain. Au cœur d’une actualité brûlante avec une réforme portée par le ministre des Solidarités, M. Jean-Christophe Combes, mais également une expérimentation déployée sur différents territoires et un rapport en cours de rédaction sur le non-recours et la fraude sociale par la Défenseure des droits, Mme Claire Hédon, c’est cette réflexion que YCE Partners se propose de mener au long de l’année avec le CRAPS !