INTERVIEW
Il est donc nécessaire d’avoir une vue large des problèmes, afin de ne pas imposer des règles qui modifieraient les comportements vertueux d’une majorité, pour réduire des comportements indésirables à la marge…

Bruno Coquet (interview)

Chercheur affilié à l’OFCE et spécialiste de l’Unédic

Les négociations sur l’Assurance-chômage ont achoppé sur finalement un point mineur au regard des enjeux. Selon vous, y avait-il un « jeu de dupes» mené par un gouvernement qui considère que les politiques sociales ne peuvent être que décidées et gérées, compte tenu des sommes en question, par le politique ?

L’Assurance-chômage est d’abord une question technique. Une fois le système établi sur des bases saines, il est possible, dans certaines limites, d’y instiller quelques caractéristiques plus politiques. Mais comme pour les retraites, la vision politique ne peut ni remplacer, ni s’affranchir des faits et des règles élémentaires qui gouvernent tout dispositif d’assurance.

Le diagnostic est actuellement un mélange toxique de malentendus et d’idées reçues, il ne peut donc pas y avoir consensus sur les solutions. Or, si l’on y réfléchit, il est évident qu’il n’y a pas de vision commune des objectifs, des priorités et donc de la stratégie de l’Assurance-chômage. Et faute d’un diagnostic factuel partagé, chacun voit midi à sa porte, privilégie sa vision, ses intérêts et ses solutions. 

Chacun des acteurs pense que les autres ne le comprennent pas, et qu’il gérerait mieux que les autres. C’est une illusion, singulière en matière de politique publique.

Une gestion purement étatique n’a en outre pas toujours les qualités qu’on lui prête. Chacun peut s’en faire une idée en relisant le rapport public 2015 de la Cour des comptes, qui a conduit à la suppression du Fonds de Solidarité (la partie de l’assurance/assistance chômage gérée par l’état depuis 1984).

étatisation certes, mais pour quoi faire ? Comment selon vous notre système d’indemnisation peut devenir plus incitatif à la reprise d’emploi ?

A ce stade, rien ne dit qu’il va y avoir « étatisation ». L’état a dit qu’il prendrait ses responsabilités, cela veut dire qu’il fera les réformes qu’il juge prioritaires ; de là à gérer le régime, ce n’est pas clair.

La question de l’insuffisance des incitations au retour à l’emploi est une excellente illustration des lacunes du diagnostic et de l’absence de débat public. On sait, en effet, que 45 millions de contrats de travail sont signés par an en France, près de 4 millions par mois ; or, ce sont bien des chômeurs qui acceptent ces emplois, et majoritairement des chômeurs indemnisés. De plus, ces emplois sont fréquemment de courte durée, à bas salaire, pas toujours dans les compétences des chômeurs qui les acceptent. Enfin, si la fréquence de l’activité réduite des chômeurs (cumul salaire-allocation) est fustigée, c’est bien que les chômeurs indemnisés reprennent des emplois.

Il est donc nécessaire d’avoir une vue large des problèmes, afin de ne pas imposer des règles qui modifieraient les comportements vertueux d’une majorité, pour réduire des comportements indésirables à la marge.

Enfin, avec l’étatisation de l’Assurance-chômage et certaines mesures qui, par exemple, accroissent fortement le nombre de bénéficiaires de la prime d’activité, le revenu universel n’est-il pas en marche ?

Une réflexion sur le revenu universel d’activité a été lancée, mais les contours d’un tel dispositif ne sont pas arrêtés.

Il faut rappeler que l’assurance-chômage n’est pas une assurance sociale. C’est une assurance économique, ancrée dans la production. Le fait qu’elle soit mutualisée et ait des conséquences qui la font ressembler à une politique sociale, n’implique pas qu’elle puisse aisément se fondre dans le grand ensemble indifférencié de la redistribution.

En effet, l’assistance chômage, seulement financée par l’impôt, a des propriétés beaucoup moins intéressantes que l’assurance, notamment en termes d’incitation à l’emploi. Il n’a d’ailleurs jamais été montré, ni en théorie ni en pratique, que l’assistance chômage peut être un système optimal. Le Royaume-Uni, qui a transformé son assurance en assistance il y a 40 ans, est très loin d’être une bonne pratique. 

Que l’assurance ait été mal gérée, et qu’il faille aujourd’hui réformer ses règles, ne veut pas dire qu’il est souhaitable de lui substituer une pure politique sociale. Les outils existent, et sont relativement simples, pour faire fonctionner efficacement l’Assurance-chômage dans son périmètre bien délimité…