Tribune

Le concept d’hébergement hospitalier en lits non médicalisés a été développé progressivement en France sur une vingtaine d’années

Pr Jean-Pierre Bethoux
Chargé de mission FHF

Le législateur a introduit par « la loi de financement de la sécurité sociale » (LFSS) 2021 (article 59) et le décret CE 2021-1114 du 25/07/2021, une nouvelle modalité d’hébergement des patients dans le cadre de leur parcours de soins à l’hôpital : « l’hébergement temporaire non médicalisé » (HTNM).

Ce nouveau type de lit hospitalier, à côté du lit d’hospitalisation classique et médicalisé, présente d’abord de nombreux avantages pour les patients en termes de confort d’accueil et de sécurité permettant notamment la présence éventuelle d’un accompagnant et une télésurveillance.

Ensuite, pour les soignants et les équipes médico-administratives, en complément d’une hospitalisation classique raccourcie, d’une prise en charge ambulatoire ou de séances de traitement oncologique, il permet une plus grande fluidité dans la gestion des hébergements des patients, quand ils sont nécessaires pour des raisons de suivi médical ou lorsque le retour au domicile doit être décalé.

Enfin, ce nouveau concept de lit hospitalier n’implique pas pour les établissements de santé (ES) la même ampleur d’investissement financier et de dépenses d’entretien courant que pour des lits médicalisés ; leur permettant ainsi des redistributions budgétaires et de personnel conséquentes en faveur des plateaux techniques et des structures d’hospitalisation plus « lourdes » (réanimation, soins intensifs ou continus), ou de faire face à des difficultés de recrutement de personnels de nuit.
Le concept d’hébergement hospitalier en lits non médicalisés a été développé progressivement en France, sur une vingtaine d’années, depuis le début des années 2000, avec le qualificatif « d’hôtel hospitalier ».

Rappel historique

Au XXe siècle, il est initialisé aux USA, notamment à la Mayo Clinic de Rochester, sous la forme de lits d’hôtel proches de l’établissement hospitalier, d’accès rendu aisé par des tunnels. Ces lits sont partiellement médicalisés, avec des soins de faible intensité pouvant être réalisés directement en chambre.

Il en est de même en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Allemagne. En Europe du Nord, en Suède, Norvège, Danemark, Grande Bretagne et Belgique, les hôtels hospitaliers n’offrent pas de soins aux personnes hébergées.

En France, l’utilisation d’un « hôtel hospitalier » est apparue dans les années 1990, avec soit la création d’un établissement hôtelier dédié en intra-muros (Hôtel-Dieu – APHP), soit l’utilisation de lits d’hôtel situés à proximité de l’hôpital (Institut Gustave Roussy), voire parfois dans des « Maisons d’accueil hospitalières » ; notamment en province, ordinairement réservées aux familles des patients hospitalisés.

Dans tous ces cas, aucun soin n’est réalisé dans les chambres. La prise en charge des nuitées est le plus souvent assurée à l’époque par les assurances complémentaires. Le développement du dispositif, ayant vocation à s’intégrer aux parcours de soins, notamment en chirurgie et en oncologie, conduit l’ARS IDF à en approfondir le concept au début des années 2010.

Elle réalise une « étude de potentiels » en 2014, qui établit, grâce à une enquête menée « 1 jour donné » sur plusieurs ES publics et privés, qu’environ 30 % des lits d’hospitalisation classique sont occupés par des patients, qui, sans pour autant pouvoir directement rentrer à leur domicile, pourraient être hébergés en lits hospitaliers ou juxta-hospitaliers non médicalisés.

À l’occasion de la LFSS 2015, le législateur lance une expérimentation nationale d’hôtels hospitaliers, sous l’intitulé administratif « d’hébergements temporaires non médicalisés ». La prise en charge des nuitées est assurée par le « Fonds d’intervention régional » (FIR).

En novembre  2015, la Haute Autorité en santé (HAS) publie un certain nombre de recommandations concernant l’utilisation d’un HTNM ; en particulier, en établissant une liste de critères d’éligibilité des patients ayant vocation à y être accueillis.

Ces critères seront repris dans le décret CE n° 2016-1703 du 12/12/2016, qui lance l’expérimentation nationale. 41 ES sont en définitive retenus pour réaliser cette expérimentation, qui va se dérouler de 2017 à 2020.

Le rapport sur les résultats de l’expérimentation, portant sur plusieurs dizaines de milliers de nuitées en HTNM, est soumis à l’été 2020 au Parlement, comme prévu par le législateur dans la LFSS 2015.

Il est suffisamment positif pour que la création pérenne d’HTNM figure dans les préconisations du « Ségur de la santé » (mesure n° 27 du Pilier 2) et que leur généralisation soit actée en décembre 2020 à travers la LFSS 2021, avec un décret CE et un arrêté d’application publiés en août 2021.

Une évaluation médico-économique de la généralisation des HTNM est lancée à compter de janvier 2021, avec un premier financement sous la forme d’une ligne « MIGAC » de 80 euros/nuitée, qui est institué pour « booster » cette généralisation.

Selon les résultats de l’évaluation médico-économique, qui remonteront au ministère via « l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation » (ATIH), une modalité de financement pérenne sera instituée à partir de 2023-2024. En attendant, la prestation d’HTNM est déjà inscrite, selon la demande du Conseil d’État, dans le Code de la santé publique (CSP), sous la forme de la création d’une section 9 complétant le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de sa sixième partie.

Il s’agit bien d’une prestation « de soin », prescrite par un médecin hospitalier, et non d’une prestation « de service ». Son inscription en tant que telle dans le CSP ouvre ipso facto le droit à la prise en charge des nuitées d’hébergement en lits non médicalisés, d’une manière ou d’une autre, par la protection sociale.

Spécificités et perspectives des HTNM dans les parcours de soins en établissement de santé :

Spécificités

Les HTNM constituent une alternative à une hospitalisation conventionnelle, intégrée comme elle et en s’y substituant partiellement ou en totalité, à un parcours de soins hospitalier. C’est un secteur intra-muros de l’hôpital ou une structure d’hébergement extra-muros mais proche de l’hôpital, où les patients sont hébergés à un moment ou à un autre, le cas échéant avec leur accompagnant ou aidant, durant leur séjour hospitalier requis pour des explorations ou des traitements.

« Cet hébergement alternatif à une hospitalisation conventionnelle est “non médicalisé”. Il ne requiert pas la présence physique nocturne d’un personnel hospitalier et s’adresse à des patients éligibles, autonomes, cognitifs, non perfusés, non ou peu algiques, et non infectés (HAS 2015). »

On peut considérer cette nouvelle modalité d’hospitalisation comme une « passerelle » vers l’hospitalisation classique, ou vers le domicile du patient après son passage au plateau technique ou sa prise en charge dans une unité de lits médicalisés de très court séjour.

Le secteur de lits d’HTNM constitue ainsi une sorte de « sas » de pré-entrée ou de pré-sortie par rapport au secteur d’hospitalisation requérant un hébergement en lit médicalisé. Ces nouveaux types de lits, en quelque sorte « tampons » entre le secteur d’hospitalisation conventionnelle et le domicile du patient, peuvent être mis à disposition de l’ES de différentes manières.

Ils peuvent ainsi :

– soit être situés dans un hôtel à proximité de l’ES,

– soit être installés, à périmètre immobilier constant, en intra-muros à l’hôpital, par reconversion de lits médicalisés, « conventionnels », en lits à vocation purement hôtelière,

– soit faire l’objet d’une nouvelle construction dédiée, au sein ou à côté de l’ES, mais toujours intégrée à son périmètre immobilier.

Et, dans les deux derniers cas de figure, ils peuvent être, selon éventuellement un regroupement sectoriel mutualisé, mis à disposition des différents services médicaux de l’établissement de santé et offerts à leurs patients éligibles, quels que soient les parcours de soins (médicaux, chirurgicaux, obstétricaux ou de SSR).

En cas de localisation des lits non médicalisés dans les murs de l’hôpital, le patient hébergé dans ce type de lit hospitalier pourra être considéré administrativement comme non « sorti » de l’ES et le « séjour » dans l’ES pourra ainsi « englober » la période d’hébergement en lits d’HTNM.

Il deviendrait ainsi logique d’intégrer à terme la part de séjour en lit non médicalisé au GHS du GHM correspondant. Dans cette hypothèse, l’ES préserverait ses recettes d’hospitalisation, malgré une baisse notable des DMS en lits médicalisés.

On peut par ailleurs imaginer une graduation dans le type d’implantation de lits non médicalisés : dans un premier temps avec l’utilisation de lits d’un hôtel voisin de l’ES, puis, pour accompagner le développement de la demande, avec des lits situés dans des locaux reconvertis pour ce type d’hébergement en intra-muros dans l’ES, et enfin, au maximum, avec des lits établis dans un nouveau bâtiment sorti de terre. Leur gestion peut utilement être déléguée à un prestataire par convention, en allégeant ainsi les charges de l’hôpital en termes d’hôtellerie et de mobilisation de personnel non médical de nuit.

Ces lits d’HTNM pourront être affectés aux services médicaux, à l’instar de leurs lits conventionnels, selon les besoins et les disponibilités d’hébergement, avec un dispositif d’admission au mieux géré par l’administration hospitalière pour faciliter le travail des équipes soignantes.

Deux publications (en novembre 2021 et juin 2022) de « l’Agence nationale d’appui à la performance » (ANAP) à destination des ES précisent les modalités pratiques de mise en place d’une structure de lits d’HTNM.

Perspectives

Ces lits alternatifs aux lits d’hospitalisation conventionnelle peuvent permettre aux services médicaux de développer le volume et surtout la qualité de leurs activités, tout en diminuant fortement les dépenses de fonctionnement et d’investissement d’hospitalisation classique.

Ce qui permettra au final de valoriser auprès des équipes soignantes plus le polymorphisme d’exercice de leurs activités que le taux d’occupation de leurs lits conventionnels.

Le recours aux lits d’HTNM est consubstantiel au progrès médical et à l’impact de la prévention des maladies, qui n’impliquent plus des durées d’hospitalisation aussi longues qu’autrefois et surtout des thérapeutiques et des soins aussi « lourds » qu’auparavant ; les soins sont aujourd’hui beaucoup plus souvent « mini-invasifs », avec, en correspondance, une hospitalisation, qui doit, elle aussi, devenir « mini-invasive ».

De ce fait, le périmètre des lits conventionnels d’hospitalisation continuera à se contracter globalement, dans presque toutes les disciplines médicales, au profit d’une prise en charge ambulatoire ou en HDJ.

La seule façon de réaliser cette contraction de la façon la plus souple possible est de changer de paradigme hospitalier en « dissociant les soins de l’hébergement » et de « fluidifier » les inévitables restructurations hospitalières en développant ces secteurs « tampons » d’hébergements temporaires non médicalisés, dont l’ampleur sera susceptible d’évoluer au fur et à mesure des besoins.

De plus, cette contraction sera d’autant plus « fluide » et « souple » qu’au passage les établissements de santé pourront l’accompagner, grâce à la réinjection à terme, autant que de besoin, dans les services médicaux d’une partie des substantielles économies induites par le recours aux lits d’HTNM (son impact potentiel de diminution des dépenses prises en compte dans la construction des « Groupes homogènes de séjours » ou GHS de la « Tarification à l’acte », T2A, peut déjà le démontrer).

Ainsi, l’introduction de lits non médicalisés, de façon pérenne, dans le dispositif hospitalier, va constituer en elle-même une « passerelle » vers l’avenir, vers la transformation progressive des hôpitaux en de véritables « plates-formes » de santé, multi-activités (soins lourds et mini-invasifs, prévention, formation, hébergement médicalisés et non médicalisés, etc.), avec une extension vers le domicile des patients via la médecine connectée et l’intelligence artificielle.

À l’avenir, chaque projet d’établissement devra intégrer et accompagner cette inéluctable évolution en harmonisant au mieux et selon des études de potentiels, les futurs besoins en lits médicalisés et ceux en lits d’hébergement non médicalisés.

La participation des sociétés savantes médicales :

Il appartient aux sociétés savantes des différentes spécialités médicales de définir, selon les pathologies et leurs implications thérapeutiques, les modalités d’intégration des séjours des patients en lits non médicalisés dans les divers parcours de soins hospitaliers.

Pour chaque discipline médicale, la société savante correspondante peut en effet identifier au vu des remontées de l’ATIH, un certain nombre de « Groupes homogènes de malades » (GHM) « marqueurs » de la discipline avec leur « durée moyenne de séjour » (DMS) spécifique en lits médicalisés, notamment pour les parcours en J1 à J5. Puis, à partir de ces données, proposer un parcours-type avec une partie en séjour HTNM pour chacun de ces GHM.

Exemple de spécialité : la gynécologie chirurgicale ; hystérectomies (racine 13C03). Plus précisément, par exemple, l’hystérectomie totale par laparotomie (JKFA013) qui selon les données fournies par l’ATIH présente :

– 1014 séjours en volume (en 3e position pour le nombre d’interventions au niveau national),

– Une DMS en hospitalisation classique (HC) de 3,88 jours,

– Avec un parcours actuel : en moyenne, 4 nuitées en HC (en comptant la nuitée préopératoire) : accueil HC J-1, chirurgie à J0, post-op. en HC : J0-J1, J1-J2, J2-J3, puis sortie.

– Avec un parcours potentiel intégrant un HTNM : en moyenne 1 seule nuitée en HC, 3 nuitées en HTNM (dont la nuitée préopératoire) : accueil HTNM J-1, chirurgie à J0, post-op. en HC : J0-J1. En HTNM : J1-J2, J2-J3 puis retour au domicile.

Ainsi, pour ce type d’acte chirurgical, on passerait d’un séjour en HC à 4 nuitées en moyenne à un séjour en HC de seulement 1 nuitée en soins médicalisés couplée à 3 nuitées en HTNM (y compris la nuitée préopératoire).

C’est parfaitement envisageable, si l’on applique les techniques de la « réhabilitation améliorée après chirurgie » (RAAC) avec déperfusion au plus tard le lendemain matin de la date de l’opération. Bien évidemment, avant le retour au domicile depuis l’HTNM à J3, la patiente aura bénéficié d’au moins une consultation de contrôle (vérification de l’état clinique, de la reprise du transit intestinal, du pansement, ablation de l’éventuel drainage, etc.), effectuée en externe dans le service de chirurgie gynécologique de l’ES, et éventuellement d’échanges en télémédecine avec le service depuis sa chambre d’HTNM.

Elle aura pu réintégrer son domicile bien reposée et déstressée après son intervention, ayant de plus pu éventuellement bénéficier de la présence d’un accompagnant.

Au total, pour cet acte, le dispositif aura permis d’éviter pour la patiente en moyenne 2-3 nuitées d’HC, permettant ainsi au service de chirurgie de coucher en lit médicalisé dans la même chambre et dans la même semaine potentiellement 2-3 patientes supplémentaires relevant d’un GHM identique ou du même ordre, au lieu d’une seule patiente occupant la chambre pendant presque toute une semaine ouvrée. L’utilisation d’un HTNM pourrait de ce fait libérer de la disponibilité en lits durant la même période. La DMS (en lit médicalisé) pour cet acte aura ainsi vocation à être ramenée en moyenne de 3,88 J en HC à 1 seul jour.

Ce travail pourra être réalisé de la même manière pour d’autres actes « traceurs » de la spécialité de gynécologie (CMD 13 : « Affections de l’appareil génital féminin »). Et pour d’autres GHM de chirurgie gynécologique, on peut même concevoir des séjours hospitaliers uniquement en chirurgie ambulatoire suivis de 1 ou 2 nuitées en HTNM, au lieu de séjours avec 1 ou 2 nuitées en HC. Et l’on peut raisonner pareillement pour chacune des autres spécialités.

L’expérimentation nationale des hébergements temporaires non médicalisés, issue de l’article 53 de la LFSS 2015, a démontré les bénéfices de ce type d’hébergement pour les patients éligibles, en termes de confort et de sécurité, avec un fort taux de satisfaction.

Les études médico-économiques en ont confirmé le caractère restructurant pour les établissements de santé, en y permettant, avec la dissociation des soins et de l’hébergement, le gain d’efficience que l’on peut attendre de leur intégration dans les parcours de soins, grâce à leur prescription par les équipes soignantes.

Conclusion

Cette alternative à l’hospitalisation dite « conventionnelle », permettant de conserver ou de développer pour les ES un bon capacitaire d’hébergement, même partiellement non médicalisé, facilitera de fait les nécessaires restructurations hospitalières.

Mieux vaudra en effet d’avantage, à l’avenir, concentrer les financements des futurs investissements de l’hôpital sur le plateau technique (avec ses besoins technologiques de plus en plus sophistiqués et coûteux), sur les produits médicamenteux de plus en plus chers (notamment en oncologie, en thérapeutique génétique et en infectiologie), que sur le capacitaire d’hospitalisation conventionnelle et son cortège conséquent d’investissements et de frais de fonctionnement, qui seront de plus en plus difficiles à justifier en raison du développement des prises en charge hospitalières mini-invasives.